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ruption devint si profonde, que les principes qui résultaient de la nature des sons n'étaient pas même respectés (1). La versification ne devait plus son harmonie qu'à une prononciation arbitraire, qu'aucune tradition ne pouvait transmettre, parce qu'elle n'avait plus rien de général; elle fut donc obligée de changer encore une fois de base (2).

usuels (Anglais, Écossais, Polonais depuis Henri III) ont pris une terminaison en ais, tandis que les autres (Suédois, Danois, Hongrois) ont conservé l'ancienne en ois.

(1) Nous citerons comme preuve deux vers de Commodianus, un Africain qui vivait dans le 5 siècle, et dont les œuvres ont été publiées par Davies, à l'appendice de son édition de Minucius Félix : Tōt reum criminĭbūs părrĭcīdām quoque futūrūm, Ex auctoritātē vēstrā contulistis în altum. La forme trochaïque de l'Iliade publiée par Pinelli en 1540, plusieurs siècles après avoir été composée, commence par ces trois vers:

Την όργην άδε, και λέγε,

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ὦ Θεα, μου Καλλιόπη

του Πηλείδου Αχιλλέως. La quantité de toutes les syllabes où nous l'avons marquée est fautive, sauf la seconde et la troisième d'ixes, que l'on pouvait écrire Axtinos. Les fautes n'étaient pas moins nombreuses dans les vers hexamètres; voyez ceux qui se trouvent dans le roman de Nicetas Eugenianos, et les Antehomerica, Homerica et Posthomerica de Tzetzes, ainsi que Müller, De versibus spondiacis à lappendice de son livre De cyclo Graecorum epico, p. 148; et Montfaucon, Palaeographia graeca, p. 220.

(2) La corruption de la quantité ne fut pas la seule cause du rhythme des vers grecs pendant le moyen âge, puisque des érudits qui connaissaient fort bien l'ancienne prosodie, comme Cosmas de Jérusalem, surnommé Melodos, Psellos, Photius, Manasses, Tzetzes, etc., préféraient la nouvelle mesure, et que l'on refaisait les vieux poëmes, ainsi qu'on l'a vu dans la note précédente. On appelait les nouveaux vers modetixot, c'està-dire vulgaires: car Eustathios, p. 11, et Leo Allatius dans son opuscule De

Simeonum scriptis, les nomment u Tixot. Phrynichos (dans deux passages de son ÁTTIXY YOμαтwy Exλoyn) et Photius (suivant Du Cange, vo POLITICUS), opposent πολιτικος ὁ ποιητικός; Démosthènes (Contra Aristogilon, p. 776) ainsi que Denys d'Halicarnasse Antiq. rom., 1. II, p. 125) lui donnent le sens de xovos, et Cicéron (De finibus, I. V) l'explique par quasi civilis et popularis; ce qui est encore confirmé par l'an cienne définition de la comédie que nous a conservée Diomedes : ιδιωτικών και πολι aussi Planudes, ap. Bachmann, Anec τικων πραγματων ἀκινδυνος περιοχη ; voyet dota graeca, t. II, p. 99, et Fabricius, Bibliotheca graeca t. XI, p. 52. Peut-être les vers politiques eurent-ils d'abord un autre sens, puisque le Scholiaste d'Héphaístion dit, p. 179: Hoλert κον δε ἐστι, το άνευ παθους ή τροπου πεποιημevov, olov idados, 6. A, v. 679 (680):

ίππους τε ξανθας έκατον και πεντηκονται mais malgré l'opinion de plusieurs savants critiques (Vossius, De poematum cantu, p. 144; Forster, Essay on accent and quantity, p. 204, etc.), ils finirent certainement par signifier des vers accentués. Dans leur forme la plus ordinaire (Paula Lechner en a prétendu compter jusqu'à cent, ap. Buтpaxouvray ταφρασμενη εἰς ρωμαϊκήν γλώσσαν υπο Δη

pio TOY ZYYOU TO Zazubov), ils avaient quinze syllabes (Eustathios, p. 11; Lexicon schedographicum, v. 19, ap. Boissonade, Anecdota graeca, t. IV, p. 366; Gyrardos, ap. Du Cange, Glossarium mediae graecitatis, app., p. 156; etc.), divisées en deux hémistiches, par une pause après la huitième, et étaient accentués sur toutes les syllabes paires, excepté au premier pied de chaque hémistiche, où l'accent pouvait porter indifféremment sur la première et sur la seconde; voyez Struve, Ueber den politischen Vers der Mittelgriechen, et Peterseu, Ueber diesogenanten politischen Vers.

CHAPITRE VII.

DU RHYTHME BASÉ SUR LE RAPPORT DES LETTRES ET DES ACCENTS.

Le premier but de la versification était de lier ensemble, par des rapports sensibles, les différentes parties d'un poëme, et l'ordre mathématique introduit dans la mesure par la quantité l'atteignait complétement. La tenue régulière de la voix sur chaque syllabe et le retour constant des mêmes quantités prosodiques donnaient à la poésie comme une apparence extérieure et plastique qui convenait aux tendances sensuelles de la littérature classique : l'oreille n'était frappée d'aucun son qui dominât les autres, elle ne percevait que le rapport musical qui naissait de l'ensemble. Mais, lorsqu'au lieu de raconter des traditions populaires, la poésie exprima des sentiments individuels qui se développaient et se modifiaient successivement, il fallut donner au rhythme un principe plus intellectuel, qui concourût à l'expression et se conformât à toutes les exigences de l'imagination. On revint alors naturellement à l'accent, et l'on fit entrer la valeur de chaque syllabe dans le mécanisme du vers; à une quantité toute matérielle on substitua, pour ainsi dire, celle de la pensée (1).

Un rhythme qui s'associe à tous les sentiments et change

(1) Ainsi, même dans les langues ger maniques, où la versification ne résultait que du rapport des radicaux, la liaison était plutôt intellectuelle, comme dans la poésie hébraïque, que purement philologique et vocale. On y trouve des

corres

vers dont les six premières syllabes
n'allitèrent point avec le ver、
pondant, et il est impossible de croire
que des langues accentuées pussent
avoir autant de syllabes de suite sans
accent.

incessamment avec eux ne pouvait paraître aussi marqué que s'il restait impassible et se reproduisait dans un mouvement uniforme. Il était d'ailleurs plus régulier quand toutes les syllabes y concouraient, et plus sensible quand il résultait, non de la force des sons, mais de leur durée; ses éléments se subordonnaient alors plus complétement à son principe (1), et l'on saisissait mieux le rapport du tout avec ses parties: elles étaient également dans le temps. Pour que la versification accentuée conservât une cadence prononcée, il eût fallu qu'à défaut de leur ensemble chacune des syllabes qui lui servaient de base se distinguât aisément des autres, et le nouvel esprit qui animait la poésie tendait au contraire à rendre l'accent tonique moins saillant. Le poëte n'était plus un rhapsode indifférent, qui répétait comme un écho des récits auxquels il demeurait étranger; c'était un homme passionné dont les sentiments éclataient dans tous ses vers (2). Les mots ne s'y rangeaient point selon la construction grammaticale, ils suivaient l'ordre des idées, et la phrase serait souvent restée obscure si la voix n'eût appuyé sur celui qui déterminait le sens des autres. Un accent encore plus sensible marquait les expressions les plus pathétiques, et il n'avait rien d'arbitraire que l'on pût supprimer ou même affaiblir; c'était la conséquence nécessaire de l'émotion qui augmentait l'intensité des sons (3). Ces deux derniers accents étaient trop semblables au premier pour ne pas rendre presque insensible le rhythme qui ne se serait appuyé que sur lui, et cependant leur concours était impossible : l'intelligence eût été trop vivement préoccupée de leur signification réelle pour apprécier leur valeur rhythmique; la poésie n'aurait plus semblé que de la prose. La

(1) L'harmonie successive des syllabes.

(2) Ce nouveau caractère se produisait même dans la poésie populaire, ainsi que nous le montrerons dans no tre Histoire de la poésie scandinave.

(3) Peu importe que colte augmentation du son vienne du volume de l'air expiré, de la force de l'expiration, ou d'une contraction de la glotte qui en rende les vibrations plus sonores; le fait n'en est pas moins certain.

versification devait donc adopter quelque autre principe qui donnât plus de relief à l'accent philologique, et au rhythme plus de régularité et plus d'harmonie.

Les mots commencent naturellement par leur idée principale; les autres syllabes expriment des modifications accessoires ou ne se proposent qu'un but musical; elles rendent le radical plus harmonieux, en y ajoutant une terminaison conforme aux exigences de l'oreille. La pause, qui suit tous les mots, permet à la voix de se reprendre et 'd'accentuer la première syllabe avec plus de force que lorsque l'air qu'avaient aspiré les poumons s'épuise et que les organes vocaux sont déjà fatigués d'un effort antérieur. La prononciation s'unit donc au sentiment instinctif de la valeur du radical pour lui subordonner les autres syllabes. Mais l'effort de la voix ne porte pas également sur toutes ses lettres : la consonne initiale est plus fortement articulée que les autres, qui ne font qu'en modifier le son ou terminer celui de la voyelle sans l'affecter d'une manière essentielle (1). On peut ainsi, en établissant quelque rapport entre les premières lettres des radicaux, rendre plus sensible celui des accents : c'est ce qu'on nomme allitération (2).

Ce nouveau système de versification devait d'ailleurs s'offrir de lui-même à la pensée: car, ainsi que le prouve la langue des enfants (3), les organes de la voix répètent plus volontiers un premier effort qu'ils ne le modifient, et l'oreille sent avec plaisir une certaine concordance entre les sons qui la frappent davantage. Aussi, dans tous les idiomes,

(1) Peut-être faudrait-il excepter M et N, mais ils sont plutôt le signe d'une modification nasale de la voyelle que de véritables consonnes.

(2) Quand, au lieu de reproduire la première lettre d'un mot, on le répé→ tait tout entier, les Latins l'appelaient annominatio (Scriptor ad Herennium, Rhetoricorum 1. IV, par. 29). Le grec Tapoμools avait une signification différente; voyez Aristote, De rhetorica, I.

III, ch. 9. Bürger a encore employé l'an-
nomination dans ses ballades:
Den lohnt nicht Gold, den lohnt Gesang...
Es dröhnt und dröhnte dumpf heran.

Das Lied von braven Mann. qu'ils prononcent les premiers se com(3) Dans tous les idiomes, les mots posent de deux syllabes unies ensemble par l'allitération, et presque tous leurs sobriquets sont allitérés.

beaucoup de proverbes sont-ils allitérés (1), et peut-être n'est-il pas une seule littérature où ne se trouvent des allitérations qu'on ne saurait attribuer exclusivement au ha-. sard (2).

(1) A force de forger on devient forgeron. Cœur content soupire souvent. Tan presto se va el cordero como el carnero. Haceas miel, y comeros han muscas. Voyez Freytags); etc. On trouve aussi des traces évidentes d'allitération dans les anciennes lois

germaniques (Grimm, Deutsche Rechts Alterthümer, p. 16-13, et Mone Geschichte des Heidenthums im nördlichen Europa, t. II, p. 72, 113, etc.) et les formules d'abjuration en vieux saxon (voyez Massmann, Die deutschen Abschworungs-Formeln); on la recherchait même dans les correspondances familières (les lettres de saint Boniface et celle d'Aldhelm à Eahfrid, ap. Usher, Veterum epistolarum hibernicarum sylloge, p. 37) et les mémoires historiques (voyez l'Histoire du notaire anonyme du roi Bela [de 1060 à 1063 ou de 1131 à 1141], et plusieurs Vies des Saints imprimées dans la collection des Bollandistes).

(2) Les rhéteurs grecs la connaissaient déjà: Παρήχησις δε ἐστιν ὁμοιων ὀνοματων, Ev Sixpose yYWOEL TAUTOY YOUYTWY; Hermogenes, De inventione, 1. IV, p. 195, éd. de Porti, et il y a quelques vers allitérés dans les Homérides:

(Αὐτὰρ ὁ βουν ἱερευσεν ἀναξ ανδρων Αγαμɛμ. Πατρί τε των μεγα πημα, πολη τε, παντι Tε dhuw.) dans Eschyle (Persae, v. 549-554, 560561, 700-701) et dans Théocrite (écl. XV, v. 46; XXVI, v. 26). Les Romains l'avaient d'abord recherchée, ainsi qu'on peut le conclure du témoignage positif de Servius ( haec compositio [alliteratio] jam vitiosa est quae majoribus placuit; ad Virgile, Aeneidos 1. III, v. 183) et du grand nombre d'exemples qui se trouvent dans les anciens poëtes :

Salmacida Spolia Sine Sanguine et Sudore. Ennius, ap. Festus, p. 137, éd. de Rome.

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num ·

Conclusoque loco Coelum, Mare, flumina, Montes,

Lucrèce, 1. IV, v. 455.

Voyez aussi Hickes, Linguarum seplemtrionalium thesaurus, t. I, p. 195; Broukhusius, ad Tibuíle, 1. I, él. I, v; 3; Pontanus, Aetius, t. II, p. 104, éd. des Aldes, 1519; Ger. Vossius, Institutio oratoria, I. IV, ch. 1, par. 2, 3, 4, et Näke, Rheinisches Museum, 3o année, p. 324. Quoique nous ne possédions aucun fragment de la poésie de plusieurs peuplades septentrionales, l'esprit des langues gothiques autorise à croire que la versification sky basait partout sur l'alliteration, et cette opinion serait au besoin confirmée parcelle de J. Grimm: Ich Glaube dass die Alliteration ursprünglich ihren Sitz in der ganzen Poesie des deutschen Sprachstammes gehabt hat; Ueber den alldeutschen Meistergesang, p. 166; mais la poésie islandaise est la seule qui soit restée fidèle à son principe (et encore la poésie populaire, le runhenda, y avait adopté la rime dès le 10 siècle; voyez notre Histoire de la poésie scandinave, prolégomènes, p. 63-72). Dans le Jungste Gericht, publié sous le nom de Muspilli, l'Evangelieen Harmonie de Heljand, le Hiltibraht enti Hadhubraht, et une partie du Wessobrunner Gebet, l'alliteration est constamment observée. La rime la remplace déjà dans le Krist d'Otfrid, qui remonte cependant au 9° siècle; mais la substitution n'y est pas encore complète (voyez 1. 1, ch. xvIII,

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