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S'attirent dans leur courfe, & s'évitent fans ceffe ;
Ét fervant l'un à l'autre & de regle & d'appui
Se prêtent les clartés qu'ils reçoivent de lui.
Au-delà de leur cours, & loin dans cet espace
Où la matiere nage, & que Dieu feul embraffe,
Sont des foleils fans nombre & des mondes fans
fin:

Dans cet abîme immenfe il leur ouvre un chemin.
Par-delà tous ces Cieux le Dieu des Cieux ré-

fide...

Henriade, Chant VII. ́

Des Portraits.

On doit faire les mêmes obfervations fur les portraits, que nous avons faites fur les defcriptions ou les peintures vives. Ils ne font autre chofe que ce que les Rhétoriciens appellent Epopée, c'est-àdire, la peinture du caractere & des mœurs d'une perfonne, ou les différens attributs de quelque vertu ou de quelque vice qui font fouvent perfonnifiés par le Poëte. Ils doivent être foutenus par des images vives & expreffives, qui alent une parfaite conformité avec le caractere de la perfonne ou la nature de la chofe qu'on veut dépeindre. Ce font les tableaux de la Poéfie, de même que fes Defcriptions.

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Portrait d'un ambitieux qui facrifie tous les devoirs à fa paffion.

Né Miniftre du Dieu qu'en ce Temple on adore, Peut-être que Mathan le ferviroit encore,

Si l'amour des grandeurs, la foif de commander, Avec fon joug étroit pouvoient s'accommoder... Vaincu par lui (4), j'entrai dans une autre carriere,

Et mon ame à la Cour s'attacha toute entiere. J'approchai par degrés de l'oreille des Rois,

Et bien-tôt en oracle on érigea ma voix.

J'étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices,
Je leur femai de fleurs le bord des précipices.
Près de leurs paffions rien ne me fut facré.
De mefure & de poids je changeois à leur gré.
Autant que
de Joad l'inflexible rudeffe

¿De leur fuperbe oreille offenfoit la molleffe,
Autant je les charmois par ma dextérité,

Dérobant à leurs yeux la trifte vérité,

Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,
Et prodigue fur-tout du fang des miférables...
Par-là je me rendis terrible à mon rival,
Je ceignis la tiare, & marchai fon égal.
Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire,

(4) Par Joad,

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Du Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire
Jette encore en mon ame un refte de terreur,
Et c'est ce qui redouble & nourrit ma fureur.
Athalie de Racine.

Portrait de Rhadamifte par lui-même (a).

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Et que fais-je, Hiéron? furieux, incertain,
Criminel fans penchant, vertueux fans dessein;
Jouet infortuné de ma douleur extrême,
Dans l'état où je fuis, me connois-je moi-même ?
Mon cœur de foins divers fans ceffe combattu,
Ennemi du forfait fans aimer la vertu,
D'un amour malheureux déplorable victime,
S'abandonne aux remords fans renoncer au crime.
Je cede au repentir mais fans en profiter,
Et je ne me connois que pour me détester.
Dans ce cruel féjour fais-je ce qui m'entraîne ?
Si c'est le défespoir, ou l'amour, ou la haine
J'ai perdu Zénobie: après ce coup affreux

Peux-tu me demander encor ce que je veux >
Défefpéré, profcrit, abhorrant la lumiere,

(a) Dans un transport de jalousie il avoit poignardé fa femme Zénobie, & l'avoit jetée dans un fleuve; mais elle fut fauvée, & fa bleffure ne fut pas mortelle : il la retrouve enfuite. On verra leur reconnoiffance à la fuse de ce Recueil,

Je voudrois me venger de la nature entiere.
Je ne fais quel poison se répand dans mon cœure
Mais jufqu'à mes remords tout y devient fureur.
Crébil. Trag. de Rhadam. & Zénob.

Attila, Roi des. Huns, fair ainfi l'éloge de Mérouée, un des premiers Rois de la Monarchie Françoife. Le grand Corneille le fait parler en ces termes :

C'est le plus grand des Rois : non qu'encor Fa victoire

Ait porté Mérouée à ce comble de gloire:

Mais fi de nos Devins l'Oracle n'eft point faux, Sa grandeur doit atteindre aux degrés les plus

hauts;

Et de fes fucceffeurs l'Empire inébranlable
Sera de fiecle en fiecle enfin fi redoutable,
Qu'un jour toute la terre en recevra des loix;
Ou tremblera du moins au nom de leurs François.

Attila.

Octar, Capitaine des Gardes d'Attila, parle également de Mérouée, mais plus en détail. C'est le vrai portrait d'un grand Prince.

Je l'ai vu dans la paix, je l'ai vu dans la guerre Porter par-tout un front de maître de la Terre

J'ai vu plus d'une fois des fieres Nations

Défarmer fon courroux par leurs foumiffions.
J'ai vu tous les plaisirs de fon ame héroïque
N'avoir rien que dugufte & que de magnifique,
Et fes illuftres foins ouvrir à ses sujets
L'école de la guerre au milieu de la paix.
Par ces délaffemens fa noble inquiétude
De fes juftes deffeins faifoit l'heureux prélude;
Et fi j'ofe le dire, il doit nous être doux
Que ce Héros les tourne ailleurs que contre nous,
Je l'ai vu tout couvert de poudre & de fumée
Donner le grand exemple à toute fon Armée,
Semer par fes périls l'effroi de toutes parts,
Bouleverser les murs d'un feul de ses regards;
Et fur l'orgueil brifé des plus fuperbes têtes,
De fa courfe rapide entaffer les conquêtes.

Attila de Corneille.

Il y a une fi grande conformité entre ce portrait & celui que les Hiftoriens & les Poëtes ont fait en tant d'endroits de Louis XIV, qu'on peut conjecturer que c'eft indirectement fon propre portrait le Poëte a voulu tracer; c'eft un tour plus délicat & plus noble qui fait un plus bel effet qu'un éloge direct & perfonnel.

que

Voici comment s'exprime M. de Voltaire dans fa Henriade au fujet de l'An

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