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Hiftoire de Thomas Bec

Cantorbéri.

moins les plus grands vaffaux de la couronne ne les furpaffaient pas en grandeur & en richeffes. Sous Etienne, fucceffeur de Henri I, un évêque de Salifbury, nommé Roger, marié & vivant publiquement avec celle qu'il reconnaiffait pour fa femme, fait la guerre au roi fon fouverain; & dans un de ces châteaux, pris pendant cette guerre, on trouva, dit-on, quarante mille marcs d'argent. Si ce font des marcs, des demi-livres, c'est une fomme exorbitante; fi ce font des marques, des écus, c'eft encore beaucoup dans un temps où l'espèce était fi rare.

Après ce règne d'Etienne, troublé par des guerres civiles, l'Angleterre prenait une nouvelle face fous Henri II, qui réuniffait la Normandie, l'Anjou, la Touraine, la Saintonge, le Poitou, la Guienne, avec l'Angleterre, excepté Cornouaille non encore foumife. Tout y était tranquille, lorfque ce bonheur fut troublé par la grande querelle du roi & de Thomas Becquet, qu'on appelle S' Thomas de Cantorbéri.

Ce Thomas Becquet, avocat élevé par le roi Henri II quet, ou St à la dignité de chancelier, & enfin à celle d'archeThomas de vêque de Cantorbéri, primat d'Angleterre & légat du pape, devint l'ennemi de la première perfonne de l'Etat, dès qu'il fut la feconde. Un prêtre commit un meurtre. Le primat ordonna qu'il ferait feulement privé de fon bénéfice. Le roi indigné lui reprocha qu'un laïque en cas pareil étant puni de mort, c'était inviter les eccléfiaftiques au crime que de proportionner fi peu la peine la peine au délit. L'archevêque foutint qu'aucun eccléfiaftique ne pouvait être puni de mort, & renvoya fes lettres de chancelier pour être entièrement indépendant. Le roi

dans un parlement propofa qu'aucun évêque n'allât à Rome, qu'aucun fujet n'appelât au Saint-Siége, qu'aucun vaffal & officier de la couronne ne fût excommunié & fufpendu de fes fonctions, fans permiffion du fouverain; qu'enfin les crimes du clergé fuffent foumis aux juges ordinaires. Tous les pairs féculiers pafsèrent ces propofitions. Thomas Becquet les rejeta d'abord. Enfin il figna des lois fi justes; mais il s'accufa auprès du pape d'avoir trahi les droits de l'Eglife, & promit de n'avoir plus de telles complaifances.

Accufé devant les pairs d'avoir malverfé pendant qu'il était chancelier, il refusa de répondre, fous prétexte qu'il était archevêque. Condamné à la prifon, comme féditieux, par les pairs eccléfiaftiques & féculiers, il s'enfuit en France, & alla trouver Louis le jeune, ennemi naturel du roi d'Angleterre. Quand il fut en France, il excommunia la plupart des feigneurs qui compofaient le confeil de Henri. Il lui écrivait: Je vous dois, à la vérité, révérence comme à mon roi; mais je vous dois châtiment comme à mon fils fpirituel. Il le menaçait dans fa lettre d'être changé en bête comme Nabuchodonofor, quoiqu'après tout il n'y eût pas un grand rapport entre Nabuchodonofor & Henri II.

Le roi d'Angleterre fit tout ce qu'il put pour engager l'archevêque à rentrer dans fon devoir. Il prit, dans un de fes voyages, Louis le jeune, fon feigneur fuzerain, pour arbitre : Que l'archevêque, dit-il à Louis en propres mots, agiffe avec moi ,, comme le plus faint des fes prédécesseurs en a usé › avec le moindre des miens, & je serai fatisfait.,,

Il fe fit une paix fimulée entre le roi & le prélat. Becquet revint donc en Angleterre; mais il n'y revint que pour excommunier tous les eccléfiaftiques, évêques, chanoines, curés, qui s'étaient déclarés 1170. contre lui. Ils fe plaignirent au roi, qui était alors en Normandie. Enfin Henri II, outré de colère, s'écria: ,, Eft-il poffible qu'aucun de mes ferviteurs ne me ,, vengera de ce brouillon de prêtre?,,

Thomas af

faffiné.

Ces paroles, plus qu'indifcrètes, femblaient mettre le poignard à la main de quiconque croirait le fervir en afsaffinant celui qui ne devait être puni que par les lois.

Quatre de fes domeftiques allèrent à Kenterbury, que nous nommons Cantorbéri; ils affommèrent à 1170. coups de maffue l'archevêque au pied de l'autel. Ainfi un homme qu'on aurait pu traiter en rebelle, devint un martyr; & le roi fut chargé de la honte & de l'horreur de ce meurtre.

Le pape

lande au roi

L'histoire ne dit point quelle juftice on fit de ces quatre affaffins: il femble qu'on n'en ait fait que du roi.

On a déjà vu comme Adrien IV donna à Henri II la donne l'Ir- permiffion d'ufurper l'Irlande. Le pape Alexandre III, Henri, pour fucceffeur d'Adrien IV, confirma cette permiffion, vu qu'il fe à condition que le roi ferait ferment qu'il n'avait par peniten- jamais commandé cet affaffinat, & qu'il irait pieds

faffe fouetter

ce.

nus recevoir la difcipline fur le tombeau de l'archevêque par la main des chanoines. Il eût été bien grand de donner l'Irlande, fi Henri avait eu le droit de s'en emparer, & le pape celui d'en difpofer. Mais il était plus grand de forcer un roi puiffant & coupable à demander pardon de fon crime.

Le roi alla donc conquérir l'Irlande; c'était un pays fauvage qu'un comte de Pembroke avait déjà fubjugué en partie avec douze cents hommes feulement. Ce comte de Pembroke voulait retenir fa conquête. Henri II plus fort que lui, & muni d'une bulle du pape, s'empara aifément de tout. Ce Ce pays eft toujours refté fous la domination de l'Angleterre, mais inculte, pauvre & inutile, jufqu'à ce qu'enfin dans le dixhuitième fiècle, l'agriculture, les manufactures, les arts, les sciences, tout s'y eft perfectionné; & l'Irlande, quoique fubjuguée, eft devenue une des plus floriffantes provinces de l'Europe.

Henri II, contre lequel fes enfans fe révoltaient, accomplit fa pénitence après avoir fubjugué l'Irlande. Il renonça folemnellement à tous les droits de la monarchie, qu'il avait foutenus contre Becquet. Les Anglais condamnent cette renonciation, & même fa pénitence. Il ne devait certainement pas céder fes droits, mais il devait se repentir d'un affaffinat: l'intérêt du genrehumain demande un frein qui retienne les fouverains, & qui mette à couvert la vie des peuples. Ce frein de la religion aurait pu être, par une convention universelle, dans la main des papes, comme nous l'avons déjà remarqué. Ces premiers pontifes, en ne fe mêlant des querelles temporelles que pour les apaifer, en avertiffant les rois & les peuples de leurs devoirs, en reprenant leurs crimes, en réfervant les excommunications pour les grands attentats, auraient toujours été regardes comme des images de DIEU fur la terre; mais les hommes font réduits à n'avoir pour leur défense que les lois & les mœurs de leur pays: lois fouvent méprisées, & mœurs fouvent corrompues.

1172.

1174.

Richard cœur

de lion.

1194.

mes.

L'Angleterre fut tranquille fous Richard caur de lion, fils & fucceffeur de Henri II. Il fut malheureux par ces croifades dont nous ferons bientôt mention; mais fon pays ne le fut pas. Richard eut avec Philippe-Augufte quelques-unes de ces guerres inévitables entre un fuzerain & un vaffal puiffant. Elles ne changèrent rien à la fortune de leurs Etats. Il faut regarder toutes les guerres pareilles entre les princes chrétiens comme des temps de contagion, qui dépeuplent des provinces fans en changer les limites, les ufages & les mœurs. Ce qu'il y eut de plus remarquable dans ces guerres, c'eft que Richard enleva, dit-on, à Philippe-Augufle fon chartrier qui le fuivait par-tout; il contenait un détail des revenus du prince, une lifte de fes vaffaux, un état des ferfs & des affranchis. On ajoute que le roi de France fut obligé de faire un nouveau chartrier, dans lequel fes droits furent plutôt augmentés que diminués. Il n'eft guère vraisemblable que dans des expéditions militaires on porte fes archives dans une charrette, comme du pain de munition. Mais que de chofes invraisemblables nous difent les hiftoriens!

Un autre fait digne d'attention, c'eft la captivité Evêque por d'un évêque de Beauvais, pris les armes à la main tant les ar- par le roi Richard. Le pape Celeftin III redemanda l'évêque. Rendez-moi mon fils, écrivait-il à Richard: le roi, en envoyant au pape la cuiraffe de l'évêque, lui répondit par ces paroles de l'hiftoire de Joseph : Reconnaiffez-vous la tunique de votre fils?

Il faut obferver encore à l'égard de cet évêque guerrier, que fi les lois des fiefs n'obligeaient pas les évêques à fe battre, elles les obligeaient

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