Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VI I.

Dernières causes particulières de la décadence des Oracles.

LA fourberie des oracles étoit trop grossière pour n'être pas enfin découverte par mille différentes

aventures.

que

[ocr errors]

Je conçois qu'on reçut d'abord les oracles avec avidité et avec joie, parce qu'il n'étoit rien plus commode d'avoir des dieux toujours prêts à répondre sur tout ce qui causoit de l'inquiétude ou de la curiosité. Je conçois qu'on ne dut renoncer à cette commodité qu'avec beaucoup de peine, et que les oracles étoient de nature à ne devoir jamais finir dans le paganisme, s'ils n'eussent pas été la plus impertinente chose du monde mais enfin, à force d'expérience, il fallut bien s'en désabuser.

[ocr errors]

Les prêtres y aidèrent beaucoup par l'extrême hardiesse avec laquelle ils abusoient de leur faux ministère. Ils croyoient avoir mis les choses au point de n'avoir besoin d'aucuns ménagemens. 56

Je ne parle point des oracles de plaisanteries qu'ils rendoient quelquefois. Par exemple, à un homme qui venoit demander au dieu ce qu'il de

voit faire devenir riche, ils lui répondoient pour agréablement : «< Qu'il n'avoit qu'à posséder tout

رو

ce qui est entre les villes de Sicione et de Co»rinthe». Aussi badinoit-on quelquefois avec eux. Polémon dormant dans le temple d'Esculape, pour apprendre de lui les moyens de se guérir de la goutte, le dieu lui apparut, et lui dit : « Qu'il » s'abstînt de boire froid ». Polémon lui répondit:

[ocr errors]
[ocr errors]

Que ferois-tu donc, mon bel ami, si tu avois à guérir un bœuf »? Mais ce ne sont-là des que gentillesses de prêtres qui s'égayoient quelquefois, et avec qui on s'égayoit aussi.

100

Ce qui est plus essentiel, c'est que les dieux ne manquoient jamais de devenir amoureux des belles femmes; il falloit qu'on les envoyât passer des nuits dans les temples, parées de la main même de leurs maris, et chargées de présens pour payer le dieu de ses peines. A la vérité, on fermoir bien les temples à la vue de tout le monde; mais on ne garantissoit point aux maris les chemins

souterreins.

Pour moi, fai peine à concevoir que de ран reilles choses aient pu être pratiquées seulement une fois. Cependant Hérodote nous assure qu'au huitième et dernier étage de cette superbe tour du temple de Bélus à Babylone, etoit un lit magni fique, où couchoit toutes les nuits une femme choisie par le dieu. Il s'en faisoit autant à Thèbes

en Egypte. Et quand la prêtresse de l'oracle de Patare en Licie, devoit prophétiser, il falloir auparavant qu'elle couchât seule dans le temple où Apollon venoit l'inspirer.

Tout cela s'étoit pratiqué dans les plus épaisses ténèbres du paganisme, et dans un temps où les cérémonies payennes n'étoient pas sujettes à être contredites mais à la vue des chrétiens, le Saturne d'Alexandrie ne laissoit pas de faire venir les nuits, dans son temple, telle femme qu'il lui plaisoit de nommer par la bouche de Tyrannus son prêtre. Beaucoup de femmes avoient reçu cet honneur avec grand respect; et on ne se plaignoit point de Saturne, quoiqu'il soit le plus âgé et le moins galant des dieux. Il s'en trouva une à la fin, qui, ayant couché dans le temple, fit réflexion qu'il ne s'y étoit rien passé que de fort humain et dont Tyrannus n'eût été assez capable. Elle en avertit son mari, qui fit faire le procès à Tyrannus. Le malheureux avoua tout, et Dieu sait quel scandale dans Alexandrie.

Le crime des prêtres, leur insolence, divers événemens qui avoient fait paroître au jour leurs fourberies, l'obscurité, l'incertitude et la fausseté de leurs réponses, auroient donc enfin décrédité les oracles, et en auroient causé la ruine entière, quand même le paganisme n'auroit. pas dû finir.

[ocr errors]
[graphic]
« PreviousContinue »