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On voit par-là que la précision, lọin

d'être ennemie de la facilité, en eft la com

pagne fidelle. Un vers où tous les mots

font appellés par la pensée & placés naturellement, semble être né au bout de la plume; un vers où des incidens inutiles viennent de force remplir la mesure, annonce la gêne & le besoin.

Je fais que rien n'eft moins facile que de concilier ainfi la précision & la facilité; mais l'Art fe cache, comme le ver-àfoie, fous le tiffu qu'il a formé.

La précifion, comme on doit l'entendre, n'exclut ni la richeffe, ni l'élegance du style. Voyez dans un deffein de Bouchardon ce trait qui décrit la figure d'une belle femme; il eft auffi moëlleux qu'il est pur: il fuit dans fes douces inflexions tous les contours de la Nature, & l'oeil y trouve réunies l'exactitude & la liberté, la correction, la force & la grace. Telle est encore la précision. Elle exclut des beau tés fans doute, mais des beautés étrangeres, ou nuifibles à l'effet que l'on fe propo

fe. La précifion du ftyle du Poëte n'eft pas la précision du style du Philofophe ou de l'Hiftorien le principe en eft le mêt me, favoir de tendre à son but par la voie la plus directe; mais le ftyle philofophique a pour but d'enseigner la vérité, l'hif torique, de la tranfmettre; le poëtique, de l'embellir. Tout ce qui rend l'idée plus lumineuse, l'image plus vive ou plus touchante, le sentiment plus naïf, la paffion plus énergique; tout ce qui ajoute à la perfuafion, à l'illufion, aux moyens de féduire, & au plaifir d'être féduit, n'eft donc pas moins effentiel au style du Poëte, que l'eft au ftyle du Philofophe ou de Hiftorien, ce qui nous éclaire fur la nature des chofes ou fur la vérité des faits. Mais comment accorder la précifion avec l'hyperbole fi familiere en Poefie? La Fontaine va nous l'apprendre. S'il peint la guerre des vautours,

Il plut du fang (dit - il) je n'exagere point. Et en effet il femble ne pas croire exagé rer, quoiqu'il ajoute :

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Et fur fon roc Promethée espéra De voir bientôt une fin à fa peine. L'hyperbole ne doit être fenfible que pour celui qui écoute, & jamais pour celui qui parle : voilà fa régle. Toutes les fois que l'expreffion dit plus que l'on ne doit penfer naturellement, elle eft fauffe; elle est juste toutes les fois qu'elle n'excéde pas l'idée qu'on a, ou qu'on peut avoir. C'est dans cette vérité relative què confifte la précision de l'hyperbole même. Ce qu'on a répété cent fois, qu'elle dit plus pour ne pas dire moins (a), qu'elle vife plus haut que le but pour y pour y atteindre; tout cela, dis-je, fe réduit à ce principe invariable, Que chacun doit parler d'après fa penfée, & peindre les chofes comme il les voit. Celui qui foupiroit de voir Louis XIV. trop à l'étroit dans le Louvre, & qui difoft fa raifon ook shior

pour

:

Une si grande Majefté

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A trop peu de toute la terre ;

Ling cair s

(a) Extrà fidem non extra modùm, Quintil.

Le penfoit-il? Pouvoit-il le penfer? C'eft la pierre de touche de l'hyperbole.

à

Le Poëte qui fait gloire de préférer une expreffion laconique, mais froide & feche & fans couleur, à une expreffion moins ferrée, mais revêtue d'éclat & de grace, tombe dans l'excès oppofé & manque la fois de goût & de fens. N'est-ce que pour parler à l'efprit qu'il eft Poëte ? la richeffe, le coloris, l'élégance du style poëtique en font la parure,

Il n'y a que les chofes dont la fimplicité fait le charme, ou dont la beauté naturelle eft au-deffus des ornemens, qui gagnent, fi je l'ofe dire, à fe laiffer voir toutes nues; & c'eft la réponse à la critique qu'on a faite du ftyle enchanteur de Quinaut, <>

« On reproche à Quinaut la foibleffe de fes vers (dit M. Racine le fils), parce qu'en effet, quoique fécond en fentiment ❤ & fouvent heureux en pensées, il ne » s'éleve prefque jamais par l'expreffion, Je n'examine point s'il auroit dû s'élever » davantage (pourfuit M. Racine) & fi les

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vers faits pour être mis en chant doivent » avoir une certaine molleffe. Je me con» tente d'obferver que la verfification de >> Quinaut, pleine de fentimens, eft prefque » toujours dépouillée d'images. Il fait dire au vieux Égée qui fe flatte que fes victoires doivent cacher fa vieilleffe aux » yeux de ce qu'il aime,

Je ne fuis plus au tems d'une aimable jeuneffe, Mais je fuis Roi, belle Princeffe,

» Et Roi victorieux»,

« Mithridate plein de cette même idée » la rend par ces images ››.

Jufqu'ici la fortune & la victoire même » Cachoient mes cheveux blancs fous trente » diadêmes».

Le critique auroit pu fe fouvenir que cette même idée eft rendue auffi dans Quinaut par une image affez belle.

Faites grâce à mon âge en faveur de ma gloire : La vieilleffe fied bien für un front couronné, Lorfqu'on y voit briller l'éclat de la victoire. Il auroit pu fe rappeller auffi que dans les

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