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porteur du procès de Louis XVI, établit une fois en bonne forme que les hommes n'ont pas le droit d'établir la royauté. Il n'y a point de limites à l'absurdité dans cette voie. Ces opinions, qui nous semblent aujourd'hui si ridicules (XLIX), ont au reste leur côté argumentatif, pour ainsi parler, et voilà pourquoi elles ont été soutenues par des hommes dont l'esprit était cultivé, parfois même par d'illustres savants tels que celui que nous venons de nommer. Leur erreur provenait moins d'eux-mêmes que du cadre où leur intelligence était comme emprisonnée.

IV. De nos jours, plusieurs écrivains sur le terrain de la liberté absolue, considérée comme principe fondamental et règle unique de l'organisation politique et sociale, sont arrivés aux conclusions les plus étranges. Le sophiste a pu dire même : Plus de gouvernement! Dans le fait, si tout gît ici-bas dans la liberté, à quoi bon le gouvernement qui est toujours en quelques points, quoi qu'on fasse, restrictif de la liberté? Il est impossible, dit Bentham ', de créer des droits, d'imposer des obligations, de protéger la personne, la vie, la réputation, la propriété, la subsistance, la liberté même, si ce n'est aux dépens de la liberté. »

1. Traité de Législation, t. II.

Telle est donc la thèse de l'idéalisme libéral de l'époque; mais la société qui sait à quelle impérieuse nécessité est soumise son existence et son maintien, s'inquiète peu de ces conceptions extravagantes, et s'attache, en consultant l'expérience, à concilier, grande et difficile tâche, les deux principes. Là est tout le secret dans l'art de gouverner.

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V.

fait

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- Poursuivons ce curieux examen qui nous passer d'abstraction en abstraction. Nous avons montré comment, d'après l'observation, l'autorité découle directement de la société, mais une telle origine est trop simple; il lui en a fallu une plus mystérieuse et plus profonde. Il y a, nous a-t-on dit, une souveraineté de droit divin; de laquelle émanent les pouvoirs qui régissent la société (L); à cette souveraineté on en a opposé bien vite une autre, la soureraineté du peuple. Après la souveraineté d'en haut est venue la souveraineté d'en bas. Cela devait être ainsi; à une entité une contre-entité. Car comment entendre autrement cette dernière formule? Quel

ques-uns disent parfois à la vérité la souveraineté nationale; mais qu'importe? La souveraineté suppose des individus soumis, car autrement de qui celui ou ceux qui en sont investis seraient-ils souverains? On n'entend pas apparemment que tous sont souverains de tous. Aussi est-il bien évident que pour ceux qui emploient ce terme : le peuple souverain, pour ceux du moins qui ne reculent pas devant les conséquences extrêmes d'une théorie, il signifie en réalité que c'est le tour pour les classes populaires de soumettre au lieu d'être soumises.

Un écrivain distingué, M. de Barante', nous dit : «La souveraineté du peuple, est un principe incontestable, mais un principe abstrait qui n'a pas plus d'existence réelle, que le contrat social. » Mais dirons-nous, qu'est-ce donc qu'un principe qui n'a pas d'existence réelle? La vérité est que ce n'est pas un principe, mais bien une de ces vues métaphysiques admises en dehors des faits existants et auxquelles il ne faut plus donner le nom de principes. Les apologistes ne s'aperçoivent pas qu'au fond il y a là simplement protestation d'une doctrine contre une autre; quand le prétendu principe de la souveraineté du pouvoir qu'on fait venir du ciel sera tombé dans l'oubli, et il est assurément sur la route, l'autre le suivra

1. Études historiques et biographiques, 2 vol. in-8°.

de près et cessera d'être mis en avant. Tout cet étalage d'abstractions politiques sera remplacé par la nature des choses qui veut que le pouvoir qui régit la société en découle, qu'il soit formé dans son sein et avoué par elle. La souveraineté ainsi entendue n'a rien d'absolu. Elle n'est plus cette souveraineté du nombre si absurdement nommée souveraineté du peuple, dit M. Guizot', elle devient temporaire; elle se déplace et se localise. Elle est tour à tour dans une assemblée constituante vis-à-vis de la nation, et dans le prince vis-à-vis de l'étranger. Un débat qui semblait ne pouvoir prendre fin sur le terrain où l'on s'était placé aura un terme.

VI. - Mais nous n'en sommes pas là, tant s'en faut, et l'on voit en quelle interminable lutte nous entrons ici. Dans sa rigueur, la théorie du droit divin ne saurait comporter aucune atteinte violente à l'égard des pouvoir existants, puisqu'ils viennent de Dieu; mais à l'aide de distinctions habiles, l'école théologique est arrivée à la justification des actes les plus contraires à son principe, car c'est elle qui au moyen âge a renouvelé cette doctrine de l'antiquité qu'il est permis de tuer les tyrans, doctrine précieusement

1. Mémoires, t. I.

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