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1249.

romain ne fervit donc jamais qu'à la déchirer. Ces mêmes évêques, qui elifaient des empereurs, fe diviserent entre eux : leur comte de Hollande fut tué dans cette guerre civile.

Frederic II avait à combattre les papes, depuis l'extrémité de la Sicile jufqu'à celle de l'Allemagne. On dit qu'étant dans la Pouille, il découvrit que fon médecin, feduit par Innocent IV, voulait l'empoifonner. Le fait me paraît douteux; mais dans les doutes que fait naître l'hiftoire de ces temps, il ne s'agit que du plus ou du moins de crimes.

Frederic, voyant avec horreur qu'il lui était impoffible de confier fa vie à des chrétiens, fut obligé de prendre des mahométans pour fa garde. On prétend qu'ils ne le garantirent pas des fureurs de Mainfroy fon bâtard, qui l'étouffa, dit-on, dans fa dernière maladie. Le fait me paraît faux. Ce grand & malheureux empereur, roi de Sicile dès le berceau, ayant porté trente huit ans la vaine couronne de Jérufalem, & celle des céfars cinquante-quatre ans, (puisqu'il avait été déclaré roi des Romains en 1196,) mourut âgé de cinquante fept ans dans le royaume 1250. de Naples, & laiffa le monde auffi troublé à sa mort qu'à fa naiffance. Malgré tant de troubles, fes royaumes de Naples & de Sicile furent embellis & policés par fes foins: il y bâtit des villes, y fonda des univerfités, y fit fleurir un peu les lettres. La langue italienne commençait à fe former alors, c'était un compofé de la langue romance & du latin. On a des vers de Fréderic II en cette langue. Mais les traverses qu'il effuya nuifirent aux sciences autant qu'à fes deffeins.

Depuis la mort de Frederic II jufqu'en 1268, l'Allemagne fut fans chef, non comme l'avait été la Grèce, l'ancienne Gaule, l'ancienne Germanie, & l'Italie avant qu'elle fut foumife aux Romains : l'Allemagne ne futni une république, ni un pays partagé entre plufieurs fouverains, mais un corps fans tête, dont les membres fe déchiraient.

C'était une belle occafion pour les papes; mais ils n'en profitèrent pas. On leur arracha Brescia, Crémone, Mantoue, & beaucoup de petites villes. Il eût fallu alors un pape guerrier pour les reprendre; mais rarement un pape eut ce caractère. Ils ébranlaient à la vérité le monde avec leurs bulles. Ils donnaient des royaumes avec des parchemins. Le pape Innocent IV déclara, de fa propre autorité, Haquin roi de Norvège, en le fefant enfant légitime, de bâtard 1247. qu'il était. Un légat du pape couronna ce roi Haquin, & reçut de lui un tribut de quinze mille marcs d'argent, & cinq cents marcs (ou marques) des églifes de Norvège; ce qui était peut-être la moitié de l'argent comptant qui circulait dans un pays fi peu riche.

Le même pape Innocent IV créa auffi un certain Mandog roi de Lithuanie, mais roi relevant de Rome. Nous recevons, dit-il dans fa bulle du 15 juillet 1251, ce nouveau royaume de Lithuanie au droit & à la propriété de St Pierre, vous prenant fous notre protection, vous, votre femme & vos enfans. C'était imiter en quelque forte la grandeur de l'ancien fénat de Rome, qui accordait des titres de rois & de tétrarques. La Lithuanie ne fut pas cependant un royaume, elle ne put même encore être chrétienne que plus d'un fiècle après.

Les papes parlaient donc en maîtres du monde, & ne pouvaient être maîtres chez eux : il ne leur en coûtait que du parchemin pour donner ainfi des Etats; mais ce n'était qu'à force d'intrigues qu'ils pouvaient fe reffaifir d'un village auprès de Mantoue ou de Ferrare.

Voilà quelle était la fituation des affaires de l'Europe: l'Allemagne & l'Italie déchirées, la France encore faible, l'Efpagne partagée entre les chrétiens & les mufulmans ; ceux-ci entièrement chaffés de l'Italie; l'Angleterre commençant à difputer fa liberté contre fes rois; le gouvernement féodal établi partout; la chevalerie à la mode; les prêtres devenus princes & guerriers; une polítique prefqu'en tout différente de celle qui anime aujourd'hui l'Europe. Il femblait que les pays de la communion romaine fuffent une grande république dont l'empereur & les papes voulaient être les chefs; & cette république, quoique divifée, s'était accordée long-temps dans les projets des croisades, qui ont produit de fi grandes & de fi infames actions, de nouveaux royaumes, de nouveaux établiffemens, de nouvelles misères, & enfin beaucoup plus de malheur que de gloire. Nous les avons déjà indiquées. Il eft temps de peindre ces folies guerrières.

CHAPITRE

LI I I.

De l'Orient au temps des croifades, & de l'état de la

Palefline.

Les religions durent toujours plus que les empires. CommenLES

Turcs.

Le mahométisme floriffait, & l'empire des califes cemens
était détruit par la nation des Turcomans. On se
fatigue à rechercher l'origine de ces Turcs. Elle est
la même que celle de tous les peuples conquérans.
Ils ont tous été d'abord des fauvages, vivans de
rapine. Les Turcs habitaient autrefois au-delà du
Taurus & de l'Immaüs, & bien loin, dit-on, de
l'Araxe. Ils étaient compris parmi ces Tartares que
l'antiquité nommait Scythes. Ce grand continent de
la Tartarie, bien plus vafte que l'Europe, n'a jamais
été habité que par des barbares. Leurs antiquités ne
méritent guère mieux une histoire suivie que les loups
& les tigres de leur pays. Ces peuples du Nord firent
de tout temps des invafions vers le Midi. Ils fe répan-

dirent vers le onzième fiècle du côté de la Mofcovie.
Ils inondèrent les bords de la mer Cafpienne. Les
Arabes, fous les premiers fucceffeurs de Mahomet,
avaient foumis prefque toute l'Afie mineure, la Syrie
& la Perfe: les Turcomans vinrent enfu, qui fou-
mirent les Arabes.

Un calife de la dynaftie des Abaffides, nommé Motaffem, fils du grand Almamon, & petit-fils du célèbre Aaron-al-Rafchild, protecteur comme eux de tous les arts, contemporain de notre Louis le débonnaire ou le faible, pola les premières pierres de l'édifice

des

fous lequel fes fucceffeurs furent enfin écrasés. Il fit venir une milice de Turcs pour fa garde. Il n'y a jamais eu un plus grand exemple du danger des troupes étrangères. Cinq à fix cents Turcs à la folde de Molaffem font l'origine de la puiffance ottomane, qui a tout englouti, de l'Euphrate jufqu'au bout de la Grèce, & a de nos jours mis le fiége devant Vienne. Cette milice turque, augmentée avec le temps, devint funeste à ses maîtres. De nouveaux Turcs arrivent, qui profitèrent des guerres civiles excitées pour le califat. Les califes Abaffides de Bagdat perdirent bientôt la Syrie, l'Egypte, l'Afrique, que les califes Fatimites leur enlevèrent. Les Turcs Decadence dépouillèrent & Fatimites & Abaffides.

des Califes. 1050.

Togrul-Beg, ou Ortogrul-Beg, de qui on fait defcendre la race des Ottomans, entra dans Bagdat, à peu près comme tant d'empereurs font entrés dans Rome. Il fe rendit maître de la ville & du calife, en fe profternant à fes pieds. Ortogrul conduifit le calife Caiem à fon palais en tenant la bride de fa mule; mais, plus habile ou plus heureux que les empereurs allemands ne l'ont été dans Rome, il établit fa puiffance, & ne laiffa au calife que le foin de commencer le vendredi les prières à la mosquée, & l'honneur d'inveftir de leurs Etats tous les tyrans mahométans qui fe fesaient fouverains.

Il faut fe fouvenir que comme ces Turcomans. imitaient les Francs, les Normands & les Goths dans leurs irruptions, ils les imitaient auffi en fe foumettant aux lois, aux mœurs, & à la religion des vaincus. C'eft ainfi que d'autres Tartares en ont usé avec les Chinois; & c'est l'avantage que tout peuple

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