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affreux, ont de quoi plaire s'ils font bien exprimés; le plaifir qu'on a de voir une belle imitation ne vient pas précisément de l'objet, mais de la réflexion que fait l'efprit, qu'il n'y a rien en effet de plus reffemblant. Les exemples fuivans feront fentir l'effet que doivent produire les peintures vives.

Cinna raconte à Emilie les progrès de la confpiration qu'il avoit formée contre Augufte.

Jamais contre un tyran entreprise conçue
Ne permit d'efpérer une fi belle iffue ;

Jamais de telle ardeur on n'en jura la mort,
Es jamais conjurés ne furent mieux d'accord.....
Plût à Dieu que vous-même cuffiez vu de quel
zele

Cette troupe entreprend une action fi belle!...
Amis, leur ai-je dit, voici le jour heureux
Qui doit conclure enfin nos deffeins généreux.
Le Ciel entre nos mains a mis le fort de Rome,
Et fon falut dépend de la perte d'un homme....
Au feul nom de Céfar, d'Augufte & d'Empereur,
Vous euffiez vu leurs yeux s'enflammer de fu-

reur...

Là par un long récit de toutes les miferes

Que pendant notre enfance ont enduré nos peres,

Renouvellant leur haine avec leur fouvenir;
Je redouble en leurs cœurs l'ardeur de le punir...
J'ajoute à ce tableau la peinture effroyable
De leur concorde impie, affreufe, inexorable,
Funefte aux gens de bien, aux riches, au Sénat,
Et, pour tout dire enfin, de leur Triumvirat.
Mais je ne trouve point de conleurs assez noires
Pour en représenter les tragiques hiftoires.
Je les peins dans le meurtre à l'envi triomphans ;
Rome entiere noyée au fang de ses enfans ;
Les uns affaffinés dans les places publiques,
Les autres dans le fein de leurs Dieux domefti-
ques;

Le méchant par le prix au crime encouragé ;
Le mari par fa femme en fon lit égorgé ;
Le fils tout dégouttant du meurtre de son pere,
Et fa tête à la main demandant fon falaire;
Sans pouvoir exprimer par tant d'horribles traits
Qu'un crayon imparfait de leur fanglante paix.
Vous dirai-je les noms de ces grands perfonnages
Dont j'ai dépeint les morts pour aigrir leurs cou
rages?...

J'ajoute en peu de mots : toutes ces cruautés,
La perte de nos biens & de nos libertés,
Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les profcriptions & les guerres civiles
Sont les degrés fanglans dont Auguste à fait choix
Pour monter fur le Trâne, & nous donner des loix.

Mais nous pouvons changer un deftin fi funefte,
Puifque de trois tyrans c'est le feul qui nous reste,
Et que jufte une fois, il s'eft privé d'appui,'
Perdant pour regner feul deux méchans après lui...
A peine ai-je achevé, que chacun renouvelle
Par un noble ferment le vœu d'être fidele:
L'occasion leur plaît; mais chacun veut pour
L'honneur du premier coup que j'ai choisi pour
moi.
Cinna de Corneille.

foi

L'Oracle de Calchas avoit prononcé que les Grecs faifoient de vains efforts pour prendre la ville de Troye, & qu'ils devoient facrifier Iphigénie, fille d'Agamemnon, Chef des Princes Troyens, pour obtenir des Dieux un vent favorable qui les conduisît à Troye. Dans le récit fuivant Ulyffe raconte à Clytemnestre, mere d'Iphigénie, comment fa fille a échappé de la mort, & comment l'Oracle a eu néanmoins fon accompliffement :

Jamais journ'a paru fi mortel à la Grece.
Déja de tout le camp la difcorde maîtreffe
Avoit fur tous les yeux mis fon bandeau fatal
Et donné du combat le funefte fignal.
De ce fpectacle affreux votre fille alarmée,
Voyoit pour elle Achille & contre elle l'Armée,

Mais, quoique feul pour elle, Achille furieux
Epouvantoit l'Armée, & partageoit les Dieux.
Déja de traits en l'air s'élevoit un nuage;
Déja couloit le fang, prémices du carnage.
Entre les deux partis Calchas s'eft avancé,
L'œil farouche, l'air fombre & le poil hérifié,
Terrible & plein du Dieu qui l'agitoit sans doute :
Vous Achille, a-t-il dit, & vous Grecs, qu'on m'é-

coute.

Le Dieu qui maintenant vous parle par ma voix,
M'explique fon Oracle & m'inftruit de fon choix.
Un autre fang d'Hélene, une autre Iphigénie,
Sur ce bord immolée, y doit laisser sa vie.
Théfée avec Hélene uni secrétement
Fit fuccéder l'hymen à fon enlevement.
Une fille en fortit, que fa mere a celée.
Du nom d'Iphigénie elle fut appellée....
Elle me voit, m'entend, elle est devant vos yeux ;
Et c'eft elle en un mot que demandent les Dieux.
Ainfi parle Calchas. Tout le Camp immobile
L'écoute avec frayeur & regarde Eriphile.
Elle étoit à l'Autel, & peut-être en fon cœur
Du fatal Sacrifice accufoit la lenteur.
Elle-même tantôt d'une courfe fubite
Etoit venue aux Grecs annoncer votre fuite.
On admire en fecret fa naiffance & fon fort.
Mais puifque Troye enfin eft le prix de fa mort,
L'Armée à haute voix fe déclare contre elle,

Et prononce à Calchas fa fentence mortelle.
Déja pour la faifir Calchas leve le bras.
Arrête, a-t-elle dit, & ne m'approche pas.
Le fang de ces Héros, dont tu me fais defcendre,
Sans tes profanes mains, faura bien se répandre.
Furieufe elle vole, & fur l'Autel prochain
Prend le facré couteau, le plonge dans son sein.
A peine fon fang coule & fait rougir la terre,
Les Dieux font fur l'Autel entendre le tonnerre,
Les vents agitent l'air d'heureux frémissemens,
Et la mer leur répond par fes mugissemens...
Tout s'empreffe, tout part: la feule Iphigénie
Dans ce commun bonheur pleure fon ennemie,
Des mains d'Agamemnon venez la recevoir;
Venez: Achille & lui brûlent de vous revoir.
Iphigénie de Racine.

Peintures vives.

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Pauline, femme de Polyeucte, Seigneur Arménien, raconte à une de fes confidentes un fonge qui lui donnoit de grandes alarmes fur le compte de fon mari. Or il eft bon de favoir que Polyeucte avoit embraffé depuis peu le Chriftianifme; mais il n'en faifoit par encore profeffion ouvertement, & Pauline fa femme, qui étoit Païenne, ne favoit encore rien de fon changement: dans ce moment elle

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