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Vient lui dire: - Il est temps enfin de vous connaitre :
Ceux pour qui vous avez de si doux sentiments

Ne sont point du tout vos parents.

C'est d'un chardonneret que le sort vous fit naître.
Vous ne fûtes jamais serin: regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la tête écarlate,

Le bec...

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- Oui, dit l'oiseau, j'ai ce qu'il vous plaira : Mais je n'ai point une âme ingrate,

Et mon cœur toujours chérira

Ceux qui soignèrent mon enfance.

Si mon plumage ne leur ressemble pas bien,
J'en suis fâché; mais leur cœur et le mien

Ont une grande ressemblance.

Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien,
Leurs soins me prouvent le contraire :
Rien n'est vrai comme ce qu'on sent.
Pour un oiseau reconnaissant

Un bienfaiteur est plus qu'un père.

Il faut aimer ses bienfaiteurs comme on aime un père.

FLORIAN.

FABLE XIV.

LE CHAT ET LE MIROIR.

Philosophes hardis, qui passez votre vie
A vouloir expliquer ce qu'on n'explique pas,
Daignez écouter, je vous prie,

Ce trait du plus sage des chats.
Sur une table de toilette

Ce chat aperçut un miroir;

Il y saute, regarde, et d'abord pense voir
Un de ses frères qui le guette.

Notre chat veut le joindre, il se trouve arrêté.
Surpris, il juge alors la glace transparente,
Et passe de l'autre côté,

Ne trouve rien, revient, et le chat se présento.
Il réfléchit un peu de peur que l'animal,

Tandis qu'il fait le tour, ne sorte ;
Sur le haut du miroir il se met à cheval,

Une patte par-ci, l'autre par-là; de sorte
Qu'il puisse partout le saisir.

Alors, croyant bien le tenir,

Doucement vers la glace il incline la tête,
Aperçoit une oreille, et puis deux... A l'instant,
A droite, à gauche, il va jetant

Sa griffe qu'il tient toute prête :

Mais il perd l'équilibre, il tombe et n'a rien pris.
Alors, sans davantage attendre,

Sans chercher plus longtemps ce qu'il ne peut comprendre,
Il laisse le miroir et retourne aux souris :

Que m'importe, dit-il, de percer ce mystère?
Une chose que notre esprit,

Après un long travail, n'entend ni ne saisit,

Ne nous est jamais nécessaire.

Il ne faut pas perdre le temps à chercher l'explication des mystères que notre intelligence ne peut comprendre.

FLORIAN.

FABLE XV.

LA CARPE ET LES CARPILLONS.

- Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord,
Suivez le fond de la rivière :

Craignez la ligne meurtrière,

Ou l'épervier plus dangereux encor.
C'est ainsi que parlait une carpe de Seine,

A de jeunes poissons qui l'écoutaient à peine.
C'était au mois d'avril : les neiges, les glaçons,
Fondus par les zéphirs, descendaient des montagnes ;
Le fleuve enflé par eux s'élève à gros bouillons,
Et déborde dans les campagnes.

Ah! ah! criaient les carpillons,

Qu'en dis-tu, carpe radoteuse?
Crains-tu pour nous les hameçons?

Nous voilà citoyens de la mer orageuse!
Regarde: on ne voit plus que les eaux et le ciel.
Les arbres sont cachés sous l'onde,

Nous sommes les maîtres du monde,
C'est le déluge universel.

Ne croyez pas cela, répond la vieille mère,
Pour que l'eau se retire il ne faut qu'un instant :
Ne vous éloignez point, et, de peur d'accident,
Suivez, suivez toujours le fond de la rivière.

Bah! disent les poissons, tu répètes toujours
Mêmes discours.

Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine.
Parlant ainsi, nos étourdis

Sortent tous du lit de la Seine,

Et s'en vont dans les eaux qui couvrent le pays.
Qu'arriva-t-il ? Les eaux se retirèrent,
Et les carpillons demeurèrent ;
Bientôt ils furent pris
Et frits.

Pourquoi quittaient-ils la rivière ?

- Pourquoi? Je le sais trop, hélas !
C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère :
C'est qu'on veut sortir de sa sphère;

C'est que... c'est que..... je ne finirais pas.

Quand on ne suit pas les conseils de ses parents et de ses maîtres, on se prépare une fin malheureuse.

FLORIAN.

FABLE XVI.

LE CALIFE.

Autrefois dans Bagdad' le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique,
Que ne le fut jamais celui de Salomon.
Cent colonnes d'albâtre en formaient le portique ;
L'or, le jaspe, l'azur décoraient le parvis;
Dans les appartements embellis de sculpture,
Sous les lambris de cèdre, on voyait réunis

Et les trésors du luxe et ceux de la nature :
Les fleurs, les diamants, les parfums, la verdure,
Les myrtes odorants, les chefs-d'œuvre de l'art,
Et les fontaines jaillissantes

(1) Bagdad est le nom d'une ville d'Asie. (2) Les chefs du peuple arabe se nomment califes.

Roulant leurs ondes bondissantes

A côté des lits de brocard.

Près de ce beau palais, juste devant l'entrée,
Une étroite chaumière, antique et délabrée,
D'un pauvre tisserand était l'humble réduit
Là, content du petit produit

D'un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,

Coulait des jours doux et paisibles,
Point envieux, point envié.

J'ai déjà dit que sa retraite

Masquait le devant du palais.

Le visir veut d'abord, sans forme de procès,
Qu'on abatte la maisonnette;

Mais le calife veut que d'abord on l'achète.
Il fallut obéir: on va chercher l'ouvrier:
On lui porte de l'or. - Non, gardez votre somme,
Répond doucement le pauvre homme;

Je n'ai besoin de rien avec mon atelier:

Et, quant à ma maison, je ne puis m'en défaire,
C'est là que je suis né, c'est là qu'est mort mon père,
Je prétends y mourir aussi.

Le calife, s'il veut, peut me chasser d'ici,
Il peut détruire ma chaumière;

Mais, s'il le fait, il me verra

Venir, chaque matin, sur la dernière pierre
M'asseoir et pleurer ma misère.

Je connais Almamon, son cœur en gémira.
Cet insolent discours excita la colère

Du visir, qui voulait punir ce téméraire
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.
Mais le calife lui dit :

Non,

J'ordonne qu'à mes frais elle soit réparée ;
Ma gloire tient à sa durée :

Je veux que nos neveux, en la considérant,
Y trouvent de mon règne un monument auguste;
En voyant le palais ils diront: Il fut grand,

En voyant la chaumière ils diront: Il fut juste.

La grandeur consiste à ne pas abuser de la force pour opprime lus faibles.

FLORIAN.

FABLE XVII.

LE LION DEVENU VIEUX.

Le lion, terreur des forêts,
Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse,'
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,

Devenus fort par sa faiblesse.

Le cheval s'approchant lui donne un coup de pié ;
Le loup un coup de dent, le bouf un coup de corne.
Le malheureux lion, languissant, triste et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin sans faire aucunes plaintes,
Quand voyant l'âne même à son antre accourir : 2
Ah! c'est trop, lui dit-il : je voulais bien mourir ;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.

L'injure est plus pénible à supporter quand elle vient d'un homme qui devrait nous respecter, et qui est habitué à nous craindre. LA FONTAINE

FABLE XVIII.

LE CHAT ET LE VIEUX RAT.

J'ai lu chez un conteur de fables,

Qu'un second Rodilard, l'Alexandre3 des chats,
L'Attila, le fléau des rats,

Rendait ces derniers misérables :

J'ai lu, dis-je, en certain auteur,

Que ce chat exterminateur,

Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde.
Il voulait de souris dépeupler tout le monde.

(1) Son ancienne force. (2) Phèdre dit de plus que l'ane frappa le lion. C'est de là que nous vient l'expression proverbiale dont l'application est si commune Le coup de pied de l'âne. (3) Roi de Macédoine, un des plus grands héros de l'antiquité. (4) Roi des Huns, qui se faisait appeler le fléau de Dieu. (5) Chien à trois têtes, qui gardait l'entrée des enfers, suivant les palens.

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