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cette harmonie, uniquement basée sur une suite arbitraire de lettres, n'avait aucun résultat pour l'oreille, et la liberté du poëte périssait à la peine dans d'inutiles entraves; l'esprit et la forme de la poésie étaient également sacrifiés à une affectation sans résultat et sans but (1). Ce système de versification n'eût donc été conservé que par un esprit d'imitation, trop servile pour ne pas être passager; lors même que l'on y rattachait comme un culte religieux, il disparut si complètement, que la tradition n'a conservé aucun souvenir de ses règles (2), et qu'une érudition aventureuse peut seule les induire des formes habituelles de la poésie (3).

tentiae, primis litteris illius sententiae carmen omne praetextitur; Cicero, De divinatione, I. II, par. 34. Eunius avait fait aussi des vers acrostiches, et il s'en trouve dans le poëme d'Optatianos Porphyrios à la louange de Constantin (voyez aussi les poésies de Simmias et de Dosiades, ap. Brunck, Analecia, t. I). Mais ils devinrent plus fréquents pendant le moyen âge: il y en a de grecs (ap. Boissonade, Anecdota graeca, t. IV, p. 442), de franciques (ap. Hickes Grammatica franco-theolisca p. 105), et de latins (ap. Endlicher, Catalogus codicum philologicorum latinorum bibliothecae palatinae Vindobonensis, p. 298, 300, et ap. Muratori, Rerum Italicarum scriptores, t. II, part. II, p. 689, qui les a imprimés à la suite les uns des autres sans aucune division). La plus grande partie était sans doute une imitation de la poésie hébraïque, puisque Beda a dit en tête des vers alphabétiques en l'honneur de sainte Etheldrède, dont nous avons cité les premiers dans l'avant-dernière note: Videtur opportunum huic historiae hymnum virginitatis inserere, quem ante annos plurimos in laudem et praeconium ejusdem reginae ac sponsae Christi elegiaco metro composuimus, et imitari morem sacrae scripturae, cujus historiae carmina inclyta et hoc metro ac versibus constat esse composita. L'hymne a été mal imprimé par Mabillon (Ac. la sanctorum ordinis sancti Benedicti, siècle II, p. 765); il y a, après le G, Cujus au lieu de hujus, et, après l'I, Casta au lieu de Kasta.

(1) Quoique les Hébreux ne se soient servis systématiquement de la rime dans aucun poëme, on ne peut douter qu'ils né la connussent; elle avait un nom (117) et se reproduisait fort souvent dans quelques pièces, par exemple dans Job, ch. VI, v. 4, 7, 9, 13, 20, 22 et 29; ch. VII, v. 8, 10, 11, 13, 15, 19, 20 et 21; ch. X, du 8me au 19me verset, etc. Plusieurs critiques en ont même fait une règle positive; voyez entre autres Le Clerc, Bibliothèque universelle, t. IX, et Samuel Arcuvolti, yn, ch. 31 et 32.

(2) La poésie hébraïque moderne a adopté une base entièrement différente: c'est une espèce d'allitération, le retour périodique de la voyelle ordinaire et du shiva; voyez Moses ben-Chabib, Darkhe Noam, p. 23.

(3) Tous les essais pour donner un rhythme matériel à la poésie hébraïque sont probablement restés individuels; au moins rien ne permet de croire qu'ils aient abouti à un résultat systématique, et cette impuissance s'explique naturellement par l'esprit religieux de la poésie et la nature de la langue; voyez ci-dessous le chapitre XIII. Mais quand la versification aurait recherché un rhythme véritable, que l'oreille eût perçu, les efforts pour le déterminer n'en resteraient pas moins infructueux. Il faudrait qu'une connaissance exacte de l'ancienne prononciation leur servît de base, que la ponctuation masoréthique s'appuyât sur des traditions authentiques. Cette supposition est bien peu probable,

et

CHAPITRE IV.

DU RHYTHME BASÉ SUR L'ACCENT (1).

Quel que soit le nombre de syllabes qui le composent, chaque mot n'exprime qu'une seule idée, et l'unité de sa signi

puisque les Masorèthes ont mal divisé le Psaume XXXVII; on aurait même une grave raison de rejeter toutes les traditions de la synagogue, si, comme le disent Jablonski, Biblia hebraica, préf., par. 24, et Forkel, Allgemeine Geschichte der Musik, t. I, p. 166, les Juifs allemands, espagnols et italiens, avaient une manière différente de psalmodier. La ponctuation n'aurait d'ailleurs conservé que l'accentuation musicale du culte, et rien ne prouverait encore qu'elle fût la prononciation habituelle; peut-être, en le préjugeant, s'exposerait-on aux mêmes erreurs que si l'on voulait juger de la quantité du latin par l'accentuation du chant grégorien; et le témoignage positif de saint Jérôme nous apprend que dès 398 la prononciation n'avait aucune unité: Nec refert utrum salem aut salim nominetur, cum vocalibus in medio litteris perraro utantur Hebraei, et pro voluntate lectorum, ac varietate regionum, eadem verba diversis sonis atque accentibus proferantur; Epistola ad Evangelium, t. II, p. 574, col. 2, éd. de 1699. D'ailleurs, cette ponctuation est trop compliquée et trop savante pour que l'on puisse croire y retrouver l'ancienne prononciation, sans aucune autre raison que la liaison de la poésie avec la musique, puisque cette liaison existe chez tous les peuples, et que nulle part ces deux arts n'ont été assez indissolublement unis pour ne pas s'ètre développés isolément. Voyez, sur la confiance que mérite cette ponctuation,

Lowth, Praelectiones de sacra poesi Hebraeorum, p. 37, et Michaelis, Notae, p. 7; Ewald. Die poetischen Bücher des alten Bundes, p. 166; Pfeiffer, Ueber die Musik der alten Hebräer, P. XVI; Greve, Ultima capita libri Jóbi; Cappel, Arcanum punctuationis revelatum, et Masclef, Grammatica hebraica a punctis aliisque inventis masoreticis libera. Nous devons cependant reconnaître que la plupart des hébraïsants croient encore maintenant que la ponctuation exprime fidèlement l'ancienne prononciation; nous citerons entre autres Saalschütz, Von der Form der hebräischen Poesie, p. 42, et Gesenius, Geschichte der hebräischen Sprache und Schrift, p. 207. Quoi qu'il en soit, il est certain que la poésie des Hébreux était mesurée, puisqu'elle se chantait, et que leur musique avait une mesure; voyez Anton, Conjectura de metro Hebraeorum antiquo, et Saalschütz, lib. cit., p. 566. Mais, loin de prouver que le rhythme de la poésie ait existé indépendamment de la danse et de la musique, tout semble indiquer le contraire; on sait que l'accentuation portait invariablement sur la dernière syllabe, et que l'uniformité et la pesanteur des sons vocaux rendaient toute quantité prosodique impossible (voyez Ewald, Grammatica hebraica, par. 22); sous ce rapport, l'hébreu était même inférieur à l'arabe.

(1) Les idées différentes qu'exprime l'accent ont occasionné une confusion

fication se retrouve nécessairement dans sa forme (1). La prononciation doit marquer la liaison de toutes les syllabes entre elles avec autant de soin qu'elle en met à distinguer un mot de ceux qui le précèdent et qui le suivent (2). Loin d'exprimer cette unité, la durée différente des syllabes scinde les mots en plusieurs parties qu'aucun lien sensible ne relie ensemble; elles paraissent plutôt juxta-posées que réunies en un tout.

Il n'en est pas ainsi de l'augmentation du son (3). Lorsque la voix a fait effort pour marquer plus fortement une syllabe, il lui faut se reprendre avant d'appuyer de nouveau sur une autre. A côté de chaque syllabe accentuée, il y en a toujours une sans accent qui la fait ressortir et lui est subordonnée. Soit donc que la voix ménage ses forces pour accentuer d'une manière plus sensible, soit qu'épuisée de ses efforts, elle ne puisse redevenir aussi sonore qu'après la pause qui suit chaque mot, la syllabe dominante se rattache toutes les autres par une succession de temps forts et

dont les meilleurs écrivains sur la métrique ne se sont pas garantis; il signifie l'accent des mots (tonique), l'accent du vers (rhythmique) et celui de la phrase (oratoire et pathétique); c'est dans le premier sens que nous le prendrons toujours, lorsqu'il ne sera pas caractérisé par une épithète, et qu'une autre acception ne résultera pas clairement de la phrase où il se trouvera.

(1) En grec et en latin, l'accent était devenu matériel et presque entièrement dépendant de la quantité; mais il avait d'abord été intellectuel, comme dans les autres langues, et l'on en trouve encore des preuves dans les Homérides et dans les poëtes dramatiques latins; voyez Bernhardy, Encyclopädie der Philologie, p. 225-224. Cicéron luimême reconnaissait la nécessité naturelle de l'accent: Omnium longitudinum et brevitatum in sonis, sicut acutarum graviumque vocum judicium, natura in auribus nostris collocavit; De oratore, par. 51; et il avait dit auparavant, par. 17: Est autem in dicendo etiam quidam cantus obscurior.

(2) On s'est aussi quelquefois servi de l'accent pour marquer la signification des mots; nous citerons en français jeune et jeûne, tache et tâche; en italien áncora et ancora, bália et balía; cela avait lieu mème en latin, d'après le témoignage de Priscianus: Quando, quum gravi voce pronuntiatur, significat quod, quoniam, et est conjunctio; quando acuto accentu est temporis adverbium; voyez aussi Sanctius, Minerva, De vocibus homonymis. En chinois, le même mot monosyllabique peut recevoir de sa prononciation jusqu'à onze acceptions différentes.

(3) C'est à tort que plusieurs écrivains ont vu dans l'accent une élévation du ton, puisqu'il est également marqué lorsqu'on parle bas, et que dans les mots anglais terminés en tion et en ious le son de l'I ne se fait point sentir quand il n'est pas accentué. L'élévation du ton résulte du raccourcisse→ ment des cordes de la glotte, et l'augmentation du son, de la force de leurs vibrations.

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de temps faibles, dont elle est le centre (1). A cette raison, pour ainsi dire mécanique, il s'en joint une intellectuelle qui rend l'accent encore plus essentiel. Dans chaque mot, avons-nous dit, il y a une syllabe, plus significative que les autres, qui excite davantage le sentiment, ou paraît plus importante à la pensée, et involontairement, par une conséquence du rapport entre les idées et les sons qui sert de base au langage, elle est prononcée avec plus de force; on l'accentue (2). Sans doute cette accentuation n'est pas uni

(1) Voilà pourquoi, en anglais, l'E sans accent est toujours muet dans le corps des mots et à la fin, quand il est précédé d'une voyelle accentuée; graceful, side, nature.

(2) Plusieurs critiques n'ont vu dans les accents grecs que les conséquences, ou même les marques de la quantité: Cum vocem quantitate metiamur, et syllaba in voce sit ut in subjecta materia, et quantitas triplici dimensione constituatur, longa, lata, alta; Scaliger, De causis linguae latinae, 1. II, ch. 32. Grammaticis suis usibus accommodatos (accentus) ad declaranda tempora et syllabarum quantitatem; Vossius, De poemalum cantu, p. 140. D'autres n'y ont vu qu'une invention rhythmique: Accentus non quantitatis indicandaé causa adpositos, sed ad pronunciationem et rhythmum regendum reor; d'Orville, Criticus vannus, p. 333; et Hennins dit en termes encore plus explicites: Accentus graeconicos esse receptos primum pro re metrica, Ελληνισμος όρθωδος, Ρ. 128. Dans son Arcanum accentuum Graecorum, Hermann Vanderhardt ést allé jusqu'à n'y voir que des marques oratoires et non syllabiques; ce qui est une erreur évidente, puisqu'ils sont toujours les mêmes, excepté dans un petit nombre de cas, que l'on explique par des règles grammaticales. Les savants qui ont condamné les accents grecs (nous citerons entre autres Isaac Vossius, Gardiner, Hennins, par. 38-58; Canter, Ratio emendandi auctores graecos, ch. 6, ap. Gruter, Thesaurus, t. III; Politianus, Miscellanea, ch. 58 et 60; d'Anse de Villoison, etc.) auraient dû distinguer entre l'accentuation elle-même et ses marques. La plus

ancienne mention des accents grecs se trouve dans le Philèbe de Platon (t. II, p. 17, éd. de Henri Estienne), environ 390 ans avant l'ère chrétienne; un passage d'Aristote (Περι σοφιστικων ελεγχων Bhov, ch. IV, par. 8, éd. de Buhle) confirme ce témoignage, et Plutarque est encore plus positif: Ωμνυε και τον Ασκλη πιὸν, προπαροξύνων Ασκλήπιον, και παρεδεικνυεν αὐτον όρθως λεγοντα· εἶναι γαρ τον θεον ήπιον· καί ἐπὶ τούτω πολλακις έθορυ Cr; De decem oratoribus, t. II, p. 845. Mais les signes ne furent inventés que dans la CXLVe olympiade, par Aristophanes de Byzance, suivant Arcadius (Пept Tow, p. 186; voyez Villoison, Onpos, prolegomènes, p. XI), et Apol lonius, d'après Vossius, De poematum cantu, p. 18: voyez aussi Montfaucon, Palaeographia graeca, p. 35, et Villoison, Anecdota graeca, t. II, p. 130. Mais cette invention devait avoir une base réelle, quoique la prononciation des Grecs modernes ne l'ait point conservée (elle ne distingue même plus l'accent aigu du circonflexe, et l'influence que ce dernier exerçait sur la quantité ne permet pas de croire à une complète assimilation): au moins l'adoption en fut-elle générale et fort rapide; il y a déjà des accents dans une inscription qui semble du temps d'Auguste, et dans une autre dont la date n'est pas contestable, puisqu'on l'a trouvée à Herculanum; voyez Noris, Cenotaphia Pisana Caji et Lucii Caesarum, p. 488, et Pitture antiche d'Ercolano, t. II, p. 528. Au reste, le silence absolu des anciens écrivains ne prouverait point que le grec n'était pas accentué; il est impossible de douter de l'accentuation du chinois, puisqu'ello y détermine fort

forme dans toutes les langues (1); légère et rapide dans quelques unes, elle porte sur la désinence et sépare nettement les mots (2); son but principal est de donner plus de clarté à la phrase. Dans d'autres, au contraire, elle est ferme, grave, et appuie sur la première syllabe (3); elle cherche, avant tout, à rendre plus sensible la signification des mots, en mettant leur radical en saillie (4). Quelquefois même les lois qui la règlent n'ont rien de systématique (5);

souvent la signification des mots, et cependant ni les anciens commentateurs du Chi King ni ceux de la dynastie de Tang n'en ont jamais parlé.

(1) De graves différences existaient dans les idiomes qui avaient le plus d'affinité : ainsi, par exemple, dans les mots de trois syllabes, les Grecs accentuaient la première lorsque la dernière était brève, quelle que fût la quantité de la seconde: avopros, yiyxy TES; et les Romains n'accentuaient la première que lorsque la seconde était brève; ils disaient docére, Romanus. Ces différences avaient lieu même dans les dialectes de la même langue; EMos, qui dans les poésies homériques a l'accent circonflexe sur la seconde syllabe, avait l'accent aigu sur la première dans le dialecte attique (ap. Etymologicum ma gnum, s. vo nuos, et d'après Moeris Atticista, p. 109, éd. de Pierson: Té λοιον βαρυτόνως, Αττικως. Γελοῖον προπερισπωμένως, Ελληνικως. Voyez plusieurs autres exemples, ap. Stephanus, De dialecto attico, ch. 15. D'ailleurs, quelle que soit l'origine de la langue, les habitudes de l'esprit influent beaucoup sur l'accent; ainsi, une foule de mots anglais n'en ont point, ou l'éloignent autant que possible de la désinence (ils conservent, à la vérité, quelques radicaux de l'ancienne langue germanique, mais ils en ont beaucoup de romans; voyez une brochure fort savante de M. Thommerel, Recherches sur la fusion du franco-normand et de l'anglo-saxon, dont nous sommes cependant loin d'adopter toutes les idées), parce que le peuple est flegmatique ; tandis que les Français, dont l'esprit est vif et enjoué, accentuent la dernière syllabe, excepté lorsqu'elle finit par un E muet, et les

Provençaux, dont la vivacité est encore plus grande, l'accentuent aussi.

(2) Dans l'hébreu, par exemple, et dans le français.

(3) Dans les langues germaniques, et dans l'éolien, d'où elle est passée dans le latin. En gallique, tous les mots de plus d'une syllabe sont accentués sur la pénultième, excepté les verbes finissant en au et en oi, et les dérivés par contraction qui ont l'accent circonflexe sur la dernière syllabe.

(4) La même raison faisait accentuer la plupart des dérivés grecs sur la syllabe finale, qui marquait la nouvelle acception de leur racine.

(5) L'accentuation du grec reposait sur trois principes; la signification du mot, l'harmonie (voilà pourquoi l'accent pouvait s'y mettre sur une des trois dernières syllabes, afin qu'il se trouvât à peu près au milieu) et la clarté (voyez la note précédente). La multiplicité des dialectes, l'influence de la société et du rhythme des poésies populaires, firent de la prononciation un véritable empirisme que les grammairiens cherchèrent à fixer par des accents et des esprits. Relativement à l'accent, il avait jusqu'à six espèces de mots; barytons, perispomènes, properispomènes, oxytons, paroxytons et proparoxytons. Quoique bien plus systématique, l'accentuation du latin était soumise à de nombreuses irrégularités; en principe, l'accent portait sur la pénultième, à moins qu'elle ne fùt brève; alors seulement il passait sur l'antépénultième sans pouvoir s'éloigner davantage de la fin du mot et cependant miseria, familiam, tetigeris, qui ont quatre syllabes, étaient accentués sur la première; dans Mercuri, Domiti, Ovidi, l'accent se met

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