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clatants succès dans la guerre, s'il soumet à sa domination des provinces ou des nations entières, on sait assez qu'alors toutes les trompettes de la renommée peuvent à peine suffire à célébrer la grandeur de sa fortune, l'éclat de ses prospérités, et la splendeur de son nom. Tous les conquérants, depuis Sésostris et Cyrus, jusqu'à Louis XIV et à Bonaparte, ont fait l'admiration de ce qu'en style poétique et oratoire on est convenu d'appeler l'univers, c'est-àdire, en effet, de la très grande majorité des hommes dont leurs actions et leurs noms ont pu être

connus.

Les talents supérieurs et les brillants succès dans l'administration des affaires publiques, sont aussi une occasion de gloire, l'objet de l'estime et de l'admiration générales, quoique, à vrai dire, le nombre des personnes capables d'en juger avec impartialité et avec discernement soit toujours fort peu considé

qu'en donne Cicéron : « La gloire, dit-il, est une chose qui «< a du corps et du relief, et non pas un vain fantôme : c'est l'applaudissement unanime des gens de bien, la voix incorruptible de ceux qui savent juger sainement d'une vertu éminente, et comme l'écho fidèle qui en propage au loin le << retentissement. » Est enim gloria solida quædam res et expressa, non adumbrata: ea est consentiens laus bonorum, incorrupta vox bene judicantium de excellente virtute : ea virtuti resonat tamquam imago.

(Tusculan., 1. III, c. II. )

rable. D'ailleurs, ce genre de supériorité a besoin, pour se manifester, d'un grand ensemble de ressources et de moyens entièrement étrangers à celui qui possède de pareils talents. Au contraire, le génie qui s'illustre par des chefs-d'œuvre dans les arts, dans les sciences ou dans les lettres est plus indépendant du concours des circonstances et des moyens extérieurs. Il semble puiser dans son propre fonds tout ce qu'il produit de plus admirable; il dispose, presqu'à tous les instants, de toutes ses resil les porte, pour ainsi dire, en lui et avec lui. Aussi la gloire qui s'obtient par cette voie estelle, en général, la plus durable de toutes; c'est aussi celle à qui l'on accorde l'intérêt le plus vif et le mieux senti, la sympathie la plus pure, la plus dégagée de tout 'retour sur soi-même.

sources;

Maintenant, si l'on parcourt toutes les situations, tous les degrés de la hiérarchie sociale, depuis les dernières classes du peuple jusqu'aux conditions les plus élevées; si l'on considère également tous les degrés de richesse, de pouvoir, etc., qui sont comme répartis entre ces termes extrêmes, on reconnaîtra, ce me semble, qu'il existe pour chaque condition une certaine quantité de ces biens, qui peuvent être l'objet d'un désir commun et naturel pour les individus compris dans cette condition; sans compter que l'espoir de s'élever à des degrés immédiatement supérieurs, ou même d'en franchir un certain nombre,

peut naître dans l'ame de beaucoup d'entr'eux, et se réaliser pour plusieurs.

Or, ce désir, plus ou moins ardent, suivant le caractère, le tempérament, la capacité intellectuelle ou morale, et les circonstances propres à chaque individu, peut se satisfaire de deux manières. La richesse, le pouvoir, la renommée, peuvent être considérés comme une récompense, comme un prix, ou plus généralement comme un bien, qu'on ne peut obtenir qu'en le méritant, ou en l'usurpant. Nous avons déja vu qu'on ne peut le mériter que par des actions et un système de conduite inspirés par la prédominance des sentiments véritablement sympathiques. Mais on peut l'usurper par force ou par adresse, y employer la violence ou la ruse, système de conduite qui porte évidemment l'empreinte de la prédominance des sentiments personnels.

Mais, sans parler des richesses, dont il a déja été question précédemment, et en nous bornant à ce qui regarde uniquement la considération, l'estime, la bonne renommée, qui sont, comme on l'a vu, des modes divers de cette sympathie dont personne ne peut absolument se passer, ceux qui en sont le plus avides sont quelquefois les hommes le moins capables de la mériter. Une certaine disposition d'esprit ou de caractère, des circonstances particulières de rang ou de situation dans le monde, leur donnent, en ce genre, des prétentions dont ils ne

soupçonnent pas même l'injustice ou le peu de fon

dement.

§ 12. Orgueil.

L'orgueilleux, par exemple, est précisément dans ce cas; il semble vouloir imposer violemment aux autres les égards et la considération qu'il croit dus à ses talents, à sa fortune, à sa profession, et ne leur laisse pas le droit de juger jusqu'à quel point ils doivent partager ses sentiments à cet égard. Rien ne lui coûte plus, au contraire, que de leur témoigner de la bienveillance ou de l'estime, à moins qu'il ne les suppose fort supérieurs à lui, sous les rapports qui lui semblent justifier ses propres prétentions. Aussi est-il souvent réduit à se contenter de la déférence servile de ses valets ou de quelques vils complaisants qui lui font payer fort cher leur condescendance pour sa passion dominante. L'orgueilleux, néanmoins, pour peu qu'il ait de discernement et d'élévation d'ame, ne peut guère s'empêcher de sentir combien de pareilles jouissances sont imparfaites; mais il désespère de voir aucun juge impartial et désintéressé arriver à cette hauteur d'estime et d'admiration où il est de lui-même; il en a de l'humeur et de la colère, et c'est ce qui donne à ses traits et à ses manières cet air de dédain ou de hauteur, à ses paroles cette brusquerie ou cet ac

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cent impérieux qu'on y remarque ordinairement. C'est un poltron qui grossit sa voix et qui prend l'air furieux pour se faire croire brave. Il n'y a guère de moments dans sa vie où un homme de ce caractère puisse se trouver heureux.

Au reste, l'orgueil individuel n'est qu'un travers ou un ridicule qui, à mesure que la civilisation fait des progrès, devient, sinon plus rare, au moins plus adroit et plus réservé dans ses exigences. On ne le remarque même que rarement dans les hommes qui ont quelque finesse ou quelque lumière dans l'esprit. Mais l'orgueil de caste est une maladie de l'ame d'autant plus déplorable qu'elle n'est pas même soupçonnée de ceux qui en sont atteints; car elle agit sur eux presque dès le berceau, et les frappe, s'il le faut ainsi dire, d'une difformité morale, dont ils se savent gré, parce qu'ils supposent qu'elle est pour les autres classes de la société un sujet de respect et d'admiration : je veux parler de leur dureté de cœur et de leur insensibilité pour les maux de ces mêmes classes qu'ils regardent comme si loin d'eux. Ainsi, les nobles de France, au dix-septième siècle, non seulement formaient une classe séparée, par ses priviléges du reste de la nation; mais ils se croyaient réellement pétris d'un autre limon que les roturiers. S'ils voulaient bien croire que ceux-ci fussent encore des hommes, au moins ne supposaient-ils pas qu'ils pussent, dans aucun cas, mériter de leur part

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