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latives à notre existence comme membres d'une famille, d'une corporation, d'une cité, d'un état, ou même comme hommes, tous ceux qui peuvent se former dans notre esprit, par l'effet des relations plus ou moins habituelles de tout genre que nous pouvons avoir avec nos semblables, étant nécessairement accompagnés de sentiments agréables ou pénibles, de diverses espèces et à différents degrés, c'est là précisément ce qui compose la classe entière des sentiments moraux. Ainsi, elle embrasse, comme il est facile de le voir, presque toute l'existence de l'homme.

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Car, en même temps que nous sommes affectés par cette sorte de sentiments, nous ne laissons. pas pour cela d'être susceptibles d'éprouver ceux des deux espèces qui viennent d'être décrites; et, ces trois sortes d'impressions étant, au contraire, toujours simultanées, quoique nous ne puissions avoir, à chaque instant, conscience, que de celles dont l'action est prédominante, il n'est pas moins facile d'entrevoir dès lors combien les sentiments moraux peuvent être modifiés, dans un grand nombre de circonstances, par les sentiments soit physiques, soit intellectuels, et combien ils peuvent, à leur tour, modifier ceux-ci. Les sentiments intellectuels, par exemple, doivent évidemment à l'état de société toute leur importance et leur plus haut degré d'intérêt, puisque c'est surtout dans les pays et chez les

peuples les plus avancés dans la civilisation qu'on en peut observer tout le développement, tandis qu'ils sont presque nuls chez les peuples sauvages. D'un autre côté, ils contribuent, à certains égards, à renfermer les sentiments physiques dans les bornes que leur prescrit la raison, et ils leur ôtent cette tendance purement animale, s'il le faut ainsi dire, qui est leur caractère propre, puisque c'est par eux surtout que l'homme se rapproche le plus des espèces inférieures de la création,

Nous nous proposons, dans le chapitre suivant, de remonter au principe général qui peut, suivant nous, être considéré comme la cause de tout cet ensemble de sentiments, ou comme le fait dominant de l'existence de l'homme envisagée sous ce rapport.

CHAPITRE III.

De la Sympathie considérée comme cause des sentiments moraux, et des passions qui naissent de cette source.

§ 1. De la Sympathie en général.

On entend

par le mot sympathie, pris dans son acception la plus étendue, l'inclination ou la ten

dance qui porte un être sensible vers quelque être de même ou de différente espèce que lui.

Il est évident, par cette définition même, que la sympathie est un mode particulier de notre sensibilité; mais, pour que le penchant dont je viens de parler puisse exister, il faut que l'être ou l'objet qui nous l'inspire fasse sur nous des impressious de plaisir ou des impressions agréables: l'espèce de repoussement ou d'aversion que nous font éprouver, au contraire, certains êtres ou certains objets, s'appelle antipathie.

Dans la perception que nous avons des objets même inanimés et de leurs qualités diverses, nous pouvons remarquer qu'il y a plusieurs de ces qualités qui nous font attacher du prix et de l'intérêt à la possession ou seulement à la contemplation d'un grand nombre de ces objets. Nous les aimons, en quelque sorte, à cause du plaisir que nous font leurs qualités : nous éprouvons quelque peine quand nous les voyons détruits violemment, ou seulement dépérir par l'effet même de leur durée. Là commence donc pour nous une sorte de sympathie avec les objets même inanimés de la nature et les poètes n'ont pas manqué de saisir ce trait particulier de notre manière d'être affectés par cette cause, lorsqu'ils ont comparé un guerrier mourant dans tout l'éclat de sa jeunesse, à une fleur des champs que le soc de la charrue a coupée, et qui se flétrit bien

tôt, ou à un pavot fléchissant sous le poids de la pluie dont sa tête est chargée *.

Au reste, les sympathies et les antipathies naturelles que l'on peut observer dans les animaux de toute espèce, aussi bien que dans l'homme, ont leur principe dans l'instinct, qui, étant une modification essentielle de la sensibilité propre à chaque espèce, et un fait primitif de son existence, échappe, par conséquent, à tous nos moyens d'analyse.

La sympathie morale, que nous allons considérer, a donc en nous un principe du même genre, et que l'on ne doit pas davantage chercher à expliquer. Mais, à mesure qu'elle se développe avec toutes nos autres facultés, elle s'éloigne plus sensiblement de ce caractère instinctif qu'elle avait d'abord; les faits qu'elle présente se rapprochent de plus en plus des idées purement intellectuelles qui sont dues à nos autres facultés. Par ce moyen, elle devient plus susceptible de se prêter à l'application des procédés que nous employons dans les sujets ordinaires de nos recherches, et dès lors aussi on peut en classer avec plus de précision les phénomènes, et en déterminer, jusqu'à un certain point, les lois.

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§ 2. De la Sympathie morale: origine du sentiment de l'humanité.

On entend plus spécialement par l'expression de sympathie morale (et c'est le sens que nous donnerons désormais au mot sympathie), cette disposition instinctive, et, pour ainsi dire, innée dans l'homme, en vertu de laquelle il est plus ou moins affecté de la douleur ou de la joie de ses semblables, et souffre ou jouit, en quelque manière, des peines ou des plaisirs dont il est témoin. L'expression vive et animée de ces sentiments opposés, en se manifestant sur les traits et dans tous les mouvements d'un homme qui en est fortement ému, suffit souvent pour produire des effets à peu près semblables sur celui qui le contemple *. C'est même de cette condition, ou de cette affection primitive et constante de la nature humaine, que la faculté générale dont nous parlons tire son nom **; elle semble desti

**

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Le mot compassio, qui ne se trouve que dans les auteurs latins des siècles de la décadence, est la traduction littérale du mot grec suάbera (sympathie) : l'un et l'autre signifient une manière d'être affecté, commune à deux ou à plusieurs individus. Cicéron, ne trouvant pas dans la

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