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1073.

Quel était Gregoire VII.

Henri IV, devenu majeur, fe vit empereur d'Italie & d'Allemagne prefque fans pouvoir. Une partie des princes féculiers & eccléfiaftiques de fa patrie se liguèrent contre lui; & l'on fait qu'il ne pouvait être maître de l'Italie qu'à la tête d'une armée, qui lui manquait. Son pouvoir était peu de chofe, fon courage était au-deffus de fa fortune.

Quelques auteurs rapportent qu'étant accufé dans la diète de Vürtzbourg d'avoir voulu faire affaffiner les ducs de Suabe & de Carinthie, il offrit de fe battre en duel contre l'accufateur, qui était un fimple gentilhomme. Le jour fut déterminé pour le combat; & l'accufateur, en ne paraissant pas, sembla juftifier l'empereur.

Dès que l'autorité d'un prince eft contestée, fes mœurs font toujours attaquées. On lui reprochait publiquement d'avoir des maîtreffes, tandis que les moindres clercs en avaient impunément. Il voulait se féparer de fa femme, fille d'un marquis de Ferrare, avec laquelle il difait n'avoir jamais pu confommer fon mariage. Quelques emportements de fa jeunesse aigriffaient encore les efprits, & fa conduite affaibliffait fon pouvoir.

Il y avait alors à Rome un moine de Cluni, devenu cardinal, homme inquiet, ardent, entreprenant, qui favait mêler quelquefois l'artifice à l'ardeur de fon zèle pour les prétentions de l'Eglife. Hildebrand était le nom de cet homme audacieux, qui fut depuis ce célèbre Grégoire VII, né à Soane en Toscane, de parents inconnus, élevé à Rome, reçu moine de Cluni fous l'abbé Odillon, député depuis à Rome pour les intérêts de fon ordre, employé

après

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après par les papes dans toutes ces affaires qui
demandent de la foupleffe & de la fermeté, & déjà
célèbre en Italie par un zèle intrépide. La voix
publique le défignait pour le fucceffeur d'Alexandré II,
dont il gouvernait le pontificat. Tous les portraits,
ou flatteurs ou odieux, que tant d'écrivains ont faits
de lui, fe trouvent dans le tableau d'un peintre
napolitain, qui peignit Grégoire tenant une houlette
dans une main, & un fouet dans l'autre ; foulant des
fceptres à fes pieds, & ayant à côté de lui les filets
& les poiffons de St Pierre.

citer devant

.

Grégoire engagea le pape Alexandre à faire un coup 1073. d'éclat inouï, à fommer le jeune Henri de venir Le pape ofe comparaître à Rome devant le tribunal du St Siége. Lui l'empeC'est le premier exemple d'une telle entreprise. Et reur Henri dans quel temps la hafarde-t-on ? lorfque Rome V était toute accoutumée par Henri III, père de Henri IV, à recevoir fes évêques fur un simple ordre de l'empereur. C'était précifément cette fervitude dont Grégoire voulait fecouer le joug; & pour empêcher les empereurs de donner des lois dans Rome, il voulait que le pape en donnât aux empereurs. Cette hardieffe n'eut point de fuite. Il femble qu'Alexandre Il était un enfant perdu, qu'Hildebrand détachait contre l'empire avant d'engager la bataille. La mort d'Alexandre fuivit bientôt ce premier acte d'hoftilité.

Hildebrand eut le crédit de fe faire élire & intronifer 1073. par le peuple romain, fans attendre la permiffion de Hardieffe de Gregoire VII. l'empereur. Bientôt il obtint cette permiffion, en promettant d'être fidelle. Henri IV reçut fes excufes. Son chancelier d'Italie alla confirmer à Rome l'élection Effai fur les mœurs, &c. Tome II. C

du pape ; & Henri, que tous fes courtifans avertiffaient de craindre Grégoire VII, dit hautement que ce pape ne pouvait être ingrat à fon bienfaiteur. Mais à peine Grégoire eft-il affuré du pontificat, qu'il déclare excommuniés tous ceux qui recevront des bénéfices des mains des laïques, & tout laïque qui les conférera. Il avait conçu le deffein d'ôter à tous les collateurs féculiers le droit d'inveftir les eccléfiaftiques. C'était mettre l'Eglife aux prifes avec tous les rois. Son humeur violente éclate en même temps contre Philippe I roi de France. Il s'agiffait de quelques marchands italiens que les Français avaient rançonnés. Le pape écrit une lettre circulaire aux évêques de France : Votre roi, leur ", dit-il, eft moins roi que tyran; il paffe sa vie ,, dans l'infamie & dans le crime: & après ces paroles indifcrètes, fuit la menace ordinaire de l'excommunication.

Bientôt après, tandis que l'empereur Henri eft occupé dans une guerre civile contre les Saxons, le pape lui envoie deux légats pour lui ordonner de venir répondre aux accufations intentées contre lui d'avoir donné l'inveftiture des bénéfices, & pour l'excommunier en cas de refus. Les deux porteurs d'un ordre fi étrange trouvent l'empereur vainqueur des Saxons, comblé de gloire & plus puiffant qu'on ne l'efpérait. On peut fe figurer avec quelle hauteur un empereur de vingt-cinq ans, victorieux & jaloux de fon rang, reçut une telle ambaffade. Il n'en fit pas le châtiment exemplaire, que l'opinion de ces temps-là ne permettait pas, & n'oppofa en 1076. apparence que du mépris à l'audace: il abandonna

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ces légats indifcrets aux infultes des valets de fa

cour.

Prefqu'au même temps, le pape excommunia encore ces Normands, princes de la Pouille & de la Calabre, (comme nous l'avons dit précédemment.) Tant d'excommunications à la fois paraîtraient aujourd'hui le comble de la folie. Mais qu'on taffe réflexion que Grégoire VII, en menaçant le roi de France, adreffait fa bulle au duc d'Aquitaine, vaffal du roi, auffi puissant que le roi même; que, quand il éclatait contre l'empereur, il avait pour lui une partie de l'Italie, la comteffe Mathilde, Rome, & la moitié de l'Allemagne; qu'à l'égard des Normands, ils étaient dans ce temps-là fes ennemis déclarés: alors Grégoire VII paraîtra plus violent & plus audacieux qu'insensé. Il fentait qu'en élevant sa dignité au-deffus de l'empereur & de tous les rois, il ferait fecondé des autres églifes, flattées d'être les membres d'un chef qui humiliait la puissance féculière. Son deffein était formé non-feulement de fecouer le joug des empereurs, mais de mettre Rome, empereurs, & rois, fous le joug de la papauté. Il pouvait lui en coûter la vie, il devait même s'y attendre; & le péril donne de la gloire.

Henri IV, trop occupé en Allemagne, ne pouvait Grégoire VII paffer en Italie. Il parut fe venger d'abord moins en prison. comme un empereur allemand que comme un feigneur italien. Au lieu d'employer un général & une armée, il fe fervit, dit-on, d'un bandit nommé Cencius, très-confidéré par fes brigandages, qui faifit le pape dans Sainte-Marie-majeure, dans le temps. qu'il officiait; des fatellites déterminés frappèrent le

1076.

Grégoire

pereur.

pontife & l'enfanglantèrent. On le mena prifonnier dans une tour dont Cencius s'était rendu maître ; & on lui fit payer cher fa liberté.

Henri IV agit un peu plus en prince, en convoquant à Worms un concile d'évêques, d'abbés, & de docteurs, dans lequel il fit dépofer le pape. Toutes les voix, à deux près, concoururent à la déposition. Mais il manquait à ce concile des troupes pour l'aller faire respecter à Rome. Henri ne fit que commettre fon autorité, en écrivant au pape qu'il le dépofait, & au peuple romain qu'il lui défendait de reconnaître Grégoire.

Dès que le pape eut reçu ces lettres inutiles, il dépose l'em- parla ainfi dans un concile à Rome, De la part de DIEU tout-puiffant, & par notre autorité, je ,, défends à Henri, fils de notre empereur Henri, de gouverner le royaume teutonique, & l'Italie ; ,, j'absous tous les chrétiens du ferment qu'ils lui " ont fait ou feront; & je défends que qui que ce

foit le ferve jamais comme roi. On fait que c'eft-là le premier exemple d'un pape qui prétend ôter la couronne à un fouverain. Nous avons vu auparavant des évêques dépofer Louis le débonnaire; mais il y avait au moins un voile à cet attentat. Ils condamnaient Louis, en apparence feulement, à la pénitence publique; & perfonne n'avait jamais ofé parler depuis la fondation de l'Eglife comme Grégoire VII. Les lettres circulaires du pape refpirèrent le même efprit que fa fentence. Il y redit plufieurs que les évêques font au-deffus des rois, & faits pour les juger; expreffions non moins adroites que hardies, qui devaient ranger fous fon étendard tous les prélats du monde.

fois

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