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Egalement ennemi de l'irréligion, le poëte, dans les difputes que notre raison ne faurait décider, qui dépendent de la révélation, adjuge avec modeftie et folidité la préférence à notre doctrine romaine, dont il éclaircit même plufieurs obfcurités.

Pour juger de fon ftyle, il ferait nécessaire de connaître toute l'étendue et la force de la langue; habileté à laquelle il eft prefque impoffible qu'un étranger puiffe atteindre, et fans laquelle il n'eft pas facile d'approfondir la pureté de la diction.

Tout ce que je puis dire là-deffus, c'eft qu'à l'oreille fes vers paraissent aisés et harmonieux, et que dans tout le poëme je n'ai trouvé rien de puéril, rien de languiffant, ni aucune fauffe pensée; défauts dont les plus excellens poëtes ne font pas tout-à-fait exempts.

Dans Homère et Virgile on en voit quelquesuns, mais rares: on en trouve beaucoup dans les principaux, ou pour mieux dire, dans tous les poëtes de langues modernes, furtout dans ceux de la feconde claffe de l'antiquité.

A l'égard du ftyle, je puis encore ajouter une expérience que j'ai faite, qui donne beaucoup à préfumer en fa faveur. Ayant traduit ce poëme couramment, en le lifant à différentes personnes, je me fuis aperçu qu'elles en ont fenti toute la grace et la majefté : indice

infaillible que le ftyle en eft très-excellent. Auffi l'auteur fe fert-il d'une noble fimplicité et briéveté pour exprimer des chofes difficiles et vaftes, fans néanmoins rien laiffer à défirer pour leur entière intelligence; talent bien rare, et qui fait l'effence du vrai fublime.

Après avoir fait connaître en général le prix et le mérite de ce poëme, il eft inutile d'entrer dans un détail particulier de fes beautés les plus éclatantes. Il y en a, je l'avoue, plufieurs dont je crois reconnaître les originaux dans Homère, et furtout dans l'Iliade, copiés depuis avec différens fuccès par tous les poëtes poftérieurs; mais on trouve auffi dans ce poëme une infinité de beautés qui femblent neuves et appartenir en propre à la Henriade.

Telles font, par exemple, la noblesse et l'allégorie de tout le chant Ve, l'endroit où le poëte représente l'infame meurtre de Henri III, et fa jufte réflexion fur ce miférable affaffin.

C'eft encore quelque chofe de nouveau dans la poëfie, que le discours ingénieux qu'on lit fur les châtimens à fubir après la mort.

Il ne me fouvient pas non plus d'avoir vu ailleurs ce beau trait qu'il met dans le caractère de Mornai: qu'il combat fans vouloir tuer perfonne.

La mort du jeune d'Ailly, maflacré par fon père fans en être connu, m'a fait verser des larmes, quoique j'euffe lu une aventure un

peu semblable dans le Tasse; mais celle de M. de Voltaire, étant décrite avec plus de précifion, m'a paru nouvelle et plus fublime.

Les vers fur l'amitié font d'une beauté inimitable, et rien ne les égale, fi ce n'eft la description de la modestie de la belle d'Estrées.

Enfin, dans ce poëme, font répandues mille graces, qui démontrent que l'auteur, né avec un goût infini pour le beau, le beau, s'eft perfectionné encore davantage par une application infatigable à toutes fortes de fciences, afin de devoir fa réputation moins à la nature qu'à lui-même.

Plus il a réuffi, plus il eft obligeant à lui envers notre Italie d'avoir, dans un difcours à la fuite de fon poëme, préféré notre Virgile et notre Tafse à tout autre poëte, quoique nous n'ofions nous-mêmes les égaler à Homère, qui a été le premier fondateur de la belle poëfie.

IDÉE

DE LA

HENRIADE.

LE fujet de la Henriade eft le fiége de Paris,

commencé par Henri de Valois et Henri le grand, achevé par ce dernier feul.

Le lieu de la fcène ne s'étend pas plus loin que de Paris à Ivry, où fe donna cette fameufe bataille qui décida du fort de la France et de la maison royale.

Le poëme eft fondé fur une hiftoire connue, dont on a confervé la vérité dans les événemens principaux. Les autres moins refpectables ont été ou retranchés, ou arrangés fuivant la vraifemblance qu'exige un poëme. On a tâché d'éviter en cela le défaut de Lucain, qui ne fit qu'une gazette ampoulée; et on a pour garant ces vers de M. Defpréaux déjà

cités.

On n'a fait même que ce qui se pratique dans toutes les tragédies, où les événemens font pliés aux règles du théâtre.

Au refte, ce poëme n'eft pas plus hiftorique qu'aucun autre. Le Camouens, qui eft le Virgile des Portugais, a célébré un événement dont il avait été témoin lui-même. Le Tasse a chanté une croifade connue de tout le monde, et n'en a omis ni l'ermite Pierre ni les proceffions.. * D`

La Henriade..

Virgile n'a conftruit la fable de fon Enéide que des fables reçues de fon temps, et qui paffaient pour l'hiftoire véritable de la defcente d'Enée en Italie.

Homère, contemporain d'Héfiode, et qui par conféquent vivait environ cent ans après la prife de Troie, pouvait aifément avoir vu, dans fa jeuneffe, des vieillards qui avaient connu les héros de cette guerre. Ce qui doit même plaire davantage dans Homère, c'eft que le fond de fon ouvrage n'est point un roman, que les caractères ne font point de fon imagination, qu'il a peint les hommes tels qu'ils étaient, avec leurs bonnes et mauvaises qualités, et que fon livre est un monument des mœurs de ces temps reculés.

La Henriade eft compofée de deux parties; d'événemens réels dont on vient de rendre compte, et de fictions. Ces fictions font toutes puisées dans le systême du merveilleux, telles que la prédiction de la converfion de HENRI IV, la protection que lui donne St Louis, fon apparition, le feu du ciel détruifant ces opérations magiques qui étaient alors fi communes, &c. Les autres font purement allégoriques : de ce nombre font le voyage de la Difcorde à Rome, la Politique, le Fanatifme personnifiés, le temple de l'Amour, enfin, les paffions et les vices

Prenant un corps, une ame, un esprit, un visage.

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