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que

répliquai-je, malgré cette économie, il y auroit, à l'égard de notre terre, deux causes de crépuscules, dont l'une, qui est l'air épais du soleil, seroit assez inutile, et ne pourroit être qu'un objet de curiosité pour les habitans de l'observatoire. Mais il faut tout dire il se peut qu'il n'y ait : la terre qui pousse hors de soi des vapeurs et des exhalaisons assez grossières pour produire des crépuscules; et la nature aura eu raison de pourvoir par un moyen général aux besoins de toutes les autres planètes qui seront, pour ainsi dire, plus pures, et dont les évaporations seront plus subtiles. Nous sommes peut-être ceux d'entre tous les habitans des mondes de notre tourbillon, à qui il falloit donner à respirer l'air le plus grossier et le plus épais. Avec quel mépris nous regarderoient les habitans des autres planètes, s'ils savoient cela?

Ils auroient tort, dit la Marquise; on n'est pas à mépriser pour être enveloppé d'un air épais, puisque le soleil lui-même en a un qui l'enveloppe. Dites-moi, je vous prie, cet air n'est-il point produit par de certaines vapeurs que vous m'avez dit autrefois qui sortoient du soleil, et ne sert-il point à rompre la première force des rayons, qui auroit peut-être été excessive? Je conçois que le soleil pourroit être naturellement voilé, pour être plus proportionné à nos usages. Voilà, Madame, répondis-je, un petit commencement de systême que

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vous avez fait assez heureusement. On y pourroit ajouter que ces vapeurs produiroient des espèces de pluies, qui retomberoient dans le soleil pour le rafraîchir, de la même manière que l'on jette quelquefois de l'eau dans une forge dont le feu est trop ardent. Il n'y a rien qu'on ne doive présumer de l'adresse de la nature; mais elle a une autre sorte d'adresse toute particulière pour se dérober à nous, et on ne doit pas s'assurer aisément d'avoir deviné sa manière d'agir, ni ses desseins. En fait de découvertes nouvelles, il ne se faut pas trop presser de raisonner, quoiqu'on en ait toujours assez d'envie; et les vrais philosophes sont comme les éléphans, qui, en marchant, ne posent jamais le second pied à terre que le premier ne soit bien affermi. La comparaison me paroît d'autant plus juste, interrompit-elle, que le mérite de ces deux espèces, éléphans et philosophes, ne consiste nullement dans les agrémens extérieurs. Je consens que nous imitions le jugement des uns et des autres; apprenez-moi encore quelques-unes des dernières découvertes, et je vous promets de ne point faire de systême précipité.

Je viens de vous dire, répondis-je, toutes les nouvelles que je sais du ciel, et je ne crois pas qu'il y en ait de plus fraîches. Je suis bien fâché qu'elles ne soient pas aussi surprenantes et aussi merveilleuses que quelques observations que je

lisois l'autre jour dans un abrégé des annales de la Chine, écrit en latin. On voit des mille étoiles à la fois qui tombent du ciel dans la mer, avec un grand fracas, ou qui se dissolvent et s'en vont en pluie. Cela n'a pas été vu pour une fois à la Chine; j'ai trouvé cette observation en deux temps assez éloignés, sans compter une étoile qui s'en va crever vers l'orient comme une fusée, toujours avec grand bruit. Il est fâcheux que ces spectacles - là soient réservés pour la Chine, et que ces pays -ci n'en aient jamais eu leur part. Il n'y a pas long-temps que tous nos philosophes se croyoient fondés en expérience, pour soutenir que les cieux et tous les corps célestes étoient incorruptibles et incapables de changement; et pendant ce temps - là d'autres hommes à l'autre bout de la terre voyoient des étoiles se dissoudre par milliers: cela est assez différent. Mais, dit-elle, n'ai-je pas toujours oui dire que les Chinois étoient de si grands astronomes? Il est vrai, repris - je; mais les Chinois y ont gagné à être séparés de nous par un long espace de terre, comme les Grecs et les Romains à être séparés par une longue suite de siècles; tout éloignement est en droit de nous en imposer. En vérité, je crois toujours, de plus en plus, qu'il y a un certain génie qui n'a point encore été hors de notre Europe, ou qui du moins ne s'en est pas beaucoup éloigné. Peut-être qu'il ne lui est pas permis

de se répandre dans une grande étendue de terre à la fois, et que quelque fatalité lui prescrit des bornes assez étoites. Jouissons-en tandis que nous le possédons ce qu'il y a de meilleur, c'est qu'il ne se renferme pas dans les sciences et dans les spéculations séches; il s'étend avec autant de succès jusqu'aux choses d'agrément, sur lesquelles je doute qu'aucun peuple nous égale. Ce sont celles - là, Madame, auxquelles il vous appartient de vous occuper, et qui doivent composer toute votre philosophie.

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LETT TRE

Ecrite à l'auteur des Nouvelles de la République des Lettres (octobre 1699, page 386), contenant quelques objections contre les Entretiens sur la Pluralité des Mondes de FONTENELLE, et contre le Systême de COPERNIC, du mouvement

de la terre.

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MONSIEUR,

LA lecture des Entretiens sur la pluralité des Mondes, petit livre très-joli, me fit d'abord naître quelques difficultés, qui se sont depuis renouvellées par une seconde lecture du même livre. Je vous supplie de trouver bon que je vous les communique.

L'auteur, qui est un philosophe du temps, habile et poli, prend un tour ingénieux et riant; et il traite son sujet d'une manière si intelligible, qu'encore que je ne sois point mathématicien, je le compris dès la première fois, avec presqu'autant de facilité que la spirituelle marquise, qu'il y instruit de ses opinions sur le systême de Copernic.

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