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innombrable de faits particuliers ou d'événements qui arrivent chaque jour, et dont ceux qui les remarquent ont la plus entière certitude, quoiqu'ils n'y attachent aucune importance, et qu'ils les oublient la plupart du temps très promptement. Ce sont pourtant ces faits si communs, ces événements dans lesquels nous pouvons, à chaque instant, être acteurs ou spectateurs, qui servent de fondement à toutes les connaissances que nous pouvons acquérir sur nous-mêmes et sur les êtres au milieu desquels

nous vivons sans cesse.

Ainsi, qu'un homme ait vu un vase exactement fermé, et dans lequel il avait mis une petite quantité d'eau, éclater avec une explosion violente, après avoir été exposé pendant quelque temps à une chaleur forte et soutenue; qu'il ait vu, à l'époque d'un froid rigoureux, des vases remplis d'eau se briser en plusieurs morceaux, et l'eau elle-même convertie en une masse solide, ce ne seront là que des événements singuliers, qui n'ont par eux-mêmes que fort peu d'importance. Mais celui qui le premier conclut de tous les faits de ce genre qu'il avait observés, que l'eau est convertie par la chaleur en un fluide aériforme, et par le froid en un corps solide; que dans ces deux cas elle augmente de volume, et beaucoup plus dans le premier que dans le second; que, dans l'un et l'autre cas, la force avec laquelle elle tend à occuper un plus grand espace est capable de

vaincre de très fortes résistances; celui-là, disonsnous, découvrit des vérités physiques d'une très grande importance, et dont la connaissance a donné et doit donner encore lieu à des applications ou à des inventions aussi utiles qu'ingénieuses.

Il est évident que la connaissance, soit intuitive, soit réfléchie, d'un nombre assez grand de vérités physiques, acquise de très bonne heure par l'homme, est le principe conservateur de son existence. On conçoit même qu'il faut qu'il existe quelque chose d'analogue à ce principe, dans toutes les espèces d'êtres animés, puisque, sans cela, étant continuellement exposés au choc de tous les corps, à l'action de toutes les forces que la nature met incessamment en jeu, ils auraient bientôt disparu de la face de la terre. Ce qu'il importe surtout de remarquer ici, c'est que les faits qui se passent incessamment sous nos yeux, quoique très véritables, n sont pas ce qu'on appelle proprement des vérités. Mais ces mêmes faits, conçus par l'esprit comme le résultat des rapports constants qui existent entre les êtres et les choses, de manière qu'ils se reproduiront toujours les mêmes dans les mêmes circonstances, sont comme le signe ou l'expression des lois de la nature physique et de l'ordre immuable auquel elle est assujettie. Or, c'est dans l'énonciation de ces lois et de ces rapports que consistent les vérités physiques proprement dites.

La considération des vérités qu'on appelle morales doit, comme il est facile de le prévoir, nous conduire à un résultat tout-à-fait analogue à celui que nous venons d'énoncer au sujet des vérités physiques. En effet, quel homme ne trouvera pas dans sa mémoire des exemples d'actes injustes ou criminels, suivis, à l'instant même, d'une punition terrible, et quelquefois après un long intervalle de temps? Toutefois ces faits particuliers, quoique véritables, n'ont qu'un intérêt fugitif et peu durable; ils n'ont même aucune importance, relativement à la science. Mais celui qui le premier conclut de tous les événements de cette espèce qu'il avait pu connaître, que l'outrage fait à nos semblables nous attire infailliblement leur haine, et nous expose à leur juste vengeance; que la faiblesse opprimée peut obtenir une réparation éclatante des torts qu'elle a soufferts, signala la première et la plus importante des vérités morales. C'est celle qui nous est représentée dans la noble et touchante allégorie d'Homère, lorsqu'il peint l'outrage aux pieds rapides, désolant et renversant tout devant lui, mais suivi de loin par les prières, boiteuses, le front baissé, l'œil en pleurs, et portant au pied du trône de Jupiter les plaintes des infortunés, qui y sont enfin entendues.

Les faits particuliers de l'ordre moral, que nous avons sans cesse occasion d'observer, peuvent donc être conçus par l'esprit, comme le résultat nécessaire

et invariable des rapports qu'ont entre eux des êtres qui ont nos passions et nos affections de tout genre; et ces faits, qui doivent se reproduire à peu près les mêmes dans des circonstances semblables, étant comme le signe et l'expression de la nature morale de l'homme, on peut en induire les lois auxquelles elle est constamment soumise.

§ 2. Vérité dans les arts, et dans la science de l'entendement ou métaphysique.

Ce qu'on appelle vérité dans les arts, se compose plus spécialement des deux sortes de vérités dont nous venons de parler; c'est ce qui, dans la conception et dans l'exécution des travaux propres à chaque art, se rapproche le plus de la nature, soit morale, soit physique, des êtres et des objets qu'il entreprend de représenter. Il a atteint le degré de vérité qui lui est propre, quand il est parvenu, avec les moyens dont il dispose, à exprimer avec la plus grande fidélité ce qui est, ce que nous pouvons presque à chaque instant observer autour de nous. Le peintre, le sculpteur, le poète, le musicien, l'acteur, aspirent à représenter, chacun à sa manière, ou des objets existants, ou des passions, des affections propres au cœur humain, à saisir les caractères distinctifs et les signes extérieurs par lesquels elles se manifestent. Le mérite de l'artiste consiste essentiellement à faire ressortir, parmi ces caractères,

ceux que l'on reconnaîtra le plus immédiatement, à choisir entre ces signes ceux que chacun pourra interpréter le plus sûrement et le plus facilement.

Quant aux vérités métaphysiques, nous n'avons que peu de choses à en dire dans cet endroit de notre ouvrage, puisque c'est à elles qu'il est presque entièrement consacré. Nous nous bornerons donc à faire observer que les mots entendement ou esprit exprimant l'ensemble de nos moyens de connaître, de savoir et de vouloir, tous les actes qui appartiennent à ces divers moyens sont autant de faits particuliers de la conscience ou du moi, qui ont lieu à l'occasion des objets et des êtres au milieu desquels nous vivons. Tous les faits de cette espèce, qui se succèdent et se renouvellent saus cesse en nousmêmes, nous font connaître, comme on l'a pu voir dans la première partie de ce Traité, les propriétés, les qualités, les parties des objets que nous contemplons, considérés comme le résultat des rapports multipliés à l'infini qui existent entre nous et ces objets ou ces êtres. Envisagés exclusivement sous ce point de vue, ces mêmes faits deviennent les signes des facultés diverses dont l'entendement humain est doué, et comme l'expression de notre nature intellectuelle. Or, les notions que nous nous faisons de ces facultés, de leurs effets et de leurs propriétés, ou plutôt les propositions qui les expriment, en les supposant exactes, c'est-à-dire parfaitement confor

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