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J'adore en périffant la raison qui t'aigrit:

Mais deffus quel endroit tombera ton tonnerre, Qui ne foit tout couvert du fang de Jesus-Chrift?

Perfonne n'ignore que ce Sonnet eft un des plus beaux que la Poéfie Françoise ait jamais produit.

Fin des Sujets Sacrés.

De ce qui contribue à la beauté de la
Poéfie.

ET 1. DES PENSÉES.

Lrs Penfées font les images des choses;

ES

car penfer, c'eft former en foi la peinture d'un objet fpirituel ou fenfible.

la

1o. De ce principe, il fuit que premiere qualité (a) que doit avoir une Penfée, ceft d'être vraie, puifque les images & les peintures ne font véritables qu'autant qu'elles font reffemblantes: ainfi une Pensée eft vraie, lorfqu'elle repréfente les chofes fidellement; & elle eft fauffe, quand elle les fait voir autrement qu'elles ne font. Les Pensées font plus ou moins vraies, felon qu'elles font plus ou moins conformes à leur objet ; cette conformité fait la jufteffe de la Penfée une Penfée jufte eft une Penfée vraie de tous les côtés.

Mais pour penfer bien, il ne fuffit pas

(a) Qualités que

dcivent avoir les Penfées.

que les Penfées n'aient rien de faux; car les Penfées, à force d'être vraies, font quelquefois triviales: ainfi outre la vérité qui contente l'efprit, il faut quelque chofe qui le frappe & qui le furprene. Nais

comme toutes les Penfé enicafes ne fauroient être nouvelles. 'fat nu moins que celles qui font employés dans des ouvrages d'efprit, ne fe eat point u ́ées.

2o. On peu dire que dans ce genre, & fur-tout en fait de Poéfie, la vérité qui plaît tant ailleurs fans nul ornement, en demande ici néceffairement; & cet ornement n'eft quelquefois qu'un tour nouveau qu'on donne aux chofes par des figures, des comparaifons, des allégories, des métaphores & autres fecours de l'art, qu'un efprit facile fait mettre en ufage.

3. Elles doivent être proportionnées au fujet qu'on traite; ainfi, dans une matiere férieufe & élevée, des Penfées badines & familieres feroient déplacées, de même que dans un fujet gái & riant, on trouveroit mauvais qu'un Auteur employât des figures & des comparaifons,qui ne font propres qu'au genre fublime.

4°. °. Elles doivent être claires & intelligibles; autrement, quelque fublimes,

quelque agréables, quelque délicates qu'elles foient, elles perdent tout leur prix, & on ne fait aucun cas de l'efprit de l'Auteur. En toute forte de matieres, l'obfcurité eft très vicieufe. Ce que des perfonnes intelligentes ont peine à enrendre, n'eft point ingénieux : on eft obfcur à mesure qu'on a le fens petit & le goût mauvais.

. Il faut qu'elles laiffent quelque chofe à penser à ceux qui les lifent ou qui les entendent. Agir autrement & tourner trop long-temps autour d'une même Penfée, c'eft épuifer le fujet, & c'eft tomber dans le défaut qu'on a fi juftement reproché à Ovide. Un des plus furs moyen de plaire n'eft pas tant de dire & de penfer, comme de faire penfer & de faire dire (a). Un Auteur qui veut tout dire, ôte au Lecteur un plaifir qui le charme,& pour lequel il goûteles Ouvrages d'efprit; il le choque même,parcequ'il lui donne fujet de croire qu'on fe défie de fa capacité : au lieu que l'adreffe de l'Auteur eft d'ouvrir feulement l'efprit du Lecteur, en lui préparant de quoi produire & de quoi raifonner.

(a) Bouhours,

Par-là le Lecteur attribue ce qu'il penfe à un effet de fon génie.

6°. Elles doivent être naturelles. Les Penfées naturelles font celles que la nature du fujet préfente, qui naiffent pour ainfi dire du fujet même, où rien n'eft tiré de loin, ni trop recherché. Une Pensée naturelle femble devoir venir à tout le monde, & n'avoir prefque rien coûté à trouver. Rien n'eft beau s'il n'eft naturel. 7°. Enfin elles doivent être nobles & délicates; car comme le vrai eft l'ame d'une Penfée, la nobleffe & la délicateffe en font l'ornement & en rehauffent le prix. Nous allons voir ce qu'on doit entendre par ces deux qualités.

Des Penfées nobles, grandes & fublimes.

La nobleffe des Penfées vient, felon Hermogene, de la majefté des chofes dont elles font les images. Telle eft la nature de celles qui paffent pour grandes & illuftres parmi les hommes, comme la puissance la générofité, l'efprit, le courage, les victoires, les triomphes, les grands traits de vertu & de magnanimité qui caractérifent les Héros, &c. On doit mettre dans la même efpece les Penfées fortes & fu→

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