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tantôt, au contraire, à nous défier des connaissances les plus certaines que puisse nous donner l'emploi naturel et inévitable de nos facultés. Ainsi le dogmatisme absolu, qui n'est que l'affectation de savoir ce qu'on ignore, et le scepticisme absolu, qui n'est que la prétention non moins insensée d'ignorer ce qu'on sait, sont deux excès opposés qui dérivent, comme on voit, de la même source. Dans l'un et l'autre cas, on a le tort de n'envisager qu'un côté du sujet; on néglige ou l'on méconnaît le fait fondamental que nous constatons ici, savoir que dans toute science ou connaissance humaine, il y a sensibilité et intelligence, contingence et nécessité; on oublie, en un mot, que l'homme ne peut connaître d'existences et de vérités que celles qui sont accessibles à ses facultés, et seulement dans la mesure et dans les limites qui leur ont été assignées.

§ 5. De la vérité en soi, ou absolue.

Jusqu'ici nous avons admis, suivant la manière ordinaire de parler, des vérités de plusieurs espèces (physiques, morales, métaphysiques, etc.), mais il y a des philosophes qui semblent réprouver entièrement cette manière de procéder dans les recherches de ce genre. « Je ne demandais qu'une vérité, « nous diraient-ils, à l'exemple de Platon, et voila

« qu'on m'en donne un essaim tout entier *. » C'est que Platon paraît avoir supposé qu'il existe des essences, des entités, ou, comme il les appelait, des idées, qui sont les archétypes, les modèles de ce que nous nommons vertu, science, justice, etc. En sorte qu'un homme ne peut être vertueux, savant et juste, qu'autant qu'il y a en lui quelque partie de ces entités ou de ces essences. C'est là précisément un exemple de l'espèce d'illusion qui consiste, comme nous l'avons dit tout à l'heure, à réaliser de pures conceptions de l'esprit. Mais cette erreur a sa cause dans un fait de notre intelligence qu'il est utile de s'appliquer à bien reconnaître. Ici, par exemple, comme nous pouvons, dans une infinité de circonstances diverses, distinguer instantanément, et par un simple acte d'intuition, ce qui est vrai de ce qui ne l'est pas; le mot vérité, appliqué à un nombre infini de faits d'espèces très diverses, marque, pour chacun d'eux, ce qu'il a de commun avec tous les autres on les appelle vrais, parce qu'ils sont. Mais l'existence d'un fait est souvent énoncée par des termes très généraux, chacun desquels peut comprendre, dans sa signification, un nombre très considérable d'idées, de rapports et d'existences fort diverses; et voilà pourquoi la proposition qui énonce

*

Voyez le commencement du Dialogue de Platon, inti

tulé Théagis.

un fait, devient l'expression générale de tous les faits de même espèce, qui furent, qui sont, ou qui seront. Ce n'est même qu'à cette condition et de cette manière qu'existe pour nous ce qu'on peut appeler vérité.

On voit par là comment, sans recourir aux essences et aux idées de Platon et de son école, il est possible de ramener à l'unité de conception tout ce qui est compris sous ce mot. On comprend même qu'il n'y avait pas d'autre moyen d'y attacher une notion précise et intelligible, que d'observer et de décrire avec soin ce qui se passe dans notre esprit, chaque fois que nous nous en servons, ou que nous comprenons ce que les autres veulent dire lorsqu'ils s'en servent. Nous pouvons maintenant aller encore plus loin, et dire : La vérité en soi, ou la vérité absolue, c'est tout ce qui est; c'est l'universalité des existences réelles, l'universalité des êtres et des résultats de leurs actions réciproques, c'est-à-dire la totalité des rapports infinis qu'ils peuvent avoir entre eux. Mais il est de toute évidence que cette vérité n'a absolument aucune proportion avec une intelligence faible et bornée comme celle de l'homme. La suprême sagesse peut seule embrasser dans sa pensée cet univers qu'elle seule a pu créer, comme elle le conserve seule. Sans doute la partie de son sublime ouvrage que Dieu a daigné rendre accessible à notre entendement, a un rapport déterminé avec

le tout; mais ce rapport n'est, pour nous, que celui de l'indéfini à l'infini, c'est-à-dire qu'il est entièrement inassignable par toutes nos expressions, entièrement incompréhensible à tous nos moyens de connaître. « Je suis ce qui a été, ce qui est et ce qui « sera; et jamais mortel n'a levé le voile qui me <«< couvre. » Cette inscription mystérieuse, qui, suivant ce que dit Plutarque, se voyait à Saïs, en Égypte, dans le temple d'Isis, convient également à la divinité et à la vérité absolue, dont l'idée semble se confondre dans notre esprit avec celle de Dieu même.

Le mot vérité a donc deux acceptions qu'il importe de ne pas confondre. Ce mot exprime, comme on vient de le dire, l'universalité des êtres et de leurs rapports, ou bien il signifie la connaissance que nous avons acquise, ou celle que nous pouvons acquérir d'une partie, sans doute infiniment petite, de ces êtres et de ces rapports. Mais il n'y a de vrai pour l'homme que ce qui lui est connu; connaissance et vérité sont pour lui une seule et même chose; aussi les sages de tous les pays et de tous les temps l'ont-ils regardée comme le bien le plus précieux dont nous puissions désirer la possession, et comme devant être l'unique but de tous nos efforts et de toutes nos pensées. « La recherche et l'étude du vrai, dit « Cicéron, est le caractère propre et distinctif de « l'homme : ce qu'il y a de plus approprié à sa na

« ture, c'est la vérité simple et sans déguisement *.>>

§ 6. Vérité opposée à l'erreur et au mensonge.

Dire la vérité, c'est exprimer par le langage un fait ou un évènement tels qu'ils existent ou ont existé, c'est manifester un sentiment tel qu'on l'éprouve et que la conscience le donne. Si le discours n'énonce pas les faits tels qu'ils sont, il n'exprime il n'exprime que des opinions fausses, ou des erreurs, que celui qui parle prend et donne pour des vérités, à moins qu'il ne fasse entendre lui-même qu'il n'est pas sûr de l'entière conformité de ses opinions avec les faits. Car, dans ce dernier cas, ses paroles n'expriment que des doutes, des conjectures ou des hypothèses, qu'il ne veut pas que l'on prenne pour autre chose que ce qu'elles sont. Celui qui énonce, à dessein, des faits qui ne sont pas, ou qui exprime des sentiments qu'il n'a pas, est coupable d'imposture et de mensonge. Ainsi l'erreur est opposée à la vérité, dans l'ordre des considérations physiques et intellectuelles : dans l'ordre moral, c'est le mensonge qui est le contraire de la vérité.

Mais il ne nous est pas facile de nous soustraire

*In primisque hominis est propria veri inquisitio atque investigatio ;.... ex quo intelligitur, id quod verum, simplex sincerumque sit, id esse naturæ hominis aptissimum. Cic. De Offic. I. I, c. 4.

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