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au premier coup d'oeil un aspect très-dissemblable; mais qu'on fasse un soigneux examen de ces deux mémorables époques; qu'on écarte successivement les détails propres à chaque temps, à chaque contrée, qui constituent la physionomie spéciale de ces révolutions, et l'on arrive à un certain nombre de faits essentiels, dominants, qui ont une singulière conformité; l'expulsion d'une dynastie, la mort violente d'un roi, le triomphe de certaines théories absolues, la lutte de partis extrêmes, la domination d'une assemblée (XIV), l'avénement d'un règne oppressif et glorieux, après l'anarchie, etc., non qu'il y ait dans notre pensée des inductions à tirer de ce rapprochement, si frappant qu'il puisse être. Un fait isolé, ou rapproché d'un seul autre fait, ne saurait jamais avoir une grande valeur; c'est de la comparaison de faits nombreux que peut seulement sortir, comme on l'a vu, le principe, la loi à déduire. Des révolutions étudiées à ce point de vue découleraient, on n'en saurait douter, de telles lois, de tels principes. Mais il ne faudrait pas que l'esprit de système présidat à l'examen, comme dans l'Essai sur les révolutions, de Chateaubriand, travail dû à une inspiration heureuse, mais dont l'exécution est tout à fait manquée; car dès lors on n'obtient que des résultats qui n'ont rien de scientifique.

Il s'en faut, au reste, qu'on apporte en général une réserve désirable dans l'appréciation de ces grandes crises des nations. Nous voyons chaque jour faire à cet égard un usage irréfléchi de l'histoire. L'esprit humain est au fond tellement pénétré de cette croyance, que le passé est la leçon de l'avenir, et qu'en réalité la sagesse humaine, dans les grandes choses, est toute faite d'expérience, qu'il n'est guère de discussion politique où n'intervienne, à l'appui d'une opinion, la citation de quelque fait important; mais ces citations n'ont que peu de poids, attendu qu'à l'autorité invoquée, on peut d'ordinaire en opposer une toute semblable. C'est un commencement d'application de notre méthode, mais ce n'en est pas l'application réelle. Ajoutons qu'on peut s'égarer gravement en s'attachant ainsi à un fait partiel, dont on s'exagère l'importance et qu'on prend pour règle de conduite. Louis XVI avait, dit-on, toujours sous les yeux, dans la crise terrible où il se trouvait placé, l'histoire de Charles I, et pour éviter le sort de ce prince, il crut devoir prendre une direction contraire à celle qui l'avait mené à l'échafaud. Peut-être y eût-il échappé lui-même s'il eût adopté le système d'énergique défense qui perdit son malheureux émule. Jacques II, nous dit M. Macaulay dans sa belle histoire de ce règne, avait aussi sans cesse en vue la conduite de son

père, et se référant surtout à l'attitude prise dans l'origine par ce monarque à l'égard du parlement, il répétait souvent: Je ne ferai pas de concessions, mon père fit des concessions et fut décapité. Ce fut ainsi qu'il perdit sa couronne. «Quand bien même, ajoute judicieusement l'historien, il eût été vrai que ses concessions avaient été fatales à Charles Ier, un homme de bon sens aurait dû savoir qu'un seul fait ne suffit pas pour établir une règle générale dans des sciences même beaucoup moins compliquées que celle du gouvernement; que depuis le commencement du monde, il n'y a pas deux faits politiques qui se soient présentés dans des conditions identiquement semblables, et que la seule manière de retirer de l'histoire quelque expérience politique est d'examiner et de comparer un nombre infini de faits'. »

On ne saurait trop insister sur l'inconvénient de ces rapprochements hasardés, et qui servent de base à des jugements qui ne le sont pas moins aussi, par conséquent. De combien d'erreurs flagrantes, de ridicules bévues ont été, par exemple, la source dans nos temps modernes, ces retours incessants et légers à l'antiquité dont l'étude nourrit notre enfance! A la fin du dernier siècle, c'étaient les Grecs qu'on mêlait sans cesse à nos débats. Aujourd'hui on aime particulière

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ment à faire allusion à la Rome des Césars, à cette époque où tombèrent presque sans combat toutes les vieilles libertés italiques. Notre temps peut-il être en effet avec vraisemblance assimilé à cette triste période, ou bien n'est-ce là qu'un de ces points de vue ingénieux, qu'une de ces déclamations piquantes, au fond sans réalité? C'est ceci qui semble probable sans doute. Toutefois, des recherches approfondies n'ont pas été faites; il faut suspendre son jugement jusqu'à ce que l'analyse et la comparaison des faits distincts des deux époques nous mettent à même de nous prononcer formellement sur la question.

Nous disons donc que les faits complexes ramenés à leurs éléments indécomposables peuvent être rapprochés, et que de leur rapprochement doivent naître à la longue des principes fixes, des règles invariables. On voit poindre ceci à quelques égards. C'est ainsi que semble maintenant s'accréditer parmi les peuples cette notion politique, que dans le cours des révolutions une domination absolue succède infailliblement à l'anarchie (XV). On en voit la raison dans la nécessité où est le corps social de retrouver, coûte que coûte, l'ordre matériel, loi première de son existence; mais nous préférons déduire cette thèse de la comparaison même des révolutions diverses qui l'établit d'une manière évidente.

Sans doute, tout n'est pas fini, parce que quelquesuns ont pu par l'étude des faits arriver à la vérité sur ce point. Quand les nations s'agitent, c'est la logique, non l'expérience qui les mène d'ordinaire. Le peuple est souverain; le gouvernement vient de lui; il est fondé sur son adhésion, et cette adhésion se subordonne à la manière dont le pouvoir est exercé. S'il l'est mal, on la lui refuse, on le combat, on le renverse, au nom de la liberté ! Tout ceci s'enchaîne et est irrésistible, d'après le raisonnement; longtemps les masses s'y laisseront entraîner, bien que les sages sachent parfaitement quelles sont, surtout en ce qui concerne la liberté, les conséquences de ces renversements passionnés. Mais qui oserait prétendre qu'une expérience sans cesse répétée restera toujours inefficace; qu'il ne viendra pas un temps où les esprits généralement imbus de cette succession nécessaire et fatale du despotisme aux troubles anarchiques, s'arrêteront sur une pente dangereuse et résisteront à ces trompeuses argumentations du droit politique, que savent si bien faire valoir ceux qui ont intérêt à voir l'État livré à de fatales perturbations? il est trop vrai, en effet, que si elles amènent d'incalculables ruines particulières, quelques-uns y trouvent l'occasion de faire fortune, d'arriver au pouvoir, aux honneurs! Même une expérience journalière fait voir que c'est là souvent le plus

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