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blimes. Ce font celles qui font pleines d'un grand fens, exprimé en peu de paroles, d une maniere vive. On en verra des exemples au Chapitre des Sentimens dans le genre fublime: ces fortes de Penfées entraînent comme par force notre ju. gement, & remuent toute notre ame. Elles plaifent beaucoup, parcequ'elles ont du grand qui charme toujours l'efprit. Cette nobleffe des Penfées vient encore de la nature des figures que l'on emploie pour peindre les objets. La Métaphore, par exemple, eft une forte de figure qui produir un merveilleux effet fur notre imagination. Rien ne flatte plus l'efprit que la repréfentation d'un objet fous une image étrangere, comme dans cette Pênfée Les Lis ne filent point, pour dire qu'en France les filles ne fuccedent point à la Couronne. Il en eft de même des Métaphores animées & qui marquent de l'action; telle eft cette expreffion de Malherbe, pour dire que la mort n'épargne perfonne: Et la Garde qui veille aux barrieres du Louvre n'en défend pas nos: Rois; ou celle d'Horace, lorfqu'il veut faire entendre que les Grands ne font point exempts de foucis, car il les dépeint volant autour des lambris dorés : Ez

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curas laqueata circum tecta volantes (a). Mais il faut obferver que la véritable grandeur & la nobleffe des Penfées doivent avoir de juftes mefures; tout ce qui excede eft hors des regles de la perfection.

Des Penfées délicates.

Les Penfées délicates ont cela de propre, qu'elles font fouvent renfermées en peu de paroles, & que le fens qu'elles contiennent n'eft pas fi vifible ni fi marqué; il femble d'abord qu'elles le cachent en partie, afin qu'on le cherche & qu'on le devine, ou du moins elles le laiffent feulement entrevoir, pour nous donner le plaifir de le découvrir tout-à-fait quand on a de l'efprit. Ce petit myftere eft comme l'ame de la délicatesse des Penfées, en forte que celles qui n'ont rien de mystérieux ni dans le fonds ni dans le tour, & qui fe montrent tout entieres à la première vue, ne font pas, à proprement parler, délicates, quelque fpirituel les qu'elles foient, d'où l'on peut remar

(x) Liv. 2, Ode 13.

quer que la délicateffe ajoute je ne fais quoi d'agréable au fublime même. Une réflexion fubtile & judicieufe tout enfemble, contribue beaucoup à cette délicateffe. Ces fortes de Pensées font ordinairement exprimées d'une maniere vive, qui plaît infiniment par le tour ingénieux & peu commun dont elles font rendues; c'est ce tour même qui les fait fouvent appeller brillantes. If eft certain qu'elles ennobliffent la matiere traitée par l'Auteur; elles donnent de la grace & de l'élévation au difcours. Mais outre la délicatelle des Penfées qui vient de l'efprit feulement, il y en a une qui vient des fentimens, & où l'affection a plus de part que l'intelligence; c'eft ce qu'on verra avec un peu plus de détail dans le Chapitre des grands Sentimens. Nous allons donner de fuite quelques exemples de Penfées nobles & délicates.

Exemples de Penfées nobles &

délicates.

Un de nos Poëtes termine ainfi l'Epita phe du Cardinal de Richelieu :

Il fut trop abfolu fur l'efprit de fon Maître ;
Mais fon Maître par lui fut le Maître des Rois.

Dans un éloge de Louis XIV, non imprimé, un Poëte s'exprime ainfi :

Son ame eft au-deffus de fa grandeur fuprême :
La vertu brille en lui plus que le diadême ;
Et quoiqu'un vafte Etat foit foumis à fa loi,
Le Héros en Louis eft plus grand que le Roi.

Après la publication d'une fameufe paix, on parloit ainfi de Louis XIV:

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Pour le bonheur de cent Peuples divers,

Aime mieux calmer l'Univers,

Que d'acheve de s'en rendre le maître. Il cherche à rendre heureux jufqu'à fes ennemis: Tout eft par fes travaux dans une paix profonde ;

Et ce n'eft plus à Mars qu'il peut être permis

De troubler le repos du monde.....

Ballet du Triomphe de l'Amour.

Il a fait fur lui-même un effort généreux:
Il veut rendre le monde heureux ;

Il préfere au bonheur d'en devenir le maître,
La gloire de montrer qu'il mérite de l'être....
Perfée, Tragédie en mufique.

Les Mufes vont lui faire entendre

Mille nouveaux concerts.

De fa grandeur il fe plaît à defcendre: Il fait mêler les jeux à cent travaux divers. L'envie en vain frémit de voir les biens qu'il cause. Une aimable paix eft la loi

Que ce Vainqueur impose:

Son tonnerre infpire l'effroi,

Dans le temps même qu'il repofe.

Phaeton, Prologue

Qu'il regne ce Héros, qu'il triomphe toujours!

Qu'avec lui foit toujours la paix ou la victoire ! Que le cours de fes ans dure autant que le cours De la Seine & de la Loire !

Qu'il regne de Héros, qu'il triomphe toujours! Qu'il vive autant que fa gloire!

Ces dernier vers font du grand Racine, & terminent une Idylle qu'il avoit faite fur la paix, & qui fut chantée dans l'O

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