Page images
PDF
EPUB

Sa mère l'embrassait et respirait à peine;
Et son œil se fixait, de larmes obscurci,
Sur un grand crucifix de chêne

Suspendu devant elle, et par le temps noirci.
C'est lui, je le savais, le Dieu des pauvres mères,
Et des petits enfants, qui du mien a pris soin;
Lui qui me consolait quand mes plaintes amères
Appelaient mon fils de si loin.

C'est le Christ du foyer que les mères implorent,
Qui sauve nos enfants du froid et de la faim.
Nous gardons nos agneaux et les loups les dévorent;
Nos fils s'en vont tout seuls, et reviennent enfin.

Toi, mon fils, maintenant me seras-tu fidèle ?
Ta pauvre mère infirme a besoin de secours;
Elle mourrait sans toi... L'enfant, à ce discours,

Grave, et joignant ses mains, tombe à genoux près d'elle, Disant: Que le bon Dieu vous garde de longs jours.

A. GUIRAUD.

LE CHEVAL D'ESPAGNE.

On court bien loin pour chercher le bonheur;
A sa poursuite en vain l'on se tourmente :
C'est près de nous, dans notre propre cœur,
Que le plaça la nature prudente.
Prouvons ici, sans beaucoup discourir,
Que ce vrai bien s'attrape sans courir.
Certain coursier, né dans l'Andalousie,
Fut élevé chez un riche fermier.
Jamais cheval de prince ou de guerrier,
Ni même ceux qui vivaient d'ambroisie,
N'eurent un sort plus fortuné, plus doux.
Tous dans la ferme aimaient notre andalous,
Tous pour le voir allaient à l'écurie
Vingt fois le jour; et ce coursier chéri,
D'un vœu commun, fut nommé Favori.

Favori donc avait de la litière

Jusqu'aux jarrets, et dans son râtelier

Le meilleur foin qui fut dans le grenier.
Soir et matin, les fils de la fermière,
Encore enfants, ménageaient de leur pain
Pour l'andalous; et lorsque dans leur main
Le beau cheval avait daigné le prendre,
C'étaient des cris, des transports de plaisir;
Tous lui donnaient le baiser le plus tendre;
Dans la prairie ils le menaient courir,
Et le plus grand de la petite troupe,
Aidé par tous, arrivait sur sa croupe :
Là, satisfait, et d'un air triomphant,

Des pieds, des mains, il pressait sa monture,
Et Favori modérait son allure,
Craignant toujours de jeter bas l'enfant.

De Favori ce fut là tout l'ouvrage
Pendant longtemps; mais quand il vint à l'âgo
De trente mois, la femme du fermier
Le prit pour elle; et notre cavalière,

En un fauteuil sise sur le coursier,

La bride en main, dans l'autre la croupière,
Les pieds posés sur un même étrier,
Allait, trottait au marché faire emplette,
Chez ses voisins acquitter une dette,
Ou visiter son père déjà vieux.
A son retour, notre bonne Sanchette
Accommodait Favori de son mieux,
Et lui doublait l'avoine et les caresses.

Plus on grandit, plus on devient vaurien :
Ce Favori que l'on traitait si bien,
Ce cher objet de si douces tendresses,
Fut un ingrat; et quand il eut quatre ans,
Il s'indigna, dans le fond de son âme,
D'être toujours monté par une femme :

Est-ce donc là, disait-il dans ses dents,
Le noble emploi d'un coursier d'Ibérie?
Avec des bœufs j'habite l'écurie
D'une fermière, et frémis de courroux
Quand on me voit, comme un ânon docile,
Au petit trot cheminer vers la ville,
Ayant pour charge une femme et des choux!
Non, je ne puis souffrir cette infamie;

Je suis né fier, et, dussé-je périr,

Je prétends bien dans peu m'en affranchir.»
Orgueil! orgueil! c'est par toi qu'on oublie
Vertus, devoirs; par toi tout a péri :
Tu perdis l'homme, et perdis Favori.

Un beau matin que la bonne Sanchette,
Selon l'usage, allait toute seulette
Vendre au marché les fruits de son jardin,
Elle s'arrête un moment en chemin.
D'un saut léger elle est bientôt à terre:
Mais le bridon par un sort bien contraire,
En ce moment échappe de sa main,
Et Favori s'en aperçoit à peine,

Qu'au même instant, s'élançant dans la plaine,
Il casse, brise et disperse dans l'air

Et charge, et selle, et harnais, et croupière,
Des quatre pieds fait voler la poussière,
Et disparaît aussi prompt que l'éclair.

Las! que devint notre pauvre Sanchette?
Dans sa surprise elle resta muette;
Suivit longtemps des yeux le beau coursier,
Et puis pleura, puis retourna chez elle
Et raconta cette affreuse nouvelle.

Tout fut en deuil chez le triste fermier;
De Favori tous regrettent la perte ;
Enfants, valets vont à la découverte,
Dans les hameaux, dans chaque bourg voisin :
L'avez-vous vu des coursiers le modèle,

Le plus aimé, le plus beau? » C'est en vain;
De Favori nul ne sait de nouvelle ;

Il est perdu. Sanchette soupira,

Et dit tout bas: Peut-être il reviendra?

En attendant, Favori, ventre à terre,
Galope et fuit sans perdre un seul moment.
Il aperçoit bientôt un régiment

De cavaliers qui marchait à la guerre;
Hommes, chevaux, par leur air belliqueux,
Par leur fierté, par leur armure brillante,
Dans tous les coeurs répandent l'épouvante,
Ou le désir de combattre auprès d'eux.

A cet aspect notre coursier s'arrête,

Il sent dresser tous ses crins ondoyants,
Et, l'œil en feu, les naseaux tout fumants.
Fixe, immobile, écoute la trompette;
Mais, tout à coup, frappant la terre et l'air,
Il bondit, vole à travers la prairie
Arrive auprès de la cavalerie,
S'ébroue, hennit, et jetant un œil fier
Sur ces guerriers, enfants de la victoire,
Il semble dire : " Et j'aime aussi la gloire.

Le colonel, qui voit ce beau coursier,
Veut s'en saisir; il vient avec adresse
Auprès de lui, le flatte, le caresse,
Et par un frein en fait son prisonnier.
A l'instant même une peau de panthère,
Aux griffes d'or tombantes jusqu'à terro,
Couvre le dos du superbe animal;
Un plumet rouge orne sa tête altière,
Et cent rubans tressés dans sa crinière,
Lui donnent l'air coquet et martial.
Sur Favori le colonel s'élance,
Presse les flancs du coursier généreux;
Et Favori, dans son impatience,

Mordant son frein, fier du poids glorieux,
Vole à travers les escadrons poudreux.

Voilà, voilà, disait-il en lui-même,
Le noble emploi pour lequel je suis nė!
Vivre en repos, c'est vivre infortuné;
Gloire et périls sont le bonheur suprême.
Sous ce harnais, que je dois être beau!
Je voudrais bien, dans le cristal de l'eau,
Me voir passer, voir ma mine guerrière.
Pour être heureux, ma foi, vive la guerre.

Comme il parlait, le chef du régiment
Reçoit l'avis qu'une troupe ennemie
Doit dans la nuit l'attaquer brusquement.
Tout aussitôt une garde choisie
Est disposée autour du logement:
Le colonel la commande lui-même;
Et Favori, dont la joie est extrême
De voir qu'on est menacé d'un danger,

Passe la nuit sans dormir ni manger.
Qu'importe! il est soutenu par le zèle.
Point d'ennemis, voilà son seul chagrin.
Mais tout à coup arrive, le matin,
Un officier qui porte la nouvelle,
Que la bataille est pour le lendemain.
Le colonel veut être de la fête;

L'armée est loin, mais jamais rien n'arrête
Lorsque la gloire est au bout du chemin :
On part, on veut arriver pour l'aurore.
Toujours à jeun, Favori néanmoins

Ne se plaint pas, mais il saute un peu moins.
Le jour se passe, il faut marcher encore
Toute la nuit; et Favori rendu

Fait un soupir; mais l'amour de la gloire,
Et le désir de vivre dans l'histoire,

Et l'éperon réveillent sa vertu.

Il marche, il va, se soutenant à peine,
Quand, vers minuit, d'une forêt prochaine
Un gros parti fond sur le régiment.
On veut se battre hélas! c'est vainement;
Nos cavaliers, harassés de la route,
Sont enfoncés, tués, mis en déroute;
Et, dans le choc, Favori tout sanglant,

Couvert de coups, deux balles dans le flanc,
Parmi les morts resté sur la poussière,
Ne voyait plus qu'un reste de lumière :

Ah! disait-il, je le mérite bien;

J'ai fait un crime, il faut que je l'expie;
Je fus ingrat; il m'en coûte la vie;

[ocr errors]

C'était trop juste. Et ce n'est pas le bien
Que Favori dans ce moment regrette;
Ce n'est que vous, o ma chère Sanchette.
Disant ces mots, il perd tout sentiment;
Et l'ennemi, vainqueur dans ce moment,
Bien résolu de n'épargner personne,
Le glaive au poing, poursuivant les fuyards,
Pille, massacre, et bientôt abandonne
Ce champ couvert de cadavres épars.

Le lendemain de cet affreux carnage,
Certain meunier, dans la plaine passant,

« PreviousContinue »