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ATALA ET SES CRITIQUES.

« Il y a des ouvrages dont on ne peut bien juger quand on les considère isolément. Il faut, pour les apprécier, avoir égard aux circonstances qui les ont fait naître, ne point les séparer des accessoires qui les accompagnent, se rappeler toujours dans quelles vues ils ont été conçus, et même compter pour quelque chose, et faire entrer dans la balance le nom et la destinée de leurs auteurs. Tel est le roman ou le poëme d'Atala. Les longues infortunes de l'écrivain à qui nous le devons, le vaste plan de morale et de philosophie religieuse dont cet ouvrage fait partie, les voyages presque héroïques, les expériences courageuses et les pénibles observations dont il est le fruit, tout, indépendamment du talent d'exécution, lui donne un caractère qui le met à une distance immense des productions qu'on pourroit naturellement lui comparer.

« Quand on ne sauroit pas que l'auteur d'Atala s'occupe d'un ouvrage où il se propose d'exposer les beautés poétiques et morales du christianisme, il seroit facile de s'apercevoir que cet essai n'est que l'ébauche d'une grande idée, ou plutôt d'un grand sentiment, qui demande un cadre plus vaste et des développements plus étendus, plus variés et plus riches. Atala n'est qu'un petit tableau, composé d'après des principes aussi neufs que féconds; c'est une miniature qui laisse entrevoir

la pensée du peintre ; c'est une première expérience d'une théorie dont les éléments seront bientôt mis dans un plus grand jour.

« Depuis que le christianisme a été relégué parmi ces institutions qu'on peut examiner avec tout le sang-froid de la philosophie, l'attention des hommes qui pensent s'est dirigée vers ce nouvel objet d'observations. Les sarcasmes et les plaisanteries, les déclamations et les diatribes, ont fait place à l'esprit de réflexion et de sagesse ; on a cessé d'exagérer le mal; on a voulu se rendre compte du bien; on a pesé avec plus de justice les abus et les avantages, les bons et les mauvais effets; on a écarté les préjugés et les préventions de tout genre ; et ce qui n'avoit été jugé que par la haine ou par l'enthousiasme, a subi l'examen de la raison. Tel est le sort de tous les établissements que les siècles ont consacrés. Pendant qu'ils subsistent, ils sont rarement appréciés par l'impartialité. Ils sont attaqués avec fureur et défendus avec maladresse: mais les passions se taisent sur leurs ruines. Quand ils sont renversés, on contemple leurs vastes débris d'un œil moins prévenu, et la vérité tardive prononce enfin un jugement qui n'excite quelquefois que de vains et stériles regrets. Le moment est venu où, sous la protection d'un gouvernement éclairé, il est permis de se livrer à des spéculations qu'en d'autres temps on eût taxées de fanatisme. Un monument qui a duré près de vingt siècles, une institution qui, pendant un si long espace de temps, temps, a modifié la destinée et la condition de presque tous les peuples du monde, est digne sans doute des méditations des philosophes. Il seroit absurde qu'on ne pût en appeler de la sentence

de ceux qui l'ont enveloppée dans leur vaste plan de bouleversement et de destruction universelle.

« Je ne prétends pas juger d'avance le système de l'auteur du Génie du Christianisme; mais quand on réfléchit aux heureux sujets de toute espèce que cette religion a fournis aux arts de l'imagination, quand on considère les richesses que la peinture, la poésie et l'éloquence ont tirées de cette mine nouvelle, on sent une prévention en faveur de la théorie de M. de Chateaubriand. C'est cette religion qui animoit la voix de ces pères de l'éloquence chrétienne, dont les discours sont placés par les gens de goût à côté de ceux des Cicéron et des Démosthène; c'est elle qui, parmi nous, a élevé si haut les Massillon et les Bossuet; elle dicta le plus beau poĕme des temps modernes ; elle conduisit le pinceau d'un Raphaël, et lui inspira son chef-d'œuvre ; c'est dans les asiles solitaires des anachorètes qu'un Lesueur alla chercher les modèles de ces vertus paisibles et silencieuses qu'il sut exprimer avec un si prodigieux talent. Si le christianisme enflammoit le génie des artistes, il n'étoit point, comme on l'a voulu dire, l'ennemi des arts; l'Europe les lui doit en partie; ils sont nés, ils ont fleuri sous sa protection; et Rome ne s'honore pas moins des monuments dont la religion chrétienne l'a embellie, que des chefs-d'œuvre que l'antiquité lui a légués. La mythologie pouvoit être une source plus féconde de beautés poétiques; mais si le christianisme doit lui céder à cet égard, il lui reste bien encore de quoi se consoler.

« Atala devient une nouvelle preuve de cette vérité qu'on se plaît à contester. Cet ouvrage tire son intérêt, non pas du fond d'une action assez foible, mais des effets

ATALA ET SES CRITIQUES.

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que l'auteur a su produire par l'intervention des idées religieuses. Il s'est proposé, comme il le dit lui-même, de peindre la religion, première législatrice du sauvage; les dangers de l'ignorance et de l'enthousiasme religieux opposés aux lumières, à la tolérance, au véritable esprit de l'Évangile ; les combats des passions et des vertus dans un cœur simple; enfin le triomphe du christianisme sur le sentiment le plus fougueux et la crainte la plus terrible, l'amour et la mort. Quand on voit la plupart des romanciers avoir recours à tous les artifices de l'imagination, accumuler incidents sur incidents, épuiser toutes les ressources de leur art pour produire beaucoup moins d'effet, on est obligé de reconnoitre que les ressorts qu'il fait agir, quoique beaucoup plus simples, sont beaucoup plus puissants, et qu'il a ouvert la mine la plus riche et la plus profonde que le génie puisse exploiter. Il ébranle la sensibilité, il fait couler les larmes, il déchire le cœur sans tourmenter ou révolter l'esprit par la complication des aventures et les surprises du merveilleux. Un prêtre, un sauvage et son amante sont les seuls personnages de ce drame éloquent, où le pathétique est poussé au dernier degré.

<«< Les accessoires, le lieu de la scène, contribuent beaucoup, il est vrai, à l'effet général du tableau; c'est parmi ces grands fleuves de l'Amérique septentrionale, au bord de ces lacs et de ces antiques forêts du Nouveau-Monde, au pied des monts Apalaches qu'il transporte son lecteur. Ce spectacle, d'une nature rude et sauvage, anime et rend plus intéressant celui d'une religion qui vient y répandre ses premiers bienfaits; la magnificence des descriptions ajoute à la force des sentiments, et l'on

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