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624. De la magnificence. La magnificence est la richesse unie à l'élévation. La péroraison de l'oraison funèbre de Condé, par Bossuet, présente cette qualité à un très haut degré.

625. Du sublime. Le sublime a été très bien défini par Longin, en ces termes : « Le sublime a cela de propre, quand on l'écoute, qu'il élève l'âme et lui fait concevoir une plus haute opinion d'elle-même, la remplissant de joie et de je ne sais quel noble orgueil, comme si c'était elle qui eût fait les choses qu'elle vient seulement d'entendre. »>> Que de fois n'a-t-on pas admiré le sublime de ce vers de Corneille *, dans la tragédie d'Horace :

Que vouliez-vous qu'il fit contre trois? Qu'il mourút!

626.

DES MOYENS DE FORMER LE STYLE

Les principaux moyens de former le style sont : la lecture des bons auteurs, les exercices de mémoire, les analyses littéraires, les traductions, les imitations, les rédactions. 627. Lecture des bons auteurs. Lire les bons auteurs ce n'est pas les parcourir rapidement; c'est, au contraire : 1° s'arrêter sur tous les mots dont on ne comprend pas bien le sens, et chercher celui-ci dans le dictionnaire1; plus on étend son vocabulaire et plus on a des chances de trouver, quand on écrit, le terme propre; 2o Faire pour la phrase ce que l'on a fait pour le mot, c'est-à-dire ne passer à une autre phrase que quand la précédente ne présente plus rien d'obscur;

3o Résumer dans son esprit les différents paragraphes, les différents chapitres, et enfin l'ensemble de l'ouvrage que l'on étudie.

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628. Exercices de mémoire On fera bien d'apprendre par cœur le plus grand nombre possible de morceaux tant en vers qu'en prose empruntés aux grands écrivains. En procédant ainsi on s'appropriera en quelque sorte une foule d'expressions, de tournures qui ensuite se présenteront d'elles-mêmes à la pensée quand on écrira, sans même qu'on ait conscience de la source où on les aura puisées. 629. Analyses littéraires. L'analyse littéraire d'un passage choisi dans quelque auteur célèbre consiste 1° à

1. Le Dictionnaire Gazier complète la définition du mot en donnant ses synonymes et ses contraires.

reconnaître l'idée maîtresse que l'auteur a voulu exprimer; 2o A rechercher si cette idée a été exposée nettement et avec précision, si on ne l'a ni diminuée ni outrée;

3o A étudier l'enchaînement des idées et à voir si chacune a été exprimée à l'endroit où il fallait qu'elle le fût;

4o A étudier de quelle façon chaque idée a été rendue, à dire si elle a été revêtue d'une forme gracieuse, élégante, précise, énergique, etc.;

5o A faire les remarques de toute nature que comportent les mots et les expressions employés par l'auteur, à chercher en quoi ils reflètent l'époque où il a vécu et en quoi ils s'en éloignent; enfin à signaler les hardiesses, les néologismes*, les archaïsmes*, etc.

630. Traductions. L'exercice de la traduction est un des plus puissants moyens que l'on ait pour former le style. Malheureusement, il n'est pas à un égal degré à la portée de tous. La traduction des auteurs grecs et latins est ce qu'il y a de plus efficace, par la raison que le traducteur, transporté loin de son temps et de son pays, dépaysé en quelque sorte parmi les anciens, a plus d'efforts à faire pour trouver l'équivalent de leur façon de s'exprimer. A défaut des langues anciennes on pourra s'exercer sur les langues modernes, qu'il est généralement plus facile de traduire. Enfin si cette ressource fait défaut, on traduira les vieux auteurs qui ont écrit dans la langue nationale. Un Français, par exemple, commencera par traduire en français moderne les auteurs du seizième siècle, puis il passera à ceux du quinzième, et ainsi de suite en remontant le cours du moyen âge. Cet exercice aura le précieux avantage d'apprendre, pour ainsi dire, l'histoire des mots, qui deviendront vivants en quelque sorte. On sera d'autant plus apte à les employer à propos qu'on les connaîtra mieux.

631. Imitations. Après avoir lu attentivement deux ou trois fois un morceau, on s'efforcera d'en reproduire l'esprit général sans chercher à le calquer trop fidèlement : on tȧchera même d'introduire dans son travail quelques idées nouvelles, choisies de telle sorte qu'elles ne contrastent en rien avec celles de l'auteur.

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632. Rédactions. Aussi souvent que possible on se donnera à soi-même un sujet à traiter, sans toutefois s'imposer la tâche d'en rechercher un qui soit élevé ou extraordinaire. Les circonstances les plus simples de la vie peuvent avantageusement servir de thèmes à des exercices de style.

633.

CHAPITRE II

DES FIGURES

En littérature, on appelle figure toute façon de parler qui donne au langage plus de force, de vivacité, d'éclat, de noblesse ou de grâce.

Rien de plus naturel que l'emploi des figures: les peuples sauvages, les enfants, les poètes, tous ceux qui ont une vive imagination, y recourent à chaque instant, et sans s'en douter.

634. Il y a trois sortes de figures : les figures de grammaire, les figures de mots et les figures de pensées.

635.

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On appelle figures de grammaire des façons de parler qui ne sont pas strictement conformes aux règles de la construction grammaticale ou de la logique, mais qui n'en sont pas moins fréquentes en prose et en poésie.

636. Les principales figures de grammaire sont : l'inversion, l'ellipse, le pleonasme et la syllepse.

637.

1° DE L'INVERSION

L'inversion consiste à changer l'ordre grammatical des mots dans la proposition, ou celui des propositions dans la phrase.

638. Dans la proposition, l'ordre grammatical et strictement régulier exigerait qu'on énonçât d'abord le sujet et tout ce qui en dépend, puis le verbe et enfin les différents compléments, suivant le rang qui leur est attribué dans la syntaxe. Toutes les fois que l'on ne suit pas cet ordre, on fait une inversion de mots.

:

Ex. Dans une ménagerie de volatiles remplie vivaient le cygne et l'oison.

L'ordre grammatical exigerait : Le cygne et l'oison vivaient dans une ménagerie remplie de volatiles.

639. - Dans la phrase l'ordre grammatical exigerait qu'on énonçât d'abord la proposition principale, et à la suite les

diverses propositions subordonnées dans l'ordre de leur subordination respective. Toutes les fois que l'on ne suit pas cet ordre, on fait une inversion de propositions. Ex. Quand on l'appelait, il s'enfuyait.

L'ordre rigoureux exigerait: Il s'enfuyait quand on l'appelait.

REMARQUE. Les inversions sont surtout fréquentes en poésie.

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2o DE L'ELLIPSE

640. L'ellipse (du grec elleipsis, signifiant manque) est une figure par laquelle on retranche un ou plusieurs mots dans une phrase.

Ex. Plus fait douceur que violence.

C'est-à-dire : La douceur fait plus que la violence ne fait.

Exercice 126.

Rétablissez l'ordre grammatical dans les propositions suivantes :

Sur le bord d'un puits très profond, dormait, étendu de son long, un enfant alors dans ses classes.

De la peau du lion l'âne s'étant vêtu, était craint partout à la ronde.

Dans le cristal d'une fontaine, un cerf, se mirant autrefois, louait la beauté de son bois.

Aux noces d'un tyran, tout le peuple en liesse noyait son souci dans les pots.

Ainsi de la vertu les lois sont éternelles.

Dans un champ de blés mûrs, tout un peuple prudent rassemble pour l'État un trésor abondant.

A des dieux mugissants l'Égypte rend hommage.

Aux pieds de son idole, un barbare à genoux d'un être destructeur vient fléchir le courroux.

De ses remords secrets, triste et lente victime, jamais un criminel ne s'absout de son crime.

Dispersés, mais unis, les hommes sont tous frères.

Pour prolonger des jours destinés aux douleurs naissent les premiers arts, enfants de nos malheurs.

De beaux vers pleins de sens le lecteur est charmé.

Exercice 127.

Rétablissez les mots supprimés par ellipse:

On a toujours raison, le destin toujours tort.

Entre deux bourgeois d'une ville s'émut jadis un différend : l'un était pauvre, mais habile; l'autre riche, mais ignorant. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. Quels cadavres épars dans la Grèce déserte!

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3o DU PLÉONASME

641. Le pleonasme (du grec pleonasmos, surabondance) est une figure de grammaire qui consiste à exprimer des termes inutiles au sens de la phrase, mais qui lui communiquent plus d'énergie.

On fait un pléonasme quand on dit : Je l'ai vu de mes yeux, au lieu de dire simplement je l'ai vu.

Sauf dans certains cas assez rares et dans certaines expressions consacrées par l'usage, le pleonasme est un défaut que l'on doit soigneusement éviter.

Suite de l'exercice 127.

Une mère spartiate, en remettant à son fils son bouclier que celui-ci ne pouvait pas perdre sans déshonneur, ne lui adressait que ces paroles: Avec cela ou sur cela.

Arrière ceux dont la bouche souffle le chaud et le froid!

Ces gens étaient les fous; Démocrite *, le sage.

Comme on demandait au vieil Horace ce qu'il voulait que son fils fit contre trois, il répondit : Qu'il mourût!

Parmi les hommes, ne voit-on pas les uns mourir par excès de bonne chère, les autres par manque du nécessaire?

Autant d'hommes, autant de goûts différents : les uns soupirent après la fortune, les autres après les honneurs, d'autres enfin après une vie calme et une heureuse médiocrité.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.

Alexandre, une fois en Asie, s'empressa d'envoyer à Aristote * tous les animaux rares, toutes les curiosités naturelles qu'il put. Interrogez votre conscience et demandez-vous si vous avez rendu à vos semblables tous les services que vous auriez dû.

Exercice 128.

Supprimez les pléonasmes contenus dans les phrases suivantes :

Quelque extravagantes que vous semblent ces paroles, je les ai entendues de mes oreilles.

En vain la plus triste vieillesse m'accable de son poids pesant, je conserve une âme forte dans un corps débile.

Eh! que m'a fait, à moi, cette Troie où je cours?

Dans le conte de la Barbe-Bleue on frémit quand on entend le mari sanguinaire s'écrier qu'il va monter en haut.

Les troupes étaient si nombreuses qu'elles n'ont pas cessé de passer pendant deux heures d'horloge.

Les oiseaux qui volent dans les airs et les poissons qui nagent dans les eaux, forment deux ordres dans l'embranchement des animaux vertébrés.

Et les chiens et les gens firent plus de dégâts en une heure de temps que n'en auraient fait en cent ans tous les lièvres de la province.

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