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N'est-ce pas, mes amis, sans leur tendre la main,
Sans demander pour eux quelque argent à vos mères !

Alfred était témoin de leurs larmes amères :

- Maman, vois donc, dit-il, comme ils sont là tous deux, Ils sont bien malheureux! Oh! oui, bien malheureux, Lui répondit sa mère, attentive et touchée.

Sur eux pendant qu'Alfred a la vue attachée,
L'un se lève (pour l'autre, il ne se levait pas,
Car le froid l'avait mis aux portes du trépas),
Saisissant une vielle, auprès de lui muette,
Pour charmer l'enfant riche et recevoir de lui
Le pain qu'il n'avait pas obtenu d'aujourd'hui,
Il s'efforce de rire, et, dansant, il répète
Un de ses airs appris sous le doux ciel natal...
Mais ce rire était triste, et ce chant faisait mal.
C'est que rien n'est affreux comme la feinte joie
Du mendiant qui chante, à sa misère en proie;
C'est un rire effrayant qui naît dans les douleurs,
Et qu'il faut endormir comme on endort vos pleurs.

Enfants, vous qui pleurez pour un bruit, pour une ombre
Que vous croyez entendre ou voir dans la nuit sombre;
Pour un conseil ami que la raison vous doit,
Une goutte de sang qui vous rougit le doigt,
Que sais-je? un aiguillon d'abeille qui vous pique,

Un papillon qui fuit votre main tyrannique,
Voilà des maux cuisants que vous ne saviez pas...

Or, vers le petit pauvre, Alfred porte ses pas;

Pourquoi, dit-il, tous deux, restez-vous dans la neige? Vous n'avez donc point, vous, de maman, comme moi, Qui vous donne du pain, du feu ? qui vous protége?

Oh! nous en avons une aussi, monsieur.

Vous laisse-t-elle aller sans elle ou votre bonne,

Pourquoi

Les pieds nus sur la terre?... Elle n'est donc pas bonne, Votre maman, à vous! Si fait; elle avait faim,

--

Elle nous a donné ce qu'elle avait de pain;

Et voilà deux grands jours, hélas ! qu'elle est couchée
Comme il ne restait plus, chez nous, une bouchée,

Elle nous embrassa, disant : Pauvres petits!
Allez, et mendier... Et nous sommes sortis,

Et nous sommes yenus nous coucher sur la pierre,
Et personne, ô mon Dieu! n'entend notre prière,

voilà que bientôt mon frère va mourir !

Car le froid, car la faim nous ont tant fait souffrir!

Vous n'avez donc pas, vous, reprit Alfred, un père
Qui donne tous les jours de l'or à votre mère ?
Le pauvre enfant se prit à sangloter plus fort.
Hélas! répondit-il, notre père... il est mort!
Il est mort, et c'est lui qui nous faisait tous vivre

Alfred, pleurant aussi, ne songea plus au livre,
Et dans la main du pauvre il glissa ses dix francs.
Sa mère le saisit dans ses bras triomphants,
Et lui dit: Mon Alfred, un livre pour apprendre,
C'était déjà bien beau! mais tu m'as fait comprendre,
Mon fils, que mieux encore est de donner du pain
A ceux qui vont mourir et de froid et de faim.

Et moi je dis heureux est l'enfant charitable
Qui donne à l'indigent le peu qu'il reçoit d'or,
Et qui, des miettes de la table,

"

S'il ne peut rien de plus, sait faire aumône encor!

Pour que dans votre bourse, amis, quelque argent tombe, Travaillez donc aussi, soyez sages et bons,

Et l'infortuné qui succombe

Puisera l'existence et la paix dans vos dons;

Et le vieillard qui prie, et dont la tête est nue,
Enfants, le bon vieillard, ployé sous les douleurs,
Au son de votre voix connue,

Sourira, car c'est vous qui sècherez ses pleurs ;

Et celles qu'on rencontre à genoux sur la route,
Les mères qui n'ont pas de pain pour leurs petits
Diront: C'est le bon Dieu, sans doute,
Qui vous adresse à nous, anges du paradis! »

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Et leurs petits, surtout ceux qui n'ont plus de pères, Leurs tout petits enfants ne diront plus: « J'ai faim! Anges, car vous êtes leurs frères,

Et le Ciel vous a faits pour leur tendre la main.

LÉON GUÉRIN.

L'ÉCOLIER.

Un tout petit enfant s'en allait à l'école.
On avait dit: allez!... Il tâchait d'obéir;
Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.
Il pleure, et suit de loin une abeille qui vole.

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Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler?
Moi, je vais à l'école: il faut apprendre à lire ;
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire.
Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler?
Non, dit-elle, j'arrive, et je suis très-pressée.
» J'avais froid: l'aquilon m'a toujours oppressée ;
Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,

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.

Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez, j'en ai déjà puisé dans quatre roses.

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Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.

Vite, vite à la ruche: on ne rit pas toujours;

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C'est pour faire le miel qu'on nous rend les beaux jours. •

Elle fuit et se perd sur la route embaumée.

Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert:

Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée

Se montrait sans nuage, et riait de l'hiver.

Une hirondelle passe : elle effleure la joue
Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue;
Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.
Oh! bonjour, dit l'enfant, qui se souvenait d'elle;

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"

Je t'ai vue à l'automne; oh! bonjour, hirondelle;

Viens! tu portais bonheur à ma maison, et moi

Je voudrais du bonheur. Veux-tu m'en donner, toi? " Jouons. 314 Je le voudrais, répond la voyageuse,

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Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.

Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps;

Ils rèveraient ma mort, si je tardais longtemps;

Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,

J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.

Nous allons relever nos palais dégarnis :

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L'herbe croit, c'est l'instant des plaisirs et des nids.
J'ai tout vu; maintenant, fidèle messagère,

Je vais chercher mes sœurs, là-bas sur le chemin
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère;

Il faut en profiter. Je me sauve!... à demain... ■
L'enfant reste muet; et, la tête baissée,

Rêve et compte ses pas pour tromper son ennui;
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles nœuds, et tombe auprès de lui.

Un dogue l'observait du fond de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas! peut-on crier contre un enfant qui pleure?

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Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu ?

Dit l'écolier plaintif. Je n'aime pas mon livre.

Voyez ! ma main est rouge; il en est cause. Au jeu
Rien ne fatigue, on rit; et moi je voudrais vivre

Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours.

Je m'en plains tous les soirs et j'y vais tous les jours;

» J'en suis très-mécontent. Je n'aime aucune affaire.

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Le sort des chiens me plaît, car ils n'ont rien à faire..

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Ecolier, voyez-vous un laboureur aux champs?

Eh bien! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître.

» Il est très-vigilant; je le suis plus peut-être.

"

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Il dort la nuit et moi j'écarte les méchants.

J'éveille aussi ce bœuf, qui, d'un pas lent, mais ferme,

» Va creuser les sillons quand je garde la ferme.

» Pour vous-même on travaille; et grâce à vos brebis, Votre mère, en chantant, vous file des habits.

» Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange.

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Allez donc à l'école; allez, mon petit ange.

Les chiens ne lisent pas, mais la chaine est pour eux; L'ignorance toujours mène à la servitude.

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nous défend l'étudo;

Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux :

. Les chiens vous serviront.

L'enfant l'écouta dire,

Et même il le baisa. Son livre était moins lourd.

En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.

A l'école, un peu tard, il arrive galment,

Et dans le mois des fruits

lisait couramment.

Mme DESBORDES-VALMORE.

LE MOULIN DE SANS-SOUCI.

Sur le riant côteau par le prince choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude;
Et, de quelque côté que vint souffler le vent,
Il y tournait son aile et s'endormait content.
Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire;
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.

Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre?
Que la soif d'envahir et d'étendre leurs droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois?
En cette occasion le roi fut le moins sage,
Il lorgna du voisin le modeste héritage.
On avait fait des plans, fort beaux sur le papier
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait, sans cela, renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins et masquer l'avenue.
Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant
Fit venir le meunier, et d'un ton important:

Il nous faut ton moulin; que veux-tu qu'on t'er donne

Rien du tout; car j'entends ne le vendre à personne;

Il vous faut, est fort bon... mon moulin est à moi,

-

Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.
Allons, ton dernier mot, bonhomme, et prends-y garde
Faut-il vous parler clair? — Oui. — C'est que je le garde
Voilà mon dernier mot. Ce refus effronté

1) Frédéric, troisième roi de Prusse, surnommé le Grand-Fré deric, à cause de ses victoires. Il monta sur le trône en 1740 el mourut en 1786.

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