Page images
PDF
EPUB

Tranquille, il attendait qu'au gré de ses souhaits
La mort vînt à fon Dieu le rejoindre à jamais.
Ce Dieu qu'il adorait prit soin de sa vieilleffe;
Il fit dans fon défert defcendre la fageffe;
Et prodigue envers lui de fes tréfors divins,
Il ouvrit à fes yeux le livre des deftins.

CE vieillard au héros que DIEU lui fit connaître,
Au bord d'une onde pure, offre un feftin champêtre.
Le prince à ces repas était accoutumé :

Souvent fous l'humble toit du laboureur charmé,
Fuyant le bruit des cours, et se cherchant lui-même,
Il avait déposé l'orgueil du diadême.

LE trouble répandu dans l'empire chrétien
Fut pour eux le fujet d'un utile entretien.
Mornai, qui dans fa fecte était inébranlable,
Prêtait au calvinisme un appui redoutable;
Henri doutait encore, et demandait aux cieux
de clarté vînt deffiller fes yeux.

Qu'un rayon

De tout temps, disait-il, la vérité facrée

Chez les faibles humains fut d'erreurs entourée :
Faut-il que de DIEU feul attendant mon appui,
J'ignore les fentiers qui mènent jusqu'à lui ?
Hélas! un Dieu fi bon, qui de l'homme eft le maître,
En eût été fervi s'il avait voulu l'être. 19

"DE DIEU, dit le vieillard, adorons les deffeins,
Et ne l'accufons pas des fautes des humains.
J'ai vu naître autrefois le calvinisme en France;

Faible, marchant dans l'ombre, humble dans fa naissance,

Je l'ai vu fans fupport exilé dans nos murs, S'avancer à pas lents par cent détours obfcurs. du fein de la pouffière,

Enfin mes yeux ont vu,

Ce fantôme effrayant lever fa tête altière,
Se placer fur le trône, infulter aux mortels,
Et d'un pied dédaigneux renverfer nos autels.
"LOIN de la cour alors, en cette grotte
obfcure,

De ma religion je vins pleurer l'injure.
Là, quelque efpoir au moins flatte mes derniers jours:
Un culte fi nouveau ne peut durer toujours:
Des caprices de l'homme il a tiré fon être ;
On le verra périr ainfi qu'on l'a vu naître.
Les œuvres des humains font fragiles comme eux :
DIEU diffipe à fon gré leurs deffeins factieux,
Lui feul eft toujours ftable; (g) et tandis que la terre
Voit de fectes fans nombre une implacable guerre,
La Vérité repofe aux pieds de l'Eternel.

Rarement elle éclaire un orgueilleux mortel :

Qui la cherche du cœur un jour peut la connaître.·
Vous ferez éclairé, puisque vous voulez l'être.
Ce DIEU vous a choifi: fa main dans les combats
Au trône des Valois va conduire vos pas.
Déjà fa voix terrible ordonne à la victoire
De préparer pour vous les chemins de la gloire :
Mais fi la vérité n'éclaire vos efprits,
N'efpérez point entrer dans les murs de Paris.
Surtout des plus grands cœurs évitez la faibleffe;
Fuyez d'un doux poifon l'amorce enchantereffe ;

Craignez

Craignez vos paffions; et fachez quelque jour
Réfifter aux plaisirs et combattre l'amour.
Enfin quand vous aurez, par un effort suprême,
Triomphé des Ligueurs, et furtout de vous-même
Lorfqu'en un fiége horrible, et célèbre à jamais,
Tout un peuple étonné vivra de vos bienfaits,
Ces temps de vos Etats finiront les misères ;
Vous leverez les yeux vers le DIE U de vos pères;
Vous verrez qu'un cœur droit peut espérer en lui.
Allez, qui lui reffemble eft fûr de fon appui. "

yeux;

CHAQUE mot qu'il disait était un trait de flamme, Qui pénétrait Henri jufqu'au fond de fon ame. Il fe crut transporté dans ces temps bienheureux, Où le DIEU des humains converfait avec eux Où la fimple vertu, prodiguant les miracles, Commandait à des rois, et rendait des oracles. (h) I L quitte avec regret ce vieillard vertueux ; Des pleurs, en l'embraffant, coulèrent de fes Et dès ce moment même il entrevit l'aurore De ce jour qui pour lui ne brillait pas encore. Mornai parut furpris, et ne fut point touché: DIEU, maître de ses dons, de lui s'était caché. Vainement fur la terre il eut le nom de fage, Au milieu des vertus l'erreur fut fon partage. TANDIS que le vieillard, inftruit par le Seigneur, Entretenait le prince et parlait à fon cœur, Les vents impétueux à fa voix s'apaisèrent ; Le foleil reparut, les ondes fe calmèrent.

La Henriade.

* F

Bientôt jufqu'au rivage il conduifit Bourbon :
Le héros part et vole aux plaines d'Albion.

EN voyant l'Angleterre, en fecret il admire
Le changement heureux de ce puiffant empire,
Où l'éternel abus de tant de fages lois

Fit long-temps le malheur et du peuple et des rois.
Sur ce fanglant théâtre où cent héros périrent,
Sur ce trône gliffant dont cent rois defcendirent,
Une femme, à fes pieds enchaînant les destins,
De l'éclat de fon règne étonnait les humains.
C'était Elifabeth; elle dont la prudence
De l'Europe à fon choix fit pencher la balance,
Et fit aimer fon joug à l'Anglais indompté,
Qui ne peut ni fervir, ni vivre en liberté.
Ses peuples fous fon règne ont oublié leurs pertes;
De leurs troupeaux féconds leurs plaines font couvertes,
Les guérets de leurs blés, les mers de leurs vaiffeaux.
Ils font craints fur la terre, ils font rois fur les eaux.
Leur Flotte impérieufe, afferviffant Neptune,
Des bouts de l'univers appelle la fortune.
Londre, jadis barbare, eft le centre des arts,
Le magafin du monde, et le temple de Mars.
Aux (11) murs de Westminster on voit paraître ensemble
Trois pouvoirs étonnés du nœud qui les raffemble,
Les députés du peuple, et les grands, et le roi,
Divifés d'intérêt, réunis par la loi ;

Tous trois membres facrés de ce corps invincible,
Dangereux à lui-même, à fes voisins terrible.

Heureux lorfque le peuple, inftruit dans fon devoir,
Refpecte, autant qu'il doit, le fouverain pouvoir!
Plus heureux lorsqu'un roi, doux, juste et politique,
Refpecte, autant qu'il doit, la liberté publique !
Ah! s'écria Bourbon, quand pourront les Français
Réunir comme vous la gloire avec la paix?
Quel exemple pour vous, monarques de la terre!
Une femme a fermé les portes de la guerre ;
En renvoyant chez vous la difcorde et l'horreur,
D'un peuple qui l'adore elle a fait le bonheur.
CEPENDANT il arrive à cette ville immense,
Où la liberté feule entretient l'abondance.

Du vainqueur (12) des Anglais il aperçoit la tour.
Plus loin, d'Elifabeth eft l'augufte féjour.

Suivi de Mornai feul, il va trouver la reine,
Sans appareil, fans bruit, fans cette pompe vaine

Dont les grands, quels qu'ils foient, en fecret font épris,
Mais que le vrai héros regarde avec mépris.
Il parle, fa franchise eft fa feule éloquence.
Il expose en fecret les befoins de la France;
Et jufqu'à la prière humiliant fon cœur,
Dans fes foumiffions découvre fa grandeur.

" Quoi! vous fervez Valois! dit la reine surprise :
C'est lui qui vous envoie au bord de la Tamise!
Quoi! de fes ennemis devenu protecteur,
Henri vient me prier pour fon perfécuteur !
Des rives du Couchant aux portes de l'Aurore,
De vos longs différens l'univers parle encore ;

« PreviousContinue »