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tant de bleffures à la guerre, qu'il en étoit tout mutilé; il y avoit perdu un bras, une jambe, un œil, une oreille. Après sa mort il parut une Epitaphe à ce fujet, qui eft fort eftimée pour le caractere de fublimité qui y regne. L'Auteur s'adresse au Tombeau de ce célebre Général.

Du corps du grand Rantzau tu n'as qu'une des

parts,

L'autre moitié refta dans les plaines de Mars a Il difperfa par-tout les membres & fa gloire. Tout abattu qu'il fut, il demeura vainqueur : Son fang fut en cent lieux le prix de sa victoire Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le cœure

D

A

CHAPITRE III

Des Sentimens.

La matiere dont nous allons parler a um rapport immédiat avec la précédente; car avoir de grands fentimens, c'eft penfer noblement : mais comme le terme de penfée, à proprement parler, s'entend des productions de l'efprit, & que celui de fentimens s'entend des affections du cœur, nous avons cru devoir féparer ces deux objets. Nous allons donc confidérer les penfées relativement aux différentes impreffions de notre ame & dans l'ordre des fentimens, mais de fentimens que l'efprit a fu rendre fouvent avec beaude délicateffe. On fait, comme nous l'avons déja remarqué, qu'outre la délicateffe dans les penfées qui vient purement de l'efprit, il y en a une qui vient des fentimens & où l'affection a plus de part que l'intelligence; ainsi nous n'envifageons ici les penfées que comme les expreflions des grands fentimens dont nous nous fommes propofé de donner des exemples. Telles font les penfées qui ex

coup

priment le fentiment d'une noble ambition, d'une gloire bien placée, d'une tendreffe vive, & même d'une haine forte & en général de toutes celles qui peignent quelque grande agitation de l'ame. Le fentiment fait tout l'effet dans ces fortes de pensées, il en eft l'objet principal & dominant le tour que le Poëte a pris pour le rendre, n'en eft que l'acceffoire; ce n'eft pas de ce côté-là qu'on doit arrêter fon efprit, car fouvent les fentimens font exprimés en deux ou trois mots fort fimples par eux-mêmes. On en verra des exemples dans le genre fublime.

A l'égard de l'utilité dont ces fortes d'exemples peuvent être aux jeunes gens, on peut dire en un fens des fentimens ce qu'on a dit de l'étude, fcavoir, qu'ils nouriffent & fortifient l'efprit par les fublimes vérités qu'ils lui préfentent. Les grands fentimens nous élevent au-deffus de nous-mêmes; ils multiplient nos idées, & les rendent plus variées & plus vives; ils nous déployent, pour ainfi dire, toute l'ame des grands hommes de l'antiquité; nous y voyons comme ils penfoient,& fur quel ton, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, leurs entretiens étoient montés. On eft ravi d'entendre des difcours pleins de cette grandeur & de cette noblesse Ro

maine qui, felon la remarque d'un homme célebre (a), ne se trouve prefque plus que dans les livres. Or, comme il arrive qu'on prend le fentiment de ceux avec qui on vit ordinairement, il est vrai de dire que les jeunes gens ne peuvent que profiter de ces fortes d'exemples qu'on leur met fous les yeux. Ils s'accoutument par-là à fentir le beau & à goûter des maximes de fageffe. Ils peuvent prendre de ces grands hommes cette nobleffe, cette grandear d'ame, cet amour de la justice & du bien public qui éclate dans tous leur difcours. En un mot, c'eft une vérité inconteftable que les grands fentimens élevent l'ame & nourriffent le courage. En écoutant le langage des Princes & des grands hommes, en lifant tous les traits fententieux qui partoient de leur bouche, on prend infenfiblement du goût pour la vertu, & il se fait fur l'efprit une impreffion fenfible qui tourne au profit des mœurs. Le pente aux vices fe corrige par l'exemple des vertus.

(a) M. Rollin.

Sentimens dignes des Rois,

Le Poëte fait parler l'Empereur Titus dans le morceau fuivant :

Je ne prends point pour Juge une Cour idolâtre,
Paulin; je me propofe un plus ample théâtre ;
Et fans prêter l'oreille à la voix des flatteurs,
Je veux par votre bouche entendre tous les

cœurs.

Vous me l'avez promis...... Le refpect & la

crainte

Ferment autour de moi le paffage à la plainte. Pour mieux voir, cher Paulin, & pour entendre - mieux,

Je vous ai demandé des oreilles, des yeux ;

J'ai mis même à ce prix mon amitié secrete:
J'ai voulu que des cœurs vous fuffiez l'interprete,
Qu'au travers des flatteurs votre fincérité
Fit toujours jufqu'à moi paffer la vérité,

Et ailleurs le même Empereur dit:

Sont-ce là ces projets de grandeur & de gloire Qui devoient dans les cœurs confacrer ma mé

moire ?

Depuis huit jours je regne, & jufques à ce jour,

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