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Rome se moque de Philippe-Augufle.

remit la couronne & le fceptre. Le diacre italien foula l'argent aux pieds, & garda la couronne & le fceptre cinq jours. Il rendit enfuite ces ornemens au roi, comme un bienfait du pape leur commun

maître.

Philippe-Augufte n'attendait à Boulogne que le retour du légat pour se mettre en mer. Le légat revient à lui pour lui apprendre qu'il ne lui est plus permis d'attaquer l'Angleterre, devenue fief de l'Eglife romaine, & que le roi Jean eft fous la protection de Rome.

Le préfent que le pape avait fait de l'Angleterre à Philippe pouvait alors lui devenir funefte. Un autre excommunié, neveu du roi Jean, s'était ligué avec lui pour s'opposer à la France, qui devenait trop à craindre. Cet excommunié était l'empereur Othon IV, qui difputait à la fois l'Empire au jeune Frederic II fils de Henri VI, & l'Italie au pape. C'est le feul empereur d'Allemagne qui ait jamais donné une bataille en perfonne contre un roi de France.

СНАРI TRE L I.

D'Othon IV & de Philippe-Augufle au treizième fiècle. De la bataille de Bouvines. De l'Angleterre & de la France, jufqu'à la mort de Louis VIII, père de S' Louis. Puiffance fingulière de la cour de Rome: pénitence plus fingulière de Louis VIII, &c.

QUOIQUE le fyftème de la balance de l'Europe n'ait été développé que dans les derniers temps, cependant il paraît qu'on s'eft réuni, toujours autant qu'on a pu, contre les puiffances prépondérantes. L'Allemagne, l'Angleterre & les Pays-bas armèrent contre Philippe-Augufte, ainfi que nous les avons vus fe réunir contre Louis XIV. Ferrand, comte de Flandre, fe joignit à l'empereur Othon IV. Il était vaffal de Philippe; mais c'était par cette raifon même qu'il fe déclara contre lui auffi-bien que le comte de Boulogne. Ainfi Philippe, pour avoir voulu accepter le préfent du pape, se mit au point d'être opprimé. Sa fortune & fon courage le firent fortir de ce péril avec la plus grande gloire qu'ait jamais méritée un roi de France.

Entre Lille & Tournai eft un petit village nommé Bouvines, près duquel Othon IV, à la tête d'une armée, qu'on dit forte de plus de cent mille combattans, vint attaquer le roi qui n'en avait guère que la moitié. On commençait alors à fe fervir d'arbalètes. Cette arme était en ufage à la fin du douzième fiècle. Mais ce qui décidait d'une journée,

1215.

Armée du

mandée par

c'était cette pefante cavalerie toute couverte de fer. L'armure complète du chevalier était une prérogative d'honneur, à laquelle les écuyers ne pouvaient prétendre; il ne leur était pas permis d'être invulnérables. Tout ce qu'un chevalier avait à craindre, était d'être bleffé au vifage, quand il levait la vifière de fon cafque; ou dans le flanc, au défaut de la cuiraffe, quand il était abattu, & qu'on avait levé fa chemise de mailles; enfin fous les aiffelles, quand il levait le bras.

Il y avait encore des troupes de cavalerie, tirées du corps des communes, moins bien armées que les chevaliers. Pour l'infanterie, elle portait des armes défenfives à fon gré, & les offenfives étaient l'épée la flèche, la maffue, la fronde.

Ce fut un évêque qui rangea en bataille l'armée de roi, com- Philippe-Augufte il s'appelait Guerin, & venait d'être un évêque. nommé à l'évêché de Senlis. Cet évêque de Beauvais, fi long-temps prifonnier du roi Richard d'Angleterre, fe trouva auffi à cette bataille. Il s'y fervit toujours d'une maffue, difant qu'il ferait irrégulier s'il verfait le fang humain. On ne fait point comment l'empereur & le roi difposèrent leurs troupes. Philippe, avant le combat, fit chanter le pfaume, Exurgat Deus, & diffipentur inimici ejus : comme fi Othon avait combattu contre DIEU. Auparavant, les Français chantaient des vers en l'honneur de Charlemagne & de Roland. L'étendard impérial d'Othon était fur quatre roues. C'était une longue perche qui portait un dragon de bois peint, & fur le dragon s'élevait un aigle de bois doré. L'étendard royal de France était un bâton doré avec un drapeau de foie blanche, femé de fleurs de lys : ce qui n'avait été long-temps qu'une imagination

de peintre commençait à fervir d'armoiries aux rois de France. D'anciennes couronnes des rois lombards, dont on voit des eftampes fidelles dans Muratori, font furmontées de cet ornement, qui n'eft autre chofe que le fer d'une lance lié avec deux autres fers recourbés, une vraie hallebarde.

Outre l'étendard royal, Philippe-Auguste fit porter l'oriflamme de St Denis. Lorfque le roi était en danger, on hauffait ou baiffait l'un ou l'autre de ces étendards. Chaque chevalier avait auffi le fien, & les grands chevaliers fefaient porter un autre drapeau, qu'on nommait bannière. Ce terme de bannière, fi honorable, était pourtant commun aux drapeaux de l'infanterie, presque toute composée de ferfs. Le cri de guerre des Français était mon joie St Denis. Le cri des Allemands était Kirie eleifon.

Une preuve que les chevaliers, bien armés, ne couraient guère d'autre risque que d'être démontés, & n'étaient bleffés que par un très-grand hasard, c'est que le roi Philippe-Augufte, renversé de fon cheval, fut long-temps entouré d'ennemis, & reçut des coups de toute espèce d'armes fans verfer une goutte de fang.

Un feul

dans la ba

On raconte même qu'étant couché par terre, un foldat allemand voulut lui enfoncer dans la gorge chevaliertue un javelot à double crochet, & n'en put jamais venir taille. à bout. Aucun chevalier ne périt dans la bataille, finon Guillaume de Longchamp, qui malheureusement mourut d'un coup dans l'œil, adreffé par la vifière de fon cafque.

On compte du côté des Allemands vingt-cinq chevaliers - bannerets, & fept comtes de l'Empire prifonniers, mais aucun de bleffé.

L'empereur Othon perdit la bataille. On tua, dit-on, trente mille allemands, nombre probablement exagéré. On ne voit pas que le roi de France fît aucune conquête du côté de l'Allemagne après la victoire de Bouvines; mais il en eut bien plus de pouvoir fur fes vaffaux.

Celui qui perdit le plus à cette bataille, fut Jean d'Angleterre, dont l'empereur Othon femblait la der1218. nière refsource. Cet empereur mourut bientôt après comme un pénitent. Il fe fefait, dit-on, fouler aux pieds de fes garçons de cuifine, & fouetter par des moines, felon l'opinion des princes de ce temps-là, qui pensaient expier par quelques coups de difcipline le fang de tant de milliers d'hommes.

Il n'eft point vrai, comme tant d'auteurs l'ont écrit, que Philippe reçut, le jour de la victoire de Bouvines, la nouvelle d'une autre bataille gagnée par fon fils Louis VIII contre le roi Jean. Au contraire, Jean avait eu quelque fuccès en Poitou; mais, deftitué du fecours de fes alliés, il fit une trève avec Philippe. Il en avait befoin: fes propres fujets d'Angleterre devenaient fes plus grands ennemis : il était méprifé, parce qu'il s'était fait vaffal de 1215. Rome. Les barons le forcèrent de figner cette fameufe charte qu'on appelle la charte des libertés d'Angleterre.

Grande

charte.

Le roi Jean fe crut plus léfé, en laissant, par cette charte, à fes fujets les droits les plus naturels, qu'il ne s'était cru dégradé en fe fefant fujet de Rome; il fe plaignit de cette charte, comme du plus grand affront fait à fa dignité : cependant qu'y trouve-t-on en effet d'injurieux à l'autorité royale? qu'à la mort

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