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comment ces choses-là avoient été maniées en latin.

Cicéron avoit raison de parler ainsi. L'excellence de son génie, et la grande réputation qu'il avoit déja acquise, lui garantissoient le succès de cette nouvelle sorte d'ouvrages qu'il donnoit au public; mais moi, je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J'ai voulu traiter la philosophie d'une manière qui ne fût point philosophique; j'ai tâché de l'amener à un point

ni trop
trop sèche

ni

où elle ne fût,
'du monde, ni trop

pour

les gens

les badine pour savans.

Mais si on me dit à-peu-près comme à Cicéron, qu'un pareil ouvrage n'est propre, ni aux savans qui n'y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répondit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la philosophie convînt à tout le monde, j'en

aie trouvé un où elle ne convienne à pers sonne; les milieux sont trop difficiles à tenir, et je ne crois pas qu'il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.

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Je dois avertir ceux qui liront ce livre et qui ont quelque connoissance de la physique, que je n'ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir, en leur présentant, d'une manière un peu plus agréable et plus égayée, ce qu'ils savent déja plus solidement. J'avertis ceux à qui ces ma tières sont nouvelles, que j'ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité; et les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.

Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi, dans toute la philosophie, la matière la plus capable de piquer la curiosité. Il semble .que rien ne devroit nous intéresser davantage,

e de savoir comment est fait ce

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monde que nous habitons, s'il y a d'autres mondes semblables, et qui soient habités aussi mais après tout, s'inquiète de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre, les peuvent perdre sur ces sortes de sujets; mais tout le monde n'est pas en état 'de faire cette dépense inutile.

J'ai mis, dans ces Entretiens, une femme que l'on instruit, et qui n'a jamais oui parler 'de ces choses-là. J'ai cru que cette fiction me serviroit, et à rendre l'ouvrage plus susceptible d'agrément, et à encourager les Dames par l'exemple d'une femme, qui ne sortant jamais des bornes d'une personne qui n'a nulle teinte des sciences, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit, et de ranger dans sa tête, sans confusion, les tourbillons et les mondes. Pourquoi des femmes céderoient-elles à cette Marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser 'de concevoir ?

A la vérité, elle s'applique un peu; mais

qu'est-ce ici que s'appliquer? Ce n'est pas pénétrer à force de méditation une chose obscure d'elle-même,ou expliquée obscurément; c'est seulement ne point lire, sans se représenter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux Dames, pour tout ce systême de philosophie, que la même application qu'il faut donner à la princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l'intrigue,et en connoître toute la beauté. Il est vrai que les idées de ce livreci sont moins familières à la plupart des femmes, que celles de la princesse de Clèves; mais elles n'en sont pas plus obscures, et je suis sûr qu'à une seconde lecture, tout au plus, il ne leur en sera rien échappé.

Comme je n'ai pas prétendu faire un systême en l'air, et qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnemens de physique, et j'en ai employé autant qu'il a été nécessaire. Mais il se trouve heureusement, dans ce sujet, que les idées de physique y sont riantes d'elles-mêmes,

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et que dans le même temps qu'elles contentent la raison, elles donnent à l'imagination un spectacle qui lui plaît autant que s'il étoit fait exprès pour elle.

Quand j'ai trouvé quelques morceaux qui n'étoient pas tout-à-fait de cette espèce, je leur ai donné des ornemens étrangers. Virgile en a usé ainsi dans ses géorgiques, où il sauve le fond de sa matière, qui est tout-à-fait sèche, par des digressions fréquentes, et souvent fort agréables. Ovide même en a fait autant dans l'art d'aimer, quoique le fond de sa matière fùt infini ment plus agréable que tout ce qu'il y pouvoit mêler. Apparemment il a cru qu'il étoit ennuyeux de parler toujours d'une même chose, fût-ce de préceptes de galanterie. Pour moi, qui avoit plus besoin

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que

lui du secours des digressions, je ne m'en suis pourtant servi qu'avec assez de ménagement. Je les ai autorisées par la liberté naturelle de la conversation; je ne

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