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Et pour fatisfaire en même temps les oreilles et les yeux, il a écrit Français, fubftituant à la diphthongue oi la diphthongue ai, qui, accompagnée d'une s, exprime à la fin des mots le fon de l'è, comme dans bienfaits, fouhaits, &c. M. de Voltaire a été d'autant plus autorifé à ce changement d'orthographe, qu'il lui fallait diftinguer dans fon poëme certains mots qui, écrits par-tout ailleurs de la même façon, ont néanmoins une prononciation et une fignification différentes fous le froc de François, &c. des courtisans Français, &c.

TRADUCTION

D'une Lettre de M. ANTOINE COCCHI, lecteur de Pife, à M. RINUCCINI, fecrétaire d'Etat de Florence, fur la Henriade.

SELON

ELON

ON moi, Monfieur, il y a peu d'ouvrages plus beaux que le poëme de la Henriade, que vous avez eu la bonté de me prêter.

J'ofe vous dire mon jugement avec d'autant plus d'affurance, que j'ai remarqué qu'ayant lu quelques pages de ce poëme à gens de différente condition et de différent génie, et adonnés à divers genres d'érudition, tout cela n'a point empêché la Henriade de plaire également à tous ; ce qui eft la preuve la plus certaine que l'on puiffe rapporter de fa perfection réelle.

Les actions chantées dans la Henriade regardent, à la vérité, les Français plus particulièrement que nous; mais comme elles font véritables, grandes, fimples, fondées fur la juftice et entre-mêlées d'incidens qui frappent, elles excitent l'attention de tout le monde.

Qui eft celui qui ne se plairait point à voir une rébellion étouffée, et l'héritier légitime du trône s'y maintenir, en affiégeant sa capitale

rébelle, en donnant une fanglante bataille, et en prenant toutes les mesures dans lesquelles la force, la valeur, la prudence et la générofité brillent à l'envi?

Il est vrai que certaines circonftances hiftoriques font changées dans le poëme; mais outre que les véritables font notoires et récentes, ces changemens étant ajuftés à la vraisemblance ne doivent point embarraffer l'efprit d'un lecteur tant foit peu accoutumé à considérer un poëme comme l'imitation du poffible et de l'ordinaire, liés ensemble par des fictions ingénieuses.

Tout l'éloge que puiffe jamais mériter un poëme, pour le bon choix de fon fujet, eft certainement dû à la Henriade, d'autant plus que, par une fuite naturelle, il a été néceffaire de raconter le maffacre de la Saint-Barthelemi, le meurtre de Henri III, la bataille d'Ivry et la famine de Paris: événemens tous vrais, tous extraordinaires, tous terribles, et tous représentés avec cette admirable vivacité qui excite dans le spectateur et de l'horreur et de la compaffion : effets que doivent produire pareilles peintures, quand elles font de main de maître.

Le nombre d'acteurs dans la Henriade n'eft pas grand; mais ils font tous remarquables dans leurs rôles, et extrêmement bien dépeints dans leurs mœurs.

Le caractère du héros Henri IV eft d'autant plus incomparable que l'on y voit la valeur, la prudence militaire, l'humanité et l'amour, s'entre-difputer le pas, et fe le céder tour-àtour, et toujours à propos pour fa gloire.

Celui de Mornai, fon ami intime, eft certainement rare; il eft représenté comme un philofophe favant, courageux, prudent et bon.

Les êtres invifibles, fans l'entremise defquels les poëtes n'oferaient entreprendre un poëme, sont bien ménagés dans celui-ci, et aisés à fuppofer: tels font l'ame de St Louis et quelques paffions humaines perfonnifiées; encore l'auteur les a-t-il employées avec tant de jugement et d'économie que l'on peut facilement les prendre pour des allégories.

En voyant que ce poëme foutient toujours fa beauté, fans être farci comme tous les autres d'une infinité d'agens furnaturels, cela m'a confirmé dans l'idée que j'ai toujours eue, que, fi l'on retranchait de la poëfie épique ces perfonnages imaginaires, invifibles et toutpuiffans, et qu'on les remplaçât, comme dans les tragédies, par des perfonnages réels, le poëme n'en deviendrait que plus beau.

Ce qui m'a d'abord fait venir cette pensée, c'eft d'avoir observé que dans Homère, Virgile, le Dante, l'Ariofte, le Taffe, Milton, et en un mot, dans tous ceux que j'ai lus, les plus beaux

endroits de leurs poëmes ne font pas ceux où ils font agir ou parler les dieux, le diable, le deftin et les efprits; au contraire, tout cela fait rire, fans jamais produire dans le cœur ces fentimens touchans qui naiffent de la repréfentatión de quelque action infigne, proportionnée à la capacité de l'homme notre égal, et qui ne passe point la sphère ordinaire des paffions de notre ame.

C'est pourquoi j'ai admiré le jugement de ce poëte qui, pour enfermer fa fiction dans les bornes de la vraisemblance et des facultés humaines, a placé le transport de son héros au ciel et aux enfers dans un fonge, dans lequel ces fortes de vifions peuvent paraître naturelles et croyables.

D'ailleurs, il faut avouer que fur la conftitution de l'univers, fur les lois de la nature, fur la morale, et fur l'idée qu'il faut se former du mal et du bien, des vertus et du vice, le poëte fur tout cela a parlé avec tant de force et de jufteffe, que l'on ne peut s'empêcher de reconnaître en lui un génie fupérieur, et une connaissance parfaite de tout ce que les philofophes modernes ont de plus raisonnable dans leur fyftème.

Il semble rapporter toute fa science à inspirer au monde entier une espèce d'amitié univerfelle, et une horreur générale pour la cruauté et pour le fanatisme.

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