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romain, & que l'évêque ne devait avoir foin que de l'Eglife.

Ces fénateurs s'étant retranchés au capitole, le pape Lucius les affiégea en perfonne. Il y reçut un coup de pierre à la tête, & en mourut quelques jours après.

En ce temps, Arnaud de Brescia, un de ces hommes à enthousiasme, dangereux aux autres & à euxmêmes, prêchait de ville en ville contre les richesses immenfes des eccléfiaftiques, & contre leur luxe. Il vint à Rome, où il trouva les efprits difpofés à l'entendre. Il fe flattait de réformer les papes, & de contribuer à rendre Rome libre. Eugène III, auparavant moine à Citeaux & à Clervaux, était alors Portrait des pontife. St Bernard lui écrivait :,, Gardez-vous des Romains par,, Romains: ils font odieux au ciel & à la terre,

St Bernard.

1155.

,, impies envers DIEU, féditieux entre eux, jaloux ,, de leurs voifins, cruels envers les étrangers : ils ,, n'aiment perfonne, & ne font aimés de perfonne; ,, & voulant fe faire craindre de tous, ils craignent "tout le monde, &c. Si on comparait ces antithefes de Bernard avec la vie de tant de papes, on excuferait un peuple qui, portant le nom romain cherchait à n'avoir point de maître.

Le pape Eugène III fut ramener ce peuple, accoutumé à tous les jougs. Le fénat fubfifta encore quelques années. Mais Arnaud de Brefcia, pour fruit de fes fermons, fut brûlé à Rome fous Adrien IV, destinée ordinaire des réformateurs qui ont plus d'indifcrétion que de puiffance.

Je crois devoir obferver que cet Adrien IV, né anglais, était parvenu à ce faîte des grandeurs, du

plus vil état où les hommes puiffent naître. Fils d'un mendiant, & mendiant lui-même, errant de pays en pays avant de pouvoir être reçu valet chez des moines de Valence en Dauphiné, il était enfin devenu pape.

On n'a jamais que les fentiments de fa fortune préfente. Adrien IV eut d'autant plus d'élévation dans l'efprit, qu'il était parvenu d'un état plus abject. L'Eglife romaine a toujours eu cet avantage de pouvoir donner au mérite ce qu'ailleurs on donne à la naiffance; & on peut même remarquer que parmi les papes, ceux qui ont montré le plus de hauteur font ceux qui naquirent dans la condition la plus vile. Aujourd'hui en Allemagne il y a des couvents où l'on ne reçoit que des nobles. L'efprit de Rome a plus de grandeur & moins de vanité.

CHAPITRE

XLVII I.

De Frederic Barberouffe. Cérémonies du couronnement des empereurs & des papes. Suite des guerres de la liberté italique contre la puissance allemande. Belle conduite du pape Alexandre III, vainqueur de l'empereur par la politique, & bienfaiteur du genre-humain.

REGNAIT

EGNAIT alors en Allemagne Fréderic I, qu'on nomme communément Barberouffe, élu après la mort de Conrad III fon oncle, non-feulement par les feigneurs allemands, mais auffi par les Lombards,

1152.

qui donnèrent cette fois leur fuffrage. Fréderic était un homme comparable à Othon & à Charlemagne. Il fallut aller prendre à Rome cette couronne impériale, que les papes donnaient à la fois avec fierté & avec regret, voulant couronner un vassal, & affligés d'avoir un maître. Cette fituation toujours équivoque des papes, des empereurs, des Romains & des principales villes d'Italie, fefait répandre du fang à chaque couronnement d'un Céfar. La coutume était que quand l'empereur s'approchait pour se faire couronner, le pape fe fortifiait, le peuple fe cantonnait. l'Italie était en armes. L'empereur promettait qu'il n'attenterait ni à la vie, ni aux membres, ni à l'honneur du pape, des cardinaux, & des magistrats : le pape de fon côté fefait le même ferment à l'empereur & à fes officiers. Telle était alors la confufe anarchie de l'Occident chrétien, que les deux premiers perfonnages de cette petite partie du monde, l'un fe vantant d'être le fucceffeur des Cefars, l'autre le fucceffeur de JESUS-CHRIST, & l'un devant donner Serments ré- l'onction facrée à l'autre; tous deux étaient obligés ciproques des empereurs & de jurer qu'ils ne feraient point affaffins pour le ne fe point temps de la cérémonie. Un chevalier, armé de faire affaffi- toutes pièces, fit ce ferment au pontife Adrien IV au nom de l'empereur, & le pape fit fon ferment devant le chevalier.

des papes de

ner.

Le couronnement ou exaltation des papes était accompagné alors de cérémonies auffi extraordinaires, & qui tenaient de la fimplicité plus encore Cérémonie que de la barbarie. On pofait d'abord le pape élu fingulières. fur une chaife percée, appelée Stercorarium; enfuite fur un fiége de porphyre, fur lequel on lui donnait

deux clefs; de là fur un troisième fiége, où il recevait douze pièces de couleur. Toutes ces coutumes, que le temps avait introduites, ont été abolies par le temps. Quand l'empereur Fréderic eut fait fon ferment, le pape Adrien IV vint le trouver à quelques milles de Rome.

Il était établi par le cérémonial romain que l'empereur devait fe profterner devant le pape, lui baifer les pieds, lui tenir l'étrier, & conduire la haquenée blanche du St Père par la bride l'espace de neuf pas romains. Ce n'était pas ainfi que les papes avaient reçu Charlemagne. L'empereur Fréderic trouva le cérémonial outrageant, & refufa de s'y foumettre. Alors tous les cardinaux s'enfuirent, comme fi le prince par un facrilége avait donné le fignal d'une guerre civile. Mais la chancellerie romaine, qui tenait registre de tout, lui fit voir que fes prédéceffeurs avaient rendu ces devoirs. Je ne fais fi aucun autre empereur que Lothaire II, fucceffeur de Henri V, avait mené le cheval du pape par la bride. La cérémonie de baifer les pieds, qui était d'ufage, ne révoltait point la fierté de Frederic; & celle de la bride & de l'étrier l'indignait, parce qu'elle parut nouvelle. Son orgueil accepta enfin ces deux prétendus affronts, qu'il n'envisagea que comme de vaines marques d'humilité chrétienne, & que la cour de Rome regardait comme des preuves de fujétion. Celui qui fe difait le maître du monde, caput orbis, fe fit palefrenier d'un gueux qui avait vécu d'aumônes.

Des députés du peuple romain, devenus auffi plus hardis depuis que prefque toutes les villes de

i

1155.

Empire,

l'Italie avaient fonné le tocfin de la liberté, voulurent traiter de leur côté avec l'empereur; mais ayant commencé leur harangue en difant: Grand

› roi, nous vous avons fait citoyen & notre prince, ,, d'étranger que vous étiez; l'empereur, fatigué de tous côtés de tant d'orgueil, leur impofa filence, & leur dit en propres mots :,, Rome n'est plus ce ,, qu'elle a été; il n'est pas vrai que vous m'ayez ,, appelé & fait votre prince: Charlemagne & Othon "" vous ont conquis par la valeur ; je fuis votre "maître par une poffeffion légitime. Il les renvoya ainfi, & fut inauguré hors des murs par le pape, qui lui mit le fceptre & l'épée en main, & la couronne fur la tête.

On favait fi peu ce que c'était que l'empire, toutes 18 juin les prétentions étaient fi contradictoires, que d'un bénéfice à la côté le peuple romain se fouleva, & il y eut beaucollation du coup de fang verfé, parce que le pape avait couronné

раре.

l'empereur fans l'ordre du fénat & du peuple ; & de l'autre côté le pape Adrien écrivait dans toutes fes lettres, qu'il avait conféré à Fréderic le bénéfice de l'empire romain, Beneficium imperii romani. Ce mot de beneficium fignifiait un fief à la lettre. Il fit de plus exposer en public à Rome un tableau qui représentait Lothaire II aux genoux du pape Alexandre II, tenant les mains jointes entre celles du pontife, ce qui était la marque diftinctive de la vaffalité. L'infcription du

tableau était :

Rex venit antè fores, jurans prius urbis honores:
Poft homo fit papa, fumit quo dante coronam.

"Le roi jure à la porte le maintien des honneurs

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