qui leur donnent une valeur véritable ne s'y associent point avec assez de facilité et de constance (1), des changements essentiels ne sont pas impossibles. Ils deviennent même nécessaires lorsque des modifications dans la nature de la langue (2), dans la manière de réciter les vers (3), ou dans le caractère de la poésie (4), retirent au principe de la versification l'harmonie et la force qui l'avaient fait choisir, ou introduisent de nouveaux éléments bien préférables aux anciens (5). Dans tous les autres cas, les changements sont des caprices sans raison, ou de maladroites imitations, qui n'ont de valeur que par des préoccupations le témoignage d'Horace lui-même, c'est la ressemblance de la versification de Lucrèce (né 90 ans seulement avant l'ère chrétienne) avec celle d'Ennius, et les différences si prononcées qui la distinguent de celle des écrivains du siècle d'Auguste. La popularité des poésies pouvait, comme une longue habitude, s'opposer à J'adoption d'un nouveau rhythme. C'est là sans doute une des causes qui empêchèrent, dans les premiers siècles des littératures romanes, de faire aucune tentative, même malheureuse, pour imiter le rhythme des vers latins; tandis que les poëtes slaves y parvinrent dès la fin du 13° siècle; voyez la note sui vante. (1) Telle est probablement la cause du peu de fixité de la versification portugaise; on y peut imiter le rhythme espagnol, italien et français. La variété était plus grande encore en bohémien; les éléments du rhythme eux-mêmes n'avaient rien de fixe. Dans le recueil de vers, écrits de 1290 à 1310, que Hanka trouva en 1817 à Königinhof, il y a un fragment d'une Légende des douze Apotres dont la versification se base sur la rime (ap. Dobrowsky, Geschichte der böhmischer Sprache, p. 105); le Joraslaw est en vers blancs composés de cinq trochées : Wzhōrů bratri, wzhōrů wōlă Vnēslǎv; il y avait dès 1259 des poëmes écrits en hexamètres (d'après Schaffarick, Ge schichte der slawischen Sprache und Literatur, p. 314); et Drachovius dit, dans son Grammatica boemica in V libros divisa, qui parut en 1660, seize ans après sa mort: Genera carminum tot sunt apud Boemos quot apud Latinos, iisdemque constant pedibus; voyez aussi la note 3, p. 215. Au reste, les formes perdent considerablement de leur impor tance quand l'expression en prend beaucoup. En allemand, par exemple, l'indépendance du poète n'y reconnaît presque aucune borne. Il y a des drames en vers blancs, en vers iambiqnes (c'est la forme ordinaire), en vers trochaïques (par Müllner et par Grillparzer), et en vers alexandrins (le Milschuldigen de Göthe). M. Simrok a donné à sa traduction du Nibelunge Not le rhythme de l'original, et M. de la MotteFouqué n'a pas craint d'employer l'allitération dans ses imitations de poésies islandaises. (2) Aussi l'affaiblissement de la quantité latine obligea la versification de reprendre l'accent pour son prin – cipe. (3) Voyez le chapitre précédent. tion presque totale des flexions en alle- individuelles (1) qu'un peuple ne partage jamais (2). Depuis que les connaissances littéraires sont devenues plus fréquentes et plus étendues, depuis que l'on peut attri buer au rhythme d'une poésie étrangère un plaisir qui tient le plus souvent à des causes tout à fait différentes (3), les es sais d'innovation dans les formes de la versification se sont cependant répétés avec insistance, et la popularité des littératures classiques dut faire imiter la métrique ancienne de préférence à toutes les autres. Vainement l'esprit nouveau de la poésie et des langues donnait à l'expression une puis, (1) Nous citerons comme exemple une chanson sur la mort du comte de Leicester, qui fut tué à la bataille d'Evesham, le 4 août 1265 : Chaunter m'estoit, mon cuer le voit, De nostre duz baronage. The Persè owt of Northombarlande Of Chyviat, within dayes thre. (2) Comme il est bien plus facile de reconnaître une ressemblance matérielle que d'expliquer des rapports par des causes philosophiques et littéraires, les critiques, même les plus distingués, ont souvent attribué l'adoption d'une forme de versification à une imitation qui, dans les premiers temps d'une littérature, lorsque la poésie a conservé toute sa naïveté, est presque toujours impossible. Ainsi Tyrwhitt a dit, dans son introduction du Canterbury tales, p. civ, note 42: From such latin rhythms and Exegi monumentum aere perennius, satisfaite; on jouit de comprendre une sance exclusive; on n'en attachait pas moins (1), dans tous les idiomes, une importance prépondérante à la forme matérielle des vers et à la composition des mots. A une accentuation de plus en plus marquée par le développement natu→ rel de l'Humanité elle-même, on substituait une quantité factice, qui ne permettait plus de la sentir. Dans les plus longs mots, l'accent ne portait généralement que sur une seule syllabe; il se déplaçait quelquefois, suivant la pensée ou même la construction de la phrase, et l'on imposait à toutes les syllabes une quantité invariable (2). Les langues dont l'accentuation était le plus prononcée (3), celles dont les syl (1) Nous connaissons peu de vers espagnols mesurés d'après les règles de la métrique ancienne; Villegas a cependant composé dans un rhythmne semblable un livre tout entier (le IV de la seconde partie de Las eroticas; il l'appela mêmne Las latinas). Nous citerons comme exemple le commencement d'une églogue : Lycidas y Coridōn, Corĭdōn el ǎmantě dě monie qu'en latin ( Obras literarias, mètres : Hērcules ārlā stöd öpp, en Mõrgon, T förstă sin Ungdom, Nous en pourrions citer également en magyar (par Erdösi, dans sa traduction de la Bible, imprimée en 1841; par Molnár, dans son A' regi Jeles epületekről tyrviragok, 1811), en bohémien (c'est le nau, 1760; et par Kazinczy, Tövisek es rhythme suivi par Amos Comenius dans la traduction des Distiques de Caton, qu'il fit paraître à Amsterdam en 1662), en polonais (on a même publié, en 1781, un recueil entièrement composé de vers métriques), et en carniol ( ap. Pisanize od lepeh umetnost, Laybach, 1781). (2) La quantité de toutes les syllabes n'est pas invariable, mais elle est déterminée par des règles qui s'appliquent invariablement dan toutes les circonstances semblables. (3) Non seulement plusieurs poëtes italiens ont voulu composer des vers métriques, entre autres Alberti, Astori, Fabbio Benvoglienti, Girolamo Ruscelli, Grassi, Vanini, Chiabrera, Balducci, 1 labes sourdes (1) ou la cadence régulière (2) s'opposaient le plus fortement à cette introduction capricieuse d'une quantité impossible, étaient également soumises à ces absurdes tentatives. Lorsque le résultat n'a pas formellement condamné de semblables imitations (3), c'est que la poésie trou et Bernardino di Campello, dont la tra- A tē chē sprezzi rūstĭcămentě noi. exclusivement sur la numération des syllabes, l'oreille s'habitue à leur donner la même valeur à toutes et ne peut en reconnaître une double à celles que l'on regarde comine longues. Beaucoup de poëtes ou plutôt d'érudits n'en ont pas moins cherché à introduire dans notre poésie un rhythme basé sur la quantité. Nous citerons entre autres Mousset (au moins d'Aubigné prétend, dans la préface de ses Petites œuvres mêlées, qu'il avait traduit l'Iliade et l'Odyssée en vers métriques), Jodelle (un distique en tête des Amours d'Olivier de Magny), Henry Estienne (la traduction d'un distique lade tous), Ronsard (deux odes saphiques tin), Pasquier, Baïf (le plus persévérant où la rime a cependant été conservée), Passerat, Nicolas Rapin, Desportes, le comte d'Alcinoïs (Nicolas Denizot), Scévole de Sainte-Marthe, d'Aubigné, le père La Rue (il conservait la rime léonine, comme dans ces deux vers: Henriette est mõn biễn; dě să bōnte l'ombre jě sēns bien; Mais elle y joint lă rĭguēur, dōnt elle ǎbat mă vigueur), l'auteur anonyme de l'Angelinde ( Londres, 1760; évidemment il ne savait pas le français: Non, le ciel est tout sage. Il exalte sa face sereine Même des champs de la foudre. Il évoque le jour des ténèbres.) et enfin Turgot, auquel on ne peut refuser un sentiment véritable de l'harmonie: crět. Son cœur Dējă Dĭdōn, lă săpērbě Dĭdōn, brūle en să- court dě věine en vēine. vait dans l'expression des pensées et dans le caractère de la langue un rhythme naturel qui suffisait à ses besoins d'har monie (1). CHAPITRE XVII. DE L'INFLUENCE DE LA VERSIFICATION En se réalisant par une expression sensible, toute conception poétique perd nécessairement de sa force et de sa gran se base sur une accentuation régulière qui se rapproche beaucoup de la quantité, semble plus propre aux vers hexamètres; aussi en connaît-on qui remontent au moins à 1340 (voyez Wackernagel, Geschichte des deutschen Hexameters, p. 6), et, depuis, l'usage n'en a presque jamais discontinué. Nous en avons de Konrad Gessner (1555, ap. Gottsched, Grundlegung einer deutschen Sprachkunst, p. 594), de Johan Fischart (Geschichtklitterung, 1575), d'Emmeram Eisenbeck (Reimlose Bearbeitung des CIV Psalms, 1617), de Berlichius (De novercarum stalu, jure et affectu, 1628), d'Alstedius (Encyclopaedia, 1650); et peut-être n'est-il pas un seul grand poëte moderne, si l'on en excepte Schilfer, qui n'en ait fait quelques uns; Kleist, Wieland, Voss, Stollberg, Bürger, PlaBurger, Platen, etc. Klopstock ne s'est pas borné à en composer; il en a défendu la théorie dans un travail philologique spécial, Fom deutschen Hexameter, inséré dans son livre Ueber Sprache und Dichtkunst, p. 3-187. Mais il ne pouvait y avoir dans ces vers un rhythme véritablement métrique, puisque l'on pouvait remplacer arbitrairement les dactyles par les spondées et qu'aucun rapport régulier n'existait entre les brèves et les longues; l'harmonie qu'on croit y reconnaître résulte évidemment de causes tout à fait différentes. Les populations slaves, dont la versification semble basée sur la quantité, quoiqu'elle le soit réellement sur l'accent, ont si bien senti l'impossibilité d'établir ce rapport entre les brèves et les longues, qu'elles ont remplacé les spondées par les trochées et n'y mêlent jamais de dactyles; nous ne connaissons d'exception que pour quelques poésies serbes": 06лak cе виже по ведром небу; MAлa Mаж¶йде вице. Кад полази младожена; ар. Вук Стефанович, Народне српске пжес Me, t. I, p. 6. Le rhythme magyar appelé tordaic (voyez ci-dessus p. 215, note 3) admettait la substitution des dactyles aux spondées; mais il ne se basait réellement que sur les accents (les syllabes longues) et la rime. On ne peut donter que la quantité ne fût une fiction, puisque dans le mètre zrinyi, qui fut inventé dans le même temps, on comptait les syllabes et on leur reconnaissait une valeur égale à toutes. (1) Les critiques les plus érudits cédaient aux mêmes préoccupations. Quoi |