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être foupçonné de les favoir bien mal, ou plutôt il en fait les élémens, ce qui eft ne rien savoir.

Il est encore plus extraordinaire que ce prince, ayant étudié tant de langues, ait pu à vingt-quatre ans foutenir à Rome des thèses fur tous les objets des fciences, fans en excepter une feule. On trouve à la tête de fes ouvrages quatorze cents conclufions générales fur lesquelles il offrit de difputer. Un peu d'élémens de géométrie & de la fphère étaient dans cette étude immenfe la feule chofe qui méritait fes peines. Tout le refte ne fert qu'à faire voir l'efprit du temps. C'eft la Somme de St Thomas, c'eft le précis des ouvrages d'Albert, furnommé le grand, c'est un mélange de théologie avec le péripatétifme. On y voit qu'un ange eft infini fecundum quid: les animaux & les plantes naiffent d'une corruption animée par la vertu productive. Tout eft dans ce goût. C'est ce qu'on apprenait dans toutes les univerfités. Des milliers d'écoliers fe rempliffaient la tête de ces chimères, & fréquentaient jufqu'à quarante ans les écoles où on les enfeignait. On ne favait pas mieux dans le refte de la terre. Ceux qui gouvernaient le monde étaient bien excufables alors de méprifer les fciences, & Pic de la Mirandole bien malheureux d'avoir confumé fa vie & abrégé fes jours dans ces graves démences.

Ceux qui, nés avec un vrai génie cultivé par la lecture des bons auteurs romains, avaient échappé aux ténèbres de cette érudition, étaient depuis le Dante & Pétrarque en très-petit nombre. Leurs ouvrages convenaient davantage aux princes, aux hommes d'Etat, aux femmes, aux feigneurs, qui ne cherchent

dans la lecture qu'un délaffement agréable; & ils devaient être plus propres au prince de la Mirandole que les compilations d'Albert le grand.

Mais la paffion de la fcience univerfelle l'emportait; & cette fcience univerfelle confiftait à favoir par cœur fur chaque matière quelques mots qui ne donnaient aucune idée. Il eft difficile de comprendre comment les mêmes hommes qui raisonnent fi jufte & fi finement fur les affaires du monde & fur leurs intérêts, ont pu fe payer de paroles inintelligibles dans prefque tout le refte. La raison en eft qu'on veut paraître inftruit plutôt que de s'inftruire; & quand des maîtres d'erreur ont plié notre ame dans notre jeuneffe, nous ne fefons pas même d'efforts pour la redreffer; nous en fefons au contraire pour la courber encore. De-là vient que tant d'hommes pleins de fagacité, & même de génie, font pétris d'erreurs populaires; de-là vient que de grands hommes, tels que Pafcal & Arnaud, finirent par être fanatiques.

Pic de la Mirandole écrivit, à la vérité, contre l'astrologie judiciaire; mais il ne faut pas s'y méprendre : c'était contre l'aftrologie pratiquée de fon temps. Il en admettait une autre, & c'était l'ancienne, la véritable qui, difait-il, était négligée.

Il dit dans fa première propofition que la magie, telle qu'elle eft aujourd'hui, & que l'Eglife condamne, n'est point fondée fur la vérité, puifqu'elle dépend des puiffances ennemies de la vérité. On voit par ces paroles mêmes, toutes contradictoires qu'elles font, qu'il admettait la magie comme une œuvre des démons, & c'était le fentiment reçu. Auffi il affure qu'il n'y a aucune

vertu dans le ciel & fur la terre qu'un magicien ne puiffe faire agir; & il prouve que les paroles font efficaces en magie, parce que DIEU s'eft fervi de la parole pour arranger le monde.

Ces thèses firent beaucoup plus de bruit, & eurent plus d'éclat que n'en ont eu de nos jours les découvertes de Newton, & les vérités approfondies par Locke. Le pape Innocent VIII fit cenfurer treize propofitions de toute cette grande doctrine. Ces cenfures reffemblaient aux décisions de ces Indiens qui condamnaient l'opinion que la terre eft foutenue par un dragon parce que, disaient-ils, elle ne peut être foutenue que par un éléphant. Pic de la Mirandole fit fon apologie; il s'y plaint de fes cenfeurs. Il dit qu'un d'eux s'emporta violemment contre la cabale. Mais favez-vous, lui dit le jeune prince, ce que veut dire ce mot de cabale? Belle demande, répondit le théologien, ne fait-on pas que c'était un hérétique qui écrivit contre JESUS-CHRIST?

Enfin il fallut que le pape Alexandre VI, qui au moins avait le mérite de méprifer ces difputes, lui envoyât une abfolution. Il eft remarquable qu'il traita de même Pic de la Mirandole & Savonarole.

L'hiftoire du prince de la Mirandole n'eft que celle d'un écolier plein de génie, parcourant une vafte carrière d'erreurs, & guidé en aveugle par des maîtres aveugles: ce qui fuit eft l'histoire des maîtres du menfonge, qui fondent leur puiffance fur la ftupidité humaine.

Fin du tome fecond.

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CHAP. XLVII. De l'empereur Henri V & de Rome

jufqu'à Frederic I.

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