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SUR LES MOEURS

ET

ET L'ESPRIT DES NATIONS,

SUR LES PRINCIPAUX FAITS DE L'HISTOIRE,
DEPUIS CHARLEMAGNE JUSQU'A LOUIS XIII.

CHAPITRE XLII I.

De l'état de l'Europe aux dixième & onzième fiècles.

LA Moscovie, ou plutôt la Ziovie, avait commencé à connaître un peu de christianisme vers la fin du dixième fiècle. Les femmes étaient deftinées à changer la religion des royaumes. Une fœur des empereurs Bafile & Conftantin, mariée à un grand duc ou grand knès de Moscovie, nommé Volodimer, obtint de fon mari qu'il fe fît baptifer. Les Mofcovites, quoiqu'efclaves de leur maître, ne fuivirent qu'avec le temps fon exemple; & enfin dans ces fiècles d'ignorance, ils ne prirent guère du rite grec que les fuperftitions.

Au refte, les ducs de Mofcovie ne fe nommaient pas encore czars, ou tfars, ou tchards; ils n'ont pris ce titre que quand ils ont été les maîtres des pays vers Cafan appartenant à des tfars. C'eft un terme flavon imité du perfan; & dans la bible flavonne le roi David eft appelé le cfar David.

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1013.

Environ dans ce temps-là, une femme attira encore la Pologne au chriftianifme. Micislas, duc de Pologne, fut converti par fa femme, fœur du duc de Bohême. J'ai déjà remarqué que les Bulgares avaient reçu la foi de la même manière. Gifelle, foeur de l'empereur Henri II, fit encore chrétien fon mari roi de Hongrie, dans la première année du onzième fiècle; ainfi il eft très-vrai que la moitié de l'Europe doit aux femmes fon chriftianisme.

La Suède, chez qui il avait été prêché dès le neuvième fiècle, était redevenue idolâtre. La Bohème, & tout ce qui eft au nord de l'Elbe, renonça au chriftianifme. Toutes les côtes de la mer Baltique vers l'Orient étaient païennes. Les Hongrois retour1047. nèrent au paganisme. Mais toutes ces nations étaient beaucoup plus loin encore d'être polics que d'être chrétiennes.

La Suède, probablement depuis long-temps épuisée d'habitants par ces anciennes émigrations dont l'Europe fut inondée, paraît dans les huitième, neuvième, dixième, & onzième fiècles comme enfevelie dans fa barbarie, fans guerre & fans commerce avec fes voisins; elle n'a part à aucun grand événement, & n'en fut probablement que plus heureuse.

La Pologne, beaucoup plus barbare que chrétienne, conferva jufqu'au treizième fiècle toutes les coutumes des anciens Sarmates, comme celle de tuer leurs enfants qui naiffaient imparfaits, & les vieillards invalides. Albert, furnommé le grand, dans ces fiècles d'ignorance, alla en Pologne pour y déraciner ces coutumes affreufes, qui durèrent jufqu'au

milieu du treizième fiècle; & on n'en put venir à bout qu'avec le temps. Tout le refte du Nord vivait dans un état fauvage; état de la nature humaine, quand l'art ne l'a pas changée.

L'empire de Constantinople n'était ni plus refferré, ni plus agrandi que nous l'avons vu au neuvième fiècle. A l'Occident, il fe défendait contre les Bulgares; à l'Orient, au Nord, & au Midi, contre les Turcs & les Arabes.

On a vu en général ce qu'était l'Italie: des feigneurs particuliers partageaient tout le pays depuis Rome jufqu'à la mer de la Calabre, & les Normands. en avaient la plus grande partie. Florence, Milan, Pavie, fe gouvernaient par leurs magiftrats fous des comtes ou fous des ducs nommés par les empereurs. Bologne était plus libre.

La maifon de Maurienne, dont defcendent les ducs de Savoie, rois de Sardaigne, commençait à s'établir. Elle poffédait comme fief de l'empire le comté héréditaire de Savoie & de Maurienne, depuis qu'un Berthol, tige de cette maison, avait eu ce petit 888. démembrement du royaume de Bourgogne. Il y eut cent seigneurs en France beaucoup plus confidérables que les comtes de Savoie; mais tous ont été enfin accablés fous le pouvoir du feigneur dominant; tous ont cédé l'un après l'autre à des maifons nouvelles, élevées par la faveur des rois. Il ne refte plus de trace de leur ancienne grandeur. La maison de Maurienne, cachée dans fes montagnes, s'eft agrandie de fiècle en fiècle, & eft devenue égale aux plus grands

monarques.

Venife &

Gènes.

Les Suiffes & les Grifons, qui compofaient un Etat quatre fois plus puiffant que la Savoie, & qui étaient, comme elle, un démembrement de la Bourgogne, obéiffaient aux baillis que les empereurs nommaient.

Deux villes maritimes d'Italie commençaient à s'élever, non par ces invafions fubites qui ont fait les droits de prefque tous les princes qui ont paffé fous nos yeux, mais par une industrie fage qui dégénéra auffi bientôt en efprit de conquête. Ces deux villes étaient Gènes & Venife. Gènes, célèbre du temps des Romains, regardait Charlemagne comme fon reftaurateur. Cet empereur l'avait rebâtie quelque temps après que les Goths l'avaient détruite. Gouvernée par des comtes fous Charlemagne & fes premiers defcendants, elle fut faccagée au dixième fiècle par les mahométans ; & prefque tous fes citoyens furent emmenés en fervitude. Mais comme c'était un port commerçant, elle fut bientôt repeuplée. Le négoce, qui l'avait fait fleurir, fervit à la rétablir. Elle devint alors une république. Elle prit l'île de Corfe fur les Arabes qui s'en étaient emparés. Les papes exigèrent un tribut pour cette île, non-feulement parce qu'ils y avaient poffédé autrefois des patrimoines, mais parce qu'ils fe prétendaient fuzerains de tous les royaumes conquis fur les infidelles. Les Génois payèrent ce tribut au commencement du onzième fiècle; mais bientôt après ils s'en affranchirent fous le ponti. ficat de Lucius II. Enfin leur ambition croiffant avec leurs richeffes, de marchands ils voulurent devenir conquérants.

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