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essayé d'ériger en science la morale; mais faire pour

cette science, ils s'y sont pris comme toujours; au lieu d'observer, ils ont adopté pour fondement des idées préconçues, et ils n'ont réussi qu'à créer des théories conjecturales sur lesquelles on dispute encore. A chaque système philosophique s'est annexé un système de morale. « N'y a-t-il pas, dit Damiron', les moralistes de la sensation et du sentiment? Ceux du rationalisme et ceux du mysticisme? Ceux du panthéisme et du déisme? N'y en a-t-il pas autant que d'écoles et de sectes philosophiques! >>

1. Cours de Philosophie, t. II.

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Telle a été en effet la prétention, assez peu justifiée de tous les systèmes. Écoutez Gassendi, l'habile adversaire de Descartes, l'apologiste ingénieux de l'épicuréisme De cette philosophie essentiellement corruptrice au fond découlera pour lui la plus belle morale; il n'est pas jusqu'à Spinosa, le profond dialecticien, qui n'ait fait un véritable tour de force en déduisant des principes moraux de sa doctrine si manifestement incompatible avec le libre arbitre et dont la conclusion est qu'il n'y a réellement ni bien ni mal, tout au moins qu'on n'arrive ici qu'à une notion confuse où l'on chercherait vainement la règle précise du devoir. Jouffroy a consacré tout un livre qu'il intitule bizarrement: Cours de droit naturel, à la morale ainsi considérée, selon les divers systèmes philosophiques. Que d'étranges conceptions s'entre-choquent dans cet exposé, et heureuse l'humanité que la morale ait des bases plus solides, que les règles qui président à la conduite naissent d'une sage expérience qui se rit de la vanité des systèmes, et les ignore même la plupart du temps!

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Quoi qu'il en soit, il est résulté de ceci un dissentiment complet sur les principes. A peine, en effet, est-il une seule maxime morale qui ne soit admise par les uns et repoussée par les autres. Ainsi ceux qui

1. 2 vol. in-8°, 1834.

entendent nous diriger dans la pratique de la vie, ne sont pas d'accord sur les règles qu'ils prétendent nous imposer. Ils varient sans cesse sur les fondements même de la science qu'ils se sont donné la mission d'enseigner, de telle sorte que nous nous trouvons ainsi placés dans la situation de ce voyageur, à qui l'on montrerait plusieurs routes divergentes pour parvenir vers un point déterminé. Procédons d'autre façon.

Quelque part qu'on observe l'homme, on le retrouve à l'état de société. Cet état de société a des degrés divers et présente des conditions variées à l'infini; mais il existe. Ceei est un fait constant, et qui ne souffre point d'exception. La condition normale et nécessaire de l'homme, c'est l'état social. Le plus simple examen montre qu'il ne lui est donné d'arriver au complet développement de ses instincts, de ses aptitudes, de ses facultés, que par la société; donc la société est conforme à la loi de son existence; donc dire que l'homme est, c'est dire que la société est aussi; un fait est la conséquence rigoureuse de l'autre. Telle est l'induction importante à laquelle on est amené ici par l'observation.

II. Il n'y a donc point à discuter ces questions tant débattues que l'homme pouvait former ou ne point former la société, qu'il l'a créée de propos déli

béré après en avoir posé les avantages, réglé les conditions, vaines conceptions où s'est égarée la raison à la suite de Hobbes, de Locke et de Rousseau (XXXIV)! Le Contrat social de ces philosophes est imaginaire. L'être humain en formant la société obéit à sa nature, et ne saurait faire autrement. On voit ainsi encore le peu de fondement de cette donnée admise par un si grand nombre d'écrivains d'un état antérieur à la condition sociale. Sans doute, l'homme comme simple être organisé et dépourvu d'intelligence, formerait encore la société, de même que plusieurs autres espèces vivantes; mais cette société n'a que faire ici; c'est au zoologiste, non au moraliste à l'étudier, à fixer les limites jusqu'où l'étend l'instinct primitif de la créature. Mais la supposition d'une situation intermédiaire entre la société naturelle et la société intelligente, est purement gratuite. La thèse est du reste abandonnée, et il a fallu tout le talent de Jean-Jacques Rousseau pour lui rendre quelque vie dans l'autre siècle. Le principe est désormais acquis à la science, et il serait aujourd'hui aussi ridicule de nier la société que de nier la circulation du sang ou le mouvement de la terre sur le plan de l'écliptique. Toutefois, comme on verra plus loin, si la thèse est elle-même abandonnée, on dispute encore sur quelques-unes de ses conséquences implicites.

L'observation montre donc que la société se forme partout, et aussi qu'elle se forme d'après une certaine règle, qui a en tout temps et en tout pays une grande conformité. Voyez si la famille, son premier élément, ne présente pas constamment une constitution à quelques égards identique! Que la société naturelle existât seule, par exemple, les relations sexuelles s'établiraient, cela est évident, comme chez les animaux, qui ne rencontrent aucune entrave à la satisfaction de l'instinct de propagation. Au contraire, le principe induit des faits, c'est que ces relations n'ont pas lieu entre les enfants et leurs auteurs sans une dérogation, nous ne disons pas aux lois de la nature, puisque la nature brute et inintelligente les admettrait, mais aux prescriptions de cette loi primitive et fondamentale, sur laquelle reposent la famille et la société, et dont les principes ressortent successivement de l'observation. Cette loi fondamentale et primitive prend le nom de morale.

III. La société existe nécessairement, mais elle n'existe pas nécessairement d'une manière uniforme. Une foule de circonstances font varier ses conditions d'existence. La société qui se forme sur les monts diffère de celle qui s'organise dans les plaines, au sein des forêts ou sur les rivages de la mer. Des distinctions

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