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joie de les appercevoir, qu'au plaifir malin de faifir & d'exagérer des défauts, souvent légers ou inévitables. Quant au plan que je vais fuivre, il eft tel qu'il fe préfente naturellement à l'efprit.

Je divife ma Poëtique en deux parties: L'une contient les idées élémentaires & les principes généraux; L'autre en fait l'application aux divers genres de Poëfie.

Il y a dans les Arts productifs quatre objets à confidérer: l'Artifte, l'inftrument, les matériaux & l'ouvrage. Trois font les moyens de l'Art; le quatrieme en est la fin; & le meilleur usage poffible des uns rela¬ tivement à l'autre, eft le résultat de toutes les regles.

Tel eft le plan fur lequel j'ai dirigé ma méthode. Commençons par nous former une jufte idée de l'Art que nous allons étudier.

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POËTIQUE

FRANÇOISE.

CHAPITRE

PREMIER.

De la Poëfie en général.

I je dis, comme Simonide, que la SPeinture eft une Poefie muette, je

crois la definir complettement; fi je dis que la Poëfie eft une peinture animée & parlante, aurium pictura, je suis encore bien au-deffous de l'idée qu'on en doit avoir.

Ceft peu de rappeller fon objet à l'efprit, comme l'éloquence & l'histoire, elle le préfente à l'imagination avec fe traits & fes couleurs, comme feroit un excellent

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tableau, & cela feul l'égale à la Peinture

..... Furor impius intùs,

Sæva fedens fuper arma, & centum vinātus ahænis Virgile. Poft tergum nodis, fremét horridus ore cruento. Rubens lui-même auroit-il mieux peint la Discorde enchaînée dans le temple de Janus?

La Peinture faifit fon objet en action, mais ne le préfente jamais qu'en repos. En exprimant ces vers de Virgile :

Illa vel intacta fegetis per fumma volaret
Gramina, nec teneras curfu læfiffet ariftas (a).
le Peintre représentera Camille élancée
fur la pointe des épis, mais immobile dans
cette attitude; au lieu qu'en Poëfie l'imita-
tion eft progreffive & auffi rapide que
l'action même. La Poëfie n'eft donc plus le
tableau, mais le miroir de la Nature.

Dans un miroir les objets fe fuccedent & s'effacent l'un l'autre ; la Poëfie eft comme un fleuve qui ferpente dans les campagnes, & qui dans fon cours répéte à la fois tous (a) De la moiffon Camille effleuroit la furface, Sans que le foible épi s'inclinât fous fes pas,

les objets répandus fur fes bords. Il y a plus cet efpace que parcourt la Poëfie eft dans l'étendue fucceffive comme dans l'étendue permanente: ainfi le même vers présente à l'efprit deux images incompatibles, les étoiles & l'aurore, le préfent & le paffé.

Jamque rubefcebat ftellis aurora fugatis (a),

Dans les exemples du tableau du miroir & du fleuve, on ne voit qu'une furface; la Poëfie tourne autour de fon objet comme la Sculpture, & le présente dans tous les fens.

Elle fait plus que répéter l'image & l'action des objets; cette imitation fidele & fervile, quelque talent, quelque foin qu'elle exige, eft fa partie la moins eftimable. La Poëfie invente & compose; elle choifit & place fes modeles, arrange & combine elle-même tous les traits dont elle a fait choix, ofe corriger la Nature dans les détails & dans l'enfemble, donne de la vie & de l'ame aux corps, une forme (a) La pourpre de l'Aurore effaçoit les étoiles,

Jul. Scal.

& des couleurs aux penfées, étend les limites des chofes & fe fait un nouvel uni

vers.

Dans cette maniere de feindre & de

la fuivre pu

que

de loin,

composer, la Peinture a effayé de la fui-
vre, mais elle n'a
& dans ce qu'elle a de plus facile: car ce
n'eft point dans le phyfique, mais dans le
moral, qu'il eft mal-aifé de réalifer les
poffibles, & d'imiter par la fiction ce qui
n'eft pas, comme s'il étoit: Non folum
quæ effent, verumtamen que non effent,
quafi effent.

L'objet des Arts eft infini en lui-même : it n'eft borné que par leurs moyens. Le modele univerfel, la Nature, eft présent à tous les Artiftes; mais le Peintre qui n'a que des couleurs ne peut en imiter que ce qui tombe fous le fens de la vûe; le pinceau de Vernet ne rendra jamais dans une tempête, Clamorque virum ftridorque. rudentum (a).

Boucher peindra Venus fe dérobant aux

(4) Le cri des matelots & le bruit des cordages

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