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les enfers, et ce qui lui eft pronostiqué au temple du Deflin, vaut feule toute l'Iliade; car le rêve de HENRI IV ramène tout ce qui lui arrive aux règles de la vraisemblance, au lieu que le voyage d'Ulyffe aux enfers eft dépourvu de tous les agrémens qui auraient pu donner l'air de vérité à l'ingénieufe fiction d'Homère.

De plus, tous les épisodes de la Henriade font placés dans leur lieu; l'art eft fi bien caché par l'auteur, qu'il eft difficile de l'apercevoir; tout y paraît naturel, et l'on dirait que ces fruits qu'a produits la fécondité de fon imagination, et qui embelliffent tous les endroits de ce poëme, n'y font que par néceffité. Vous n'y trouvez point de ces petits détails où fe noient tant d'auteurs, à qui la féchereffe et l'enflure tiennent lieu de génie. M. de Voltaire s'applique à décrire d'une manière touchante les fujets pathétiques; il fait le grand art de toucher le cœur: tels font ces endroits touchans, comme la mort de Coligni, l'affaffinat de Valois, le combat du jeune d'Ailli, le congé de HENRI IV de la belle Gabrielle d' Eflrées, et la mort du brave d'Aumale; on fe fent ému à chaque fois qu'on en fait la lecture: en un mot, l'auteur ne s'arrête qu'aux endroits intéreffans, et il paffe légèrement fur ceux

qui ne feraient que groffir fon poëme : il n'y anidu trop ni du trop peu dans la Henriade.

Le merveilleux que l'auteur a employé ne peut choquer aucun lecteur fenfé; tout y eft ramené au vraisemblable par le système de la religion; tant la poëfie et l'éloquence favent l'art de rendre refpectables des objets qui ne le font guère par eux-mêmes, et de fournir des preuves de crédibilité capables de féduire.

Toutes les allégories qu'on trouve dans ce poëme font nouvelles; il y a la Politique qui habite au Vatican, le temple de l'Amour, la vraie Religion, les Vertus, la Difcorde, les Vices, tout eft animé par le pinceau de M. de Voltaire; ce font autant de tableaux qui furpaffent, au jugement des connaiffeurs, tout ce qu'a produit le crayon habile du Carache et du Pouffin.

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Il me refte à présent à parler de la poëfie du ftyle, de cette partie qui caractérise proprement le poëte. Jamais la langue française n'eut autant de force que dans la Henriade on y trouve par-tout de la nobleffe; l'auteur s'élève avec un feu infini jufqu'au fublime, et il ne s'abaiffe qu'avec grâce et dignité. Quelle vivacité dans les peintures, quelle force dans les caractères et dans les descriptions, et quelle noblesse

dans les détails! Le combat du jeune Turenne doit faire en tout temps l'admiration des lecteurs; c'eft dans cette peinture de coups portés, parés, reçus et rendus, que M. de Voltaire a trouvé principalement des obftacles dans le génie de fa langue; il s'en eft cependant tiré avec toute la gloire poffible. Il transporte le lecteur fur le champ de bataille, et il vous semble plutôt voir un combat qu'en lire la defcription en vers.

Quant à la faine morale, quant à la beauté des fentimens, on trouve dans ce poëme tout ce qu'on peut défirer. La valeur prudente de HENRI IV, jointe à fa générofité et à fon humanité, devraient fervir d'exemple à tous les rois et à tous les héros, qui fe piquent quelquefois mal à propos de dureté et de brutalité envers ceux que le deftin des Etats ou le fort de la guerre a foumis à leur puiffance. Qu'il leur foit dit en paffant que ce n'eft point dans l'inflexibilité ni dans la tyrannie que confifte la vraie grandeur, mais bien dans ces fentimens que l'auteur exprime avec tant de pobleffe.

Amitié, don du ciel, plaifir des grandes ames,
Amitié que les rois, ces illuftres ingrats,
Sont affez malheureux pour ne connaître pas.

Le caractère de Philippe de Mornai peut auffi être compté parmi les chefs-d'œuvres de la Henriade; ce caractère eft tout nouveau. Un philofophe guerrier, un foldat humain, un courtisan vrai et fans flatterie; un affemblage de vertus auffi rare doit mériter nos fuffrages; auffi l'auteur y a-t-il puifé comme dans une riche fource de fentimens. Que j'aime à voir Philippe de Mornai, ce fidele et ftoïque ami, à côté de fon jeune et vaillant maître, repouffer par-tout la mort, et ne la donner jamais ! Cette fageffe philofophique eft bien éloignée des mœurs de notre fiècle; et il eft à déplorer, pour le bien de l'humanité, qu'un caractère auffi beau que celui de ce fage, ne foit qu'un être de raifon.

D'ailleurs la Henriade ne refpire que l'humanité cette vertu fi néceffaire aux princes, ou plutôt leur unique vertu, eft relevée par M. de Voltaire; il montre un roi victorieux qui pardonne aux vaincus ; il conduit ce héros aux murs de Paris, où, au lieu de faccager cette ville rebelle, il fournit les alimens néceffaires à la vie de fes habitans défolés par la famine la plus cruelle; mais d'un autre côté il dépeint des couleurs les plus vives l'affreux maffacre de la SaintBarthelemi,et la cruauté inouie avec laquelle

Charles IX hâtait lui-même la mort de fes malheureux fujets calvinistes.

La fombre politique de Philippe II, les artifices et les intrigues de Sixle-Quint, l'indolence léthargique de Valois, et les faibleffes que l'amour fit commettre à HENRI IV, font eftimées à leur juste valeur. M. de Voltaire accompagne tous ces récits de réflexions courtes, mais excellentes, qui ne peuvent que former le jugement de la jeuneffe, et donner des vertus et des vices les idées qu'on en doit avoir. On trouve de toute part dans ce poëme, que l'auteur recommande aux peuples la fidélité pour leurs lois et pour leurs fouverains. Il a immortalifé le nom du président de Harlai, dont la fidélité inviolable pour fon maître méritait une pareille récompenfe; il en fait autant pour les confeillers Briffon, Larcher, Tardif, qui furent mis à mort par les factieux; ce qui fournit la réflexion fuivante de l'auteur:

Vos noms toujours fameux vivront dans la mémoire; Et qui meurt pour fon roi meurt toujours avec gloire.

Le difcours de Potier aux factieux eft auffi beau par la jufteffe des fentimens que par la force de l'éloquence. L'auteur fait parler un grave magiftrat dans l'affemblée de la Ligue; il s'oppofe courageufement au deffein

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