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ce qui manque à leur développement est difficile à fuppléer.

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La Frenaye, imitateur d'Horace, joint aux préceptes du Poëte Latin quelques regles particulieres à la Poëfie françoise; & fon vieux style, dans fa naïveté, n'eft pas dénué d'agrément. Mais le colaris, l'harmonie, l'élégance des vers de Defpréaux l'ont effacé. A peine lui refte-il la gloire d'avoir enrichi de fa dépouille le Poëme qui a fait oublier le fien.

Ce Poëme excellent & vraiment claffique, fait tout ce qu'on peut attendre d'un Poëme: il donne une idée précise & lumineufe de tous les genres, mais il n'en approfondit aucun.

Quelques Modernes, comme Gravina chez les Italiens, & Lamothe parmi nous, zont voulu remonter à l'effence des chofes & puifer l'art dans la Nature même; mais le principe de Gravina eft fi vague, qu'il eft impoffible d'en tirer une regle précise & jutte.

« L'imitation poëtique eft, dit-il, le

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> transport de la vérité dans la fiction. » Comme la Nature eft la mere de la vérité, la mere de la fiction eft l'idée » que l'efprit humain tire de la Nature » (c'est le modele intellectuel d'Ariftote, que Caftelvetro n'a jamais bien compris.) «La Poëfie, ajoute Gravina, doit écarter » de fa compofition les images qui démen» tent ce qu'elle veut perfuader. Moins la » fiction laiffe de place aux idées qui la >> contredifent, plus aifément on oublie » la vérité pour se livrer à l'illufion ». fe Voilà en fubftance l'idée de la Poëfie telle que Gravina l'a conçue: regle excellente pour attacher le génie des Poëtes à l'étude de la Nature & à la vérité de l'imitation; mais qui n'éclaire ni fur le choix des objets, ni fur l'art de les affortir & de les placer avec avantage : regle enfin d'après laquelle ce critique a dû voir que le Paftor-fido & l'Aminthe n'ont point la naïveté pastorale; mais qui ne l'a pas empêché de croire que le Rolland de l'Arioste étoit un Poëme épique régulier,

la Jérufalem du Taffe un ouvrage médiocre ; & en revanche, de regarder Sannazard comme l'héritier de la flute de Virgile, & les Poëtes Latins que l'Italie moderne a produits, comme les vives images des Catules, des Tibules, des Properces, des Ovides, &c. d'adopter dans les Poëtes Italiens le mélange du merveilleux de la Religion & de la Fable, & de confondre le Poëme épique avec les Romans pro

vençaux.

La Mothe analyse avec plus de foin l'idée effentielle des divers genres; mais comme il ne donne fa théorie qu'à l'appui de fa pratique, il semble moins occupé du foin de trouver des regles que des excufes. Ainfi tout ce qu'il a écrit fur le Poëme épique eft plein des mêmes préjugés qui lui ont fait fi mal traduire & abréger l'Iliade: ainfi, au-lieu d'étudier le méchanisme de nos vers, il ne ceffe de rimer & de déclamer contre la rime: ainfi fes difcours fur l'Ode & fur la Paftorale ne font que l'apologie déguisée de ses Pastorales & de

fes Odes, artifice ingénieux qui n'en a impofé qu'un moment.

J'en reviens aux maîtres de l'Art, Ariftote, Horace, Defpréaux: Ariftote, le génie le plus profond, le plus lumineux, le plus vafte qui jamais ait ofé parcourir la sphere des connoiffances humaines; Horace à la fois Poëte, Philofophe & Critique excellent; Defpréaux, l'homme de fon fiecle qui a le plus fait valoir la portion de talens qu'il avoit reçue de la Nature, & la portion de lumiere & de goût qu'il avoit acquife par le travail.

Quoiqu'Ariftote, dans fa Poëtique, ait donné quelques définitions, quelques divifions élémentaires, & communes à la Poë-. fie en général, ce n'est que relativement à la Tragédie & à l'Epopée, dont il a fait son objet unique.

Il remonte à l'origine de la Tragédie, & il la fuit dans fes progrès. Il y diftingue la Fable, les mœurs, les penfées & la diction. Il veut que le Fable ait une juste étendue, c'est-à-dire, telle que la mémoire

l'embraffe & la retienne facilement: Juf ques-là, dit-il, plus l'action eft étendue plus elle est belle, pourvû qu'elle faffse un tout ensemble où la vûe ne s'égare point. Il exige que l'action foit une & entiere, qu'elle fe paffe dans une révolution du foleil, qu'elle foit vraisemblable, terrible & touchante; mais il femble en rejetter tout le pathétique fur le dénouement, & ne s'occuper que de l'impreffion qu'il doit laiffer dans les ames. Il veut donc que le dénouement foit funefte, non pas aux méchans, non pas aux gens de bien, mais à un personnage mêlé de vices & de vertus, & malheureux par une faute involontaire ce qui ne s'accorde : pas bien avec les exemples qu'il a cités. Ainfi le feul genre de Tragédie qu'approuvoient Socrate & Platon, celle qui fe propose la même fin que la loi ( ut bono, bene; malo, male fut) n'a que le second rang dans l'opinion d'Ariftote.

A fon gré, ce qui fe paffe entre ennemis ou indifférens n'est pas digne de la

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