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comte de Montfort, fils de l'ufurpateur, lui vendit. Mais acheter un pays d'un homme à qui ce pays n'appartient pas, eft-ce là combattre pour la foi? Un efprit jufte, en lifant l'histoire, n'est presque occupé qu'à la réfuter.

CHAPITRE LII.

De l'empereur Fréderic II, de fes querelles avec les papes, & de l'empire allemand. Des accufations contre Fréderic II. Du livre de tribus Impostoribus. Du concile général de Lyon, &c.

VERS le commencement du treizième fiècle, tandis que Philippe-Augufle régnait encore, que Jean fans terre était dépouillé par Louis VIII; qu'après la mort de Jean & de Philippe-Augufte, Louis VIII, chaffé d'Angleterre, régnait en France, & laiffait l'Angleterre à Henri III : dans ces temps, dis-je, les croifades, les perfécutions contre les Albigeois épuifaient toujours l'Europe. L'empereur Fréderic II fefait faigner les plaies mal fermées de l'Allemagne & de l'Italie. La querelle de la couronne impériale & de la mitre de Rome, les factions des Guelfes & des Gibelins, les haines des Allemands & des Italiens, troublaient le monde plus que jamais. Frederic II, fils de Henri VI, & neveu de l'empereur Philippe, jouissait de l'Empire qu'Othon 1V fon compétiteur avait abandonné avant de mourir.

Les empereurs étaient alors bien plus puiffans que les rois de France; car outre la Suabe & les grandes

Droit de

terres que Fréderic poffédait en Allemagne, il avait auffi Naples & Sicile par héritage. La Lombardie lui appartenait par cette longue poffeffion des empereurs ; mais cette liberté, dont les villes d'Italie étaient alors idolâtres, refpectait peu la poffeffion des Céfars allemands. C'était en Allemagne un temps d'anarchie & de brigandage, qui dura long-temps. Ce brigandage s'était tellement accru, que les feigneurs comptaient parmi leurs droits celui d'être vol. voleurs de grand chemin dans leurs territoires, & de faire de la fauffe monnaie. Fréderic II les contraignit, dans la diète d'Egra, de faire ferment 1219. de ne plus exercer de pareils droits; & pour leur donner l'exemple, il renonça à celui que fes prédéceffeurs s'étaient attribué de s'emparer de toute la dépouille des évêques à leur décès. Cette rapine était alors autorisée par-tout, & même en Angleterre.

Droit de

Les ufages les plus ridicules & les plus barbares étaient alors établis. Les feigneurs avaient imaginé cuiffage. le droit de cuiffage, de markette, de prélibation; c'était celui de coucher, la première nuit, avec les nouvelles mariées leurs vaffales roturières. Des évêques, des abbés eurent ce droit en qualité de hauts barons; & quelques-uns fe font fait payer au dernier fiècle par leurs fujets la renonciation à ce droit étrange, qui s'étendit en Ecoffe, en Lombardie, en Allemagne, & dans les provinces de France. Voilà les mœurs qui régnaient dans le temps des croifades.

L'Italie était moins barbare, mais n'était pas moins malheureufe. La querelle de l'Empire & du

facerdoce avait produit les factions Guelfe & Gibeline, qui divifaient les villes & les familles.

Milan, Brescia, Mantoue, Vicence, Padoue, Trévize, Ferrare & prefque toutes les villes de la Romagne, fous la protection du pape,

entre elles contre l'empereur.

pape, étaient liguées

Il avait pour lui Crémone, Bergame, Modène, Parme, Reggio, Trente. Beaucoup d'autres villes étaient partagées entre les factions Guelfe & Gibeline. L'Italie était le théâtre, non d'une guerre, mais de cent guerres civiles, qui, en aiguifant les efprits & les courages, n'accoutumaient que trop les nouveaux potentats italiens à l'affaffinat & à l'empoifonnement.

Fréderic II était né en Italie. Il aimait ce climat agréable, & ne pouvait fouffrir ni le pays ni les mœurs de l'Allemagne dont il fut abfent quinze années entières. Il paraît évident que fon grand deffein était d'établir en Italie le trône des nouveaux Céfars. Cela feul eût pu changer la face de l'Europe. C'est le nœud fecret de toutes les querelles qu'il eut avec les papes. Il employa tour à tour la foupleffe & la violence, & le Saint-Siége le combattit avec les mêmes armes.

Honorius III & Grégoire IX ne peuvent d'abord lui réfifter qu'en l'éloignant, & en l'envoyant faire la guerre dans la terre fainte. (d) Tel était le préjugé du temps, que l'empereur fut obligé de fe vouer à cette entreprise, de peur de n'être pas regardé par les peuples comme chrétien. Il fit le

(d) Voyez le chapitre des Croifades.

vœu par politique; & par politique il différa le

voyage.

nie.

Grégoire IX l'excommunie felon l'usage ordinaire. Frederic 11 Frederic part; & tandis qu'il fait une croifade à excommuJérufalem, le pape en fait une contre lui dans Rome. Il revient, après avoir négocié avec les foudans, fe battre contre le Saint-Siége. Il trouve dans le terri toire de Capoue fon propre beau-père, Jean de Brienne roi titulaire de Jérufalem, à la tête des foldats du pontife, qui portaient le figne des deux clefs fur l'épaule. Les gibelins de l'empereur portaient le figne de la croix, & les croix mirent bientôt les clefs en fuite.

Il ne reftait guère alors d'autre reffsource à Grégoire IX que de foulever Henri roi des Romains, fils de Frédéric II, contre fon père, ainfi que Grégoire VII, Urbain II & Pafcal II avaient armé les enfans de Henri IV. Mais Frederic, plus heureux que Henri IV,

se saifit de son fils rebelle, le dépofe dans la célèbre 1235. diète de Maïence, & le condamne à une prifon perpétuelle.

Il était plus aifé à Fréderic II de faire condamner fon fils dans une diète d'Allemagne, que d'obtenir de l'argent & des troupes de cette diète pour aller fubjuguer l'Italie. Il eut toujours affez de forces pour l'enfanglanter, & jamais affez pour l'affervir. Les Guelfes, ces partifans de la papauté, & encore plus de la liberté, balancèrent toujours le pouvoir des Gibelins partifans de l'Empire.

La Sardaigne était encore un fujet de guerre entre l'Empire & le facerdoce, & par conféquent d'excommunications. L'empereur s'empara de prefque toute 1238.

livre des trois

impofteurs.

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l'île. Alors Grégoire IX accufa publiquement Fréderic II Prétendu d'incrédulité. Nous avons des preuves, dit-il dans fa lettre circulaire du premier juillet 1239, qu'il ,, dit publiquement que l'univers a été trompé par " trois impofteurs, Moïse, JESUS-CHRIST & " MAHOMET. Mais il place JESUS-CHRIST fort ,, au-dessous des autres; car il dit qu'ils ont vécu " pleins de gloire, & que l'autre n'a été qu'un homme ,, de la lie du peuple, qui prêchait à fes pareils. "L'empereur, ajoute-t-il, foutient qu'un DIEU " unique & créateur ne peut être né d'une femme, ,, & furtout d'une vierge. C'eft fur cette lettre du pape Grégoire IX qu'on crut dès ce temps-là qu'il y avait un livre intitulé, De tribus impoftoribus: on a cherché ce livre de fiècle en fiècle, & on ne l'a jamais trouvé. (e)

Ces accufations, qui n'avaient rien de commun avec la Sardaigne, n'empêchèrent pas que l'empereur ne la gardât: les divifions entre Fréderic & le Saint-Siége n'eurent jamais la religion pour objet ; & cependant les papes l'excommuniaient, publiaient contre lui des croifades, & le dépofaient. Un cardinal nommé Jacques, évêque de Palestrine, apporta en France au jeune Louis IX des lettres de ce pape Grégoire, par lefquelles fa fainteté, ayant déposé Frederic II, transférait de fon autorité l'Empire à Robert comte d'Artois, frère du jeune roi de France. C'était mal prendre fon temps: la France, & l'Angleterre étaient en guerre : les barons de France foulevés dans la minorité de Louis, étaient encore.

(e) On en a fait de nos jours fous le même titre.

puiffans

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