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nière incontestable, quand tous les phénomènes, toutes les existences, tous les rapports qu'elle prétend expliquer, semblent se coordonner comme d'euxmêmes et se placer sans effort, sans la moindre altération, et précisément tels que les donne l'observation la plus sévère, dans le système dont ils font partie, alors l'hypothèse est une véritable théorie. Elle est l'expression exacte et fidèle de la vérité dans cet ordre de choses; elle est enfin le résultat de ce qu'on appelle induction, et d'une légitime interprétation de la nature.

Ainsi, les procédés de la méthode et ses divers modes peuvent se réduire à trois manières générales de traiter ou de considérer les objets de notre étude, et les sujets plus ou moins étendus ou complexes que nous entreprenons de connaître avec toute l'exactitude où nos facultés puissent atteindre. Nous pouvons ou les observer avec soin, tels qu'ils s'offrent naturellement à notre attention; ou les analyser dans leurs parties les plus faciles à considérer séparément les uns des autres, et nous assurer, par des synthèses répétées, de la vérité de nos analyses; ou partir de quelques analogies frappantes, qui, nous suggérant des conjectures probables, nous conduisent à des hypothèses dont la vraisemblance permette de considérer un grand ensemble de faits, comme unis entre eux par un lien commun; et enfin, nous assurer que ces hypothèses sont la vérité même, et

ne peuvent être démenties par aucun fait, par aucune expérience nouvelle. Considérons maintenant à part chacun des procédés dont nous venons de donner des notions générales.

§ 5. 1° Observation et ses modes (analyse, synthèse, expérience); procédé fondamental.

que

A. Observation proprement dite. Ce qui distingue l'observation des autres procédés de la méthode que nous avons cru pouvoir regarder ici comme ses modes, c'est qu'elle laisse les objets auxquels elle s'applique dans leur état naturel; en sorte que l'observateur en reçoit les impressions, entièrement telles la nature même de ces objets peut les donner, sans y rien changer, sans les altérer en quoi que ce soit. C'est ici surtout que l'entendement peut être comparé avec assez de vérité à une glace parfaitement unie et pure, qui réfléchit les images des objets avec la plus entière exactitude. Mais la variété et la multiplicité des objets ou des sujets d'observation sont telles, que, bien qu'aucun individu ne puisse être entièrement étranger à la plupart d'entre eux, il doit pourtant y avoir une différence très grande d'un individu à l'autre, soit par la nature même des talents différents dont ils ont été doués en ce genre, soit par celle des objets ou des sujets qui ont plus particulièrement attiré leur intérêt ou leur

attention.

Ainsi, les objets des sciences physiques et naturelles nous environnant sans cesse, et servant à chaque instant à nos besoins ou à nos jouissances, s'adressent surtout à notre faculté de perception externe, en sorte qu'aucun homme ne peut se dispenser ou ne peut éviter d'en connaître un très grand nombre, de remarquer leurs formes, leurs qualités ou propriétés diverses. D'un autre côté, les sentiments de tout genre, les plaisirs et les peines de tant d'espèces et de tant de degrés différents, qui résultent en nous, soit des impressions produites sur nos organes, par l'action de tous ces objets, soit de celles que nous pouvons éprouver à l'occasion de nos rapports continuels avec nos semblables, s'adressent à nos facultés de perception interne et de perception morale; et ici encore, une observation à peu près inévitable est pour chacun de nous une source d'instruction plus ou moins abondante, plus ou moins étendue.

Il n'y a donc aucun homme qui puisse se dérober à l'action de toutes ces causes; mais il y en a chez lesquels les unes agissent avec incomparablement plus de force ou d'intensité qu'elles ne le font ordinairement sur d'autres hommes, et qui, par la nature même de leur organisation, de leurs inclinations, ou des circonstances différentes où ils se sont trouvés, sont beaucoup plus accessibles à certains genres d'impressions qu'à d'autres. C'est ce qui fait

la différence des talents naturels, non seulement pour les différentes espèces d'arts ou de sciences, mais pour les diverses parties d'un même art ou d'une même science. Tel poète, par exemple, décrira avec plus de charme et de fidélité les objets de la nature, et tel autre les sentiments du cœur; tel peintre sera plus coloriste, et tel autre plus habile à rendre les formes et les expressions, et il en sera de même pour toutes les autres professions, pour tous les autres genres d'études.

genres

Mais si tous les hommes ne sont pas destinés à accroître et à perfectionner les sciences par des observations qui leur soient propres, au moins y en at-il bien peu qui soient incapables de s'approprier les vérités observées par d'autres, dans presque tous les et surtout dans ceux qui importent le plus au maintien des sociétés. C'est ainsi que les arts les plus nécessaires et les plus usuels se transmettent, de génération en génération, avec les perfectionnements que le temps leur a fait acquérir. C'est ainsi que les préceptes de la morale, les règles de justice, de modération, d'humanité, les plus immédiatement applicables à la conduite de la vie, ont été dès long-temps exprimées dans des maximes, des sentences, des proverbes devenus familiers aux hommes les plus ignorants ou les plus grossiers; tandis que les sciences successivement enrichies par les découvertes de quelques génies heureux, sont cul

tivées par un nombre moins considérable d'hommes appelés à les propager et à en conserver le dépôt, et que l'art de vivre en société, ou la civilisation proprement dite, s'étend et se perfectionne elle

même.

que

C'est donc au génie et au talent de l'observation l'on a dû, dans tous les temps, les progrès des sciences naturelles et ceux des sciences morales. Toutefois ces deux genres d'observation sont essentiellement distincts, et il y a toujours quelque inconvénient à vouloir les associer, ailleurs que dans la poésie, ou dans les ouvrages purement d'imagination. Ainsi, quels que soient l'éclat et la magie du style de Buffon, ses écrits, sous le rapport scientifique, ont beaucoup perdu de leur première renommée, parce qu'il mêle à l'exposition brillante et animée des faits propres à la science, des sentiments et des idées qui, appartenant à un ordre de considérations tout différent, sont loin d'avoir, comme faits positifs, le degré de réalité ou de certitude qu'il semble leur supposer. Plusieurs écrivains qui sont entrés après lui dans la même route, exagérant ses défauts, sans atteindre aux qualités qui lui étaient propres, ont plus décrié encore cette association vicieuse, et l'on reconnaît aujourd'hui que c'est à la séparation complète de ces deux genres d'idées que l'histoire naturelle a dû les progrès véritables qu'elle a faits depuis la fin du dernier siècle.

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