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« le premier être peut aussi m'attirer par ses plus « persuasives inspirations. Mais enfin, dans cet at« trait actuel des objets, des raisons, et mème de

l'inspiration d'un être supérieur, je demeure en« core maître de ma volonté *....... Je suis libre dans « mon vouloir, comme Dieu dans le sien **. »

Ici le sage et modeste Fénélon semble tomber presque dans l'excès de présomption des stoïciens, mais c'est l'extrême défiance où il est de lui-même et de la force de sa volonté, quoi qu'il en dise, qui le conduit à se déclarer l'égal de Dieu sous ce rapport, tandis que c'est la vanité philosophique la plus ridicule qui conduit Sénèque à mettre, sans scrupule, son prétendu sage au dessus de la divinité. Ce serait même une chose trop étonnante que de voir notre illustre et vertueux archevêque persister dans le sentiment d'un coupable orgueil : au risque donc de se contredire, il reconnaît bientôt la dépendance entière de sa liberté.

*

« Mais (poursuit-il ) je ne suis qu'une image im

C'est la doctrine du Concile de Trente: Si quis dixerit liberum hominis arbitrium à Deo motum et excitatum, non posse dissentire, si velit, anathema esto. « Si quelqu'un dit « que le libre arbitre de l'homme mu et sollicité par Dieu, « ne peut pas refuser son consentement, s'il veut, qu'il soit « anathème. »

**

Voyez le Traité de l'Existence de Dieu, par Fénélon,

sect. 66-69.

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parfaite de cet être si libre et si puissant. L'image « de l'indépendance divine n'est pas la réalité de ce

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qu'elle représente; ma liberté n'est qu'une ombre « de ce premier être, par qui je suis et par qui j'agis. « D'un côté le pouvoir que j'ai de faire mal, est « moins un vrai pouvoir qu'une faiblesse et une fragilité de mon vouloir : c'est un pouvoir de déchoir, « de me dégrader, de diminuer mon degré de per« fection et d'être. D'un autre côté, le pouvoir que j'ai de bien vouloir, n'est point un pouvoir absolu, « puisque je ne l'ai point de moi-même. La liberté << n'étant donc autre chose que ce pouvoir, le pouvoir emprunté ne peut faire qu'une liberté empruntée « et dépendante. Un être si imparfait et si emprunté « ne peut donc être que dépendant. Comment estil libre? quel profond mystère ! »>

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Ainsi le besoin de s'armer contre les tentations, de se défendre contre les causes qui peuvent à chaque instant agir sur sa volonté et le porter à faire de sa liberté un funeste et coupable usage, dicte d'abord à notre auteur ce langage affirmatif et tranchant, ces assertions hautaines qui le laisseraient sans s'il cédait à la violence des passions. Et pourtant sa raison, comme un câble puissant, le retient au milieu de l'élan orgueilleux que lui inspire l'opinion exagérée de sa force; et dans cette tempête qu'élève en lui le conflit de tant de sentiments opposés, son esprit se trouble et retombe comme acca

excuse,

blé de fatigue et découragé. Mais quelle ame que celle où l'amour de la vertu produit de semblables agitations * !

*

On trouvera peut-être ici avec plaisir les beaux vers où Corneille a exprimé à peu près les mêmes opinions, et presque les mêmes doutes, dans sa tragédie d'OEdipe. Jocaste déplorant la fatale destinée prédite autrefois à son fils par les Oracles, Thésée lui répond:

Quoi! la nécessité des vertus et des vices,
D'un astre impérieux doit suivre les caprices,
Et Delphes, malgré nous, conduit nos actions
Au plus bizarre effet de ses prédictions!
L'âme est donc tout esclave? une loi souveraine
Vers le bien ou le mal incessamment l'entraîne,
Et nous ne recevons ni crainte, ni désir,
De cette liberté qui n'a rien à choisir.
Attachés sans relâche à cet ordre sublime,
Vertueux sans mérite et vicieux sans crime.
Qu'on massacre les rois, qu'on brise les autels,
C'est la faute des Dieux, et non pas des mortels!
De toute la vertu sur la terre épandue

Tout le prix à ces Dieux, toute la gloire est due;
Ils agissent en nons, quand nous pensons agir;
Alors qu'on délibère, on ne fait qu'obéir;
Et notre volonté n'aime, hait, cherche, évite,
Qu'autant que de ces Dieux le bras la précipite!
D'un tel aveuglement daignez me dispenser;
Le Ciel, juste à punir, juste à récompenser,
Pour rendre aux actions leur peine ou leur salaire
Doit nous offrir son aide, et puis nous laisser faire.
N'enfonçons toutefois ni votre œil, ni le mien,
Dans ce profond abíme ou nous ne voyons rien.

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Bossuet, qui n'admettait pas moins que Fénélon la doctrine de la liberté absolue, et le dogme du concile de Trente déclarant solennellement que Dieu lui-même ne peut pas triompher de notre libre arbitre, si nous ne voulons pas, Bossuet, dis-je, n'en attribue pas moins tous les événements publics et toutes les déterminations particulières dont l'histoire fait mention, à une volonté expresse de Dieu qui avait arrêté de toute éternité que les choses seraient ainsi. Non seulement il affirme que plusieurs des événements dont il esquisse le tableau dans son Discours sur l'histoire universelle, ayant été prédits longtemps avant leur accomplissement, ne pouvaient ni être différents, ni manquer d'arriver au temps marqué; mais il ajoute que nous devons porter un semblable jugement de tous les autres faits de l'histoire sacrée et profane, de celle des temps anciens aussi bien que des temps modernes. Il explique même comment et pourquoi chacun de ces événements, plus ou moins importants, a dû avoir

Ici, Corneille, avec ce bonheur d'expression qui est le privilége des grands écrivains, et surtout des grands poètes, donne une vigueur et une concision merveilleuses aux arguments les plus puissants en faveur du libre arbitre; il y joint même une légère allusion à la doctrine théologique de la Grace (dont Thésée était apparemment fort loin de se douter); mais les deux derniers vers témoignent assez que ces arguments, au jugement même de l'auteur, laissent encore beaucoup à désirer.

lieu, et quel a été précisément le dessein et l'intention de Dieu, presque dans chaque cas particulier. Mais, malgré tout le respect que l'on doit à ce grand orateur, il est sans doute permis de penser qu'il a bien pu se tromper, et qu'il n'est pas entré aussi avant dans les secrets de la providence divine qu'il s'est plu à le croire.

Enfin un autre écrivain fort distingué, contemporain des deux hommes célèbres que je viens de citer, aussi orthodoxe qu'eux, et qui apparemment n'aurait pas moins qu'eux craint d'être anathème, aux termes du concile de Trente, le P. Malebranche, s'est pourtant exprimé sur le sujet du libre arbitre d'une manière qui, bien qu'elle soit peu conforme peut-être à la rigueur du dogme, annonce au moins un observateur exact et sincère, un philosophe qui joignait en effet une rare candeur à une sagacité peu comComme la volonté, dit-il, n'est jamais forcée, << on s'imagine que tout ce qu'on veut, on le veut précisément parce qu'on le veut. On ne pense point << que nos volontés s'excitent en nous en conséquence << de nos dispositions intérieures, parce qu'en effet <«< ces dispositions étant des modifications de notre « être propre, qui nous sont inconnues, elles nous << font vouloir de manière qu'il semble que cela ne dépende que de nous. Car nous voulons si gai<< ment, que nous croyons que rien ne nous oblige à « vouloir. Il est vrai qu'alors rien ne nous oblige

mune. «

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