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plus grand nombre, soit par les artifices de ses ennemis, elle se fait néanmoins jour dans les esprits non prévenus, et finit par donner une force nouvelle à l'opinion publique dont elle devient plus tard un des éléments.

§ 7. 3° Induction. Procédé définitif.

L'Induction est un des résultats les plus immédiats, les plus familiers, et en même temps les plus importants et les plus étendus de l'analogie; mais celle-ci n'est elle-même que l'un des produits les plus ordinaires de la faculté naturelle d'intuition, dont nous avons parlé au commencement de cet ouvrage, Aussi avons-nous fait remarquer que c'est par une sorte d'induction naturelle que les enfants et les étrangers apprennent d'eux-mêmes la signification des mots qu'ils entendent prononcer dans des circonstances quelquefois fort diverses; que c'est par induction que nous comprenons ordinairement le sens métaphorique d'une expression que l'on emploie pour la première fois devant nous avec cette acception particulière. Des analogies dont l'esprit de celui qui parle est vivement frappé, lui suggèrent ces sortes d'expressions, au moment où il éprouve le besoin de manifester ses sentiments et ses pensées; et, pour peu qu'elles soient justes, l'esprit de celui qui écoute, saisissant avec une égale rapidité le

rapport qui les a suggérées, éprouve presque les mêmes sentiments, conçoit les mêmes pensées *. L'induction, en général, est donc l'opération par laquelle notre esprit conçoit un rapport identique, une idée commune à une série plus ou moins étendue d'événements ou de phénomènes en apparence fort différents les uns des autres, en sorte qu'elle en est le lien commun, qu'elle en détermine l'enchaînement et la subordination.

<< Les lois générales, dit un philosophe célèbre, << sont empreintes dans tous les cas particuliers **; « mais elles y sont compliquées de tant de circon« stances étrangères, que la plus grande adresse est « souvent nécessaire pour les faire ressortir. Il faut «< choisir ou faire naître les phénomènes les plus << propres à cet objet; il faut les multiplier, pour en << varier les circonstances, et observer ce qu'ils ont << de commun entre eux. Ainsi.... l'on parvient enfin «< aux lois générales, que l'on vérifie, soit soit par des « preuves, ou par des expériences directes, lorsque << cela est possible, soit en examinant si elles satis« font à tous les phénomènes connus.... Les progrès « dont les sciences sont redevables à la méthode des <«< inductions, ont ramené les bons esprits à cette

* Voyez la première partie de cet ouvrage, sect. 1, ch. VIII, § 12, 13; sect. 1, ch. I, § 4.

** Voyez ci-dessus le § 1 du chap. II de cette seconde partie.

« méthode que le chancelier Bacon avait établie avec << toute la force de la raison et de l'éloquence, et (( que Newton a plus fortement encore recommandée « par ses découvertes *. >>

Aussi les quatre règles données par ce grand homme, pour la recherche de la vérité dans les sciences physiques, se rapportent-elles plus spécialement à l'induction, comme celles de Descartes se rapportent presque exclusivement à l'analyse. Et, puisque nous avons cru devoir donner précédemment celles du philosophe français, il ne sera pas inutile de rappeler ici celles que le philosophe anglais propose au commencement du troisième et dernier livre de ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle, et qu'il paraît avoir présentées comme le dernier résultat de son expérience et de ses méditations assidues sur ce sujet important. I. La première régle est donc, suivant Newton, de n'admettre de causes que celles qui sont nécessaires pour expliquer les phénomènes. II. La seconde d'attribuer toujours, autant qu'il est possible, les effets du méme genre à la même cause. III. La troisième, de regarder, comme appartenant à tous les corps, en général, les qualités qui ne sont

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Exposition du Système du monde, par M. Laplace, 5e édit., p. 376 et suiv.; voyez aussi l'Essai philosophique sur les Probabilités, par le même auteur, p. 242 et suiv. 4. édition.

susceptibles ni d'augmentation ni de diminution, et qui appartiennent à tous les corps sur lesquels on peut faire des expériences. IV. La quatrième enfin, de regarder, malgré les hypothèses contraires, les propositions tirées par induction des phénomènes, comme exactement ou à peu près vraies, jusqu'à ce que quelques autres phénomènes les confirment entièrement, ou fassent voir qu'elles sont sujettes à des exceptions.

On voit, dans les deux premières règles, le soin que prend l'auteur, pour bannir enfin de la philosophie naturelle ces causes imaginaires, ou purement hypothétiques et fondées presque uniquement sur des analogies des mots, dont les anciens physiciens avaient été si prodigues. On voit dans la troisième le principe de cette induction légitime qui le conduisit à la découverte de la pesanteur universelle et qui depuis a élevé les belles théories de la combustion, de l'électricité, au degré d'importance et de généralité où elles sont parvenues de nos jours. Enfin la quatrième règle de Newton nous offre l'indication des précautions nécessaires pour s'assurer que, malgré l'extrême réserve que l'on s'impose dans la recherche des causes, on ne se laissera pas égarer même par celles qui semblent avoir un très haut degré de probabilité.

Mais ces règles ne s'appliquent pas seulement aux phénomènes de l'ordre physique. On peut également

les étendre, avec les modifications convenables, à ceux de l'ordre intellectuel et moral; s'il est vrai, comme nous avons essayé de le faire voir, dans tout le cours de cet ouvrage, qu'ici encore il n'y a à considérer, à constater et à décrire que des faits d'une nature particulière, à la vérité, mais que l'on peut également parvenir, dans bien des cas, à déterminer avec une rigoureuse précision. Ainsi, en économie politique, en législation, en morale, et dans tous les genres de connaissances ou de science qui peuvent concourir à l'établissement d'un bon système d'administration, ou d'organisation sociale, on peut arriver, par la voie d'une légitime induction, à des lois ou à des principes généraux, dont la fécondité et l'étendue portent sur tous les faits de cet ordre une vive et abondante lumière.

Bacon, en employant le mot induction, pour exprimer tout à la fois le but, la méthode et le résultat de toute investigation bien dirigée, dans quelque genre d'étude ou de connaissance que ce soit, ne fit qu'adopter une expression familière et fort usitée dans les écoles de son temps. Seulement il s'appliqua à en déterminer soigneusement et à en étendre la signification, de manière à en bien faire voir la convenance et l'utilité. Et l'on doit remarquer ici la prudence et la réserve dont ce grand homme ne s'écarte presque jamais, même lorsqu'il semble condamner de la manière la plus explicite

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