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Qu'a fait aux Dieux cruels fa malheureuse fille ?
Quel crime contre Electre arme enfin fa famille ?
Une mere en fureur la hait & la poursuit,
Ou fon frere n'est plus, ou le cruel la fuit.
Ah! donnez-moi la mort, ou me rendez Orefte.

ORESTE.

Eh bien, il vit encore, il eft même en ces lieux, Gardez-vous cependant...

ELECT RE.

Qu'il paroiffe à mes yeux.

Orefte! fe peut-il qu'Elèctre te revoie ?
Montrez-le moi, duffè-je en expirer de joie.
Mais hélas ! n'eft-ce point lui-même que je vois?
C'eft Orefte, c'eft lui, c'eft mon frere & mon Roi.
Aux tranfports qu'en mon cœur fon aspect à fait
naître,

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Eh! comment fi long-temps l'ai-je pu méconnoître? Je vous revois enfin, cher objet de mes vœux! Momens tant fouhaités! ô jour trois fois heu

reux !

Vous vous attendriffez! je vois couler vos larmes! Ah! Seigneur, que ces pleurs pour Electre ont de charmes !

Que ces traits, ces regards pour elle ont de dou

ceur !

C'est donc vous que j'embraffe, ô mon frere!

OREST E. .

Ah, ma four!

Mon amitié trahit un important mystere:
Mais, hélas! que ne peut Electre fur fon frere?

ELECT R E.

Eft-ce de moi, cruel! qu'il vous faut défier,
D'une fœur qui voudroit tout vous facrifier?
Et quelle autre amitié fut jamais fi parfaite

OREST E.

Je n'ai craint que l'ardeur d'une joie indifcrete. Diffimulez des foins quoique pour moi fi doux. Ma fœur, à me cacher j'ai fouffert plus que vous. D'ailleurs jufqu'à ce jour je m'ignorois moi-mê

ine.

Palamede pour moi rempli d'un zele extrême,
Pour conferver des jours à fa garde commis,
M'élevoit à Samos fous le nom de fon fils.
Le fien eft mort, ma fœur; la colere céleste
A fait périr l'ami le plus chéri d'Orefte;

Et peut-être fans vous, moins fenfible à vos maux,
Envierois-je le fort qu'il trouva dans les flots.

ELECT R E.

Se peut-il qu'en regrets votre cœur le confume? Ah! Seigneur, laissez-moi jouir fans amertume

T

Du plaifir de revoir un frere tant aimé.
Quel entretien pour moi! que mon cœur eft char

mé!

J'oublie en vous voyant qu'ailleurs peut-êre on
m'aime,

J'oublie auprès de vous jusques à l'amant même.
Surmontez comme moi ce penchant trop flatteur
Qui femble, malgré vous, entraîner votre cœur.
Quel que foit votre amour, les traits d'Iphianasse
N'ont rien de fi charmant que la vertu n'efface.

OREST E.

La vertu fur mon cœur n'a que trop de pouvoir,
Ma fœur ; & mon nom seul suffit à mon devoir.
Non, ne redoutez rien du feu qui me poffede.
On vient, féparons-nous. Mais non, c'est Pala-
Electre de Crébillon,

mede.

Fureur jaloufe.

Zaïre, fille de Lufignan, Prince du fang des Rois de Jérufalem, étoit aimée d'Orofmane Soudan de cette ville, & elle étoit fur le point de devenir fa femme, lorfque Lufignan tiré de la prifon où il étoit depuis longues années, la reconnut pour être fa fille, apprit avec douleur qu'elle étoit Mufulmane, & lui fit promettre de fe faire Chrétienne, & de s'é

chapper du Palais du Soudan avec Néreftan fon frere, pour paffer en France. C'est dans ces circonftances que le Soudan ayant déclaré à Zaïre que le moment étoit venu où il vouloit l'époufer, elle ne lui répond que par fes larmes, & le prie de lui donner du temps; ce qui jette le Soudan, homme fier & colere, dans une vive crainte que Zaïre n'aime Nérestan ce Chrétien que le Soudan ignoroit être fon frere. C'eft le fujet de la fcene fuivante dans laquelle Orofmane rend compte à fon confident du trouble qui l'agitoit.

OROSMA N E.

Corafmin, quel eft donc ce changement extrême? Je la laiffe échapper! Je m'ignore moi-même.

CORAS MIN.

Vous feul caufez fon trouble, & vous vous en plai

gnez,

Vous accufez peut-être un cœur où vous regnez

OROSMAN E.

Mais pourquoi donc ces pleurs, ce trouble, cette

fuite,

Cette douleur fi fombre en fes regards écrite?
Si c'étoit ce François.... Quel foupçon ! quelle

horreur !

Quelle lumiere affreufe a paffé dans mon cœur !

Ον

Hélas! je repouffois ma jufte défiance..
Un barbare, un efclave auroit cette infolence!
Cher ami, je verrois un cœur comme le mien
Réduit à redouter un Efclave chrétien !
Mais parle, tu pouvois obferver fon vifage;
Tu pouvois de les yeux entendre le langage
Ne me déguise rien, mes feux font-ils trahis ?
Apprends-moi mon malheur... Tu trembles... Tu
frémis...

C'en eft affez.

CORAS MIN.

:

Je crains d'irriter vos alarmes.

Il eft vrai que fes yeux ont verfé quelques larmes: Mais, Seigneur, après tout je n'ai rien obfervé Qui doive...

OROSMAN E.

A cet affront je ferois réservé!

Non, fi Zaïre, ami, n'avoit fait cette offense,
Elle eût avec plus d'art trompé ma confiance.
Le déplaifir fecret de mon cœur agité,
Si ce cœur eft perfide, auroit-il éclaté ?
Ecoute; garde-toi de foupçonner Zaïre.
Mais, dis-tu, ce François gémit, pleure, fou
pire...

Que m'importe après tout le fujet de fes pleurs?
Qui fait fi l'amour même entre dans fes douleurs?

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