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apprécié et encore moins compris; tout le monde en parlait, mais toujours en le considérant avec les yeux passablement malveillans des historiens du règne de Louis XVI. Une réaction devait naturellement se produire. Ce grand siècle, si magistralement vanté avant son extinction, avait suivi le sort de son illustre représentant, avait comme disparu avec lui, j'allais même dire avant lui: il n'en était resté qu'un souvenir confus, et ses institutions, mal connues et faussées depuis, n'étaient pour ainsi dire demeurées dans aucune mémoire. Louis XIV et quelques noms seuls échappèrent à cette profonde obscurité qui enveloppa rapidement tous ceux qui avaient entouré ces génies privilégiés; des hommes même d'un esprit distingué se trouverent, par les critiques plaisantes de notre grand satyrique, placés sous le jour le plus défavorable.

MM. Roederer et de Monmerqué, les premiers de nos jours, tentèrent d'édudier le siècle de Louis XIV et de ramener l'opinion publique leurs efforts, tout en produisant un effet sérieux, n'eurent pas les conséquences radicales que recherchaient ces deux honorables auteurs. M. de Monmerqué, cependant, avait été plus heureux que M. le comte Roederer, et les Lettres de Mme de Sévigné devaient causer à juste titre dans le monde lettré une bien plus grande émotion que les Mémoires pour servir à l'histoire de la société polie en France. Ces deux essais, d'ailleurs, restés isolés ne pouvaient pas atteindre le but proposé : il eût fallu que, dès ce moment, le mouvement dont je m'occupe aujourd'hui se fut fait sentir et eût, dès ce moment, provoqué une renaissance pareille à celle que je me plais à signaler.

Il semble que des esprits d'élite, comme ceux dont j'aurai à enregistrer les noms, aient cherché assez longtemps une carrière digne de leurs investigations, et qu'après quelques hésitations ils se soient précipités, à l'envi, vers ce dix-septième siècle réellement inconnu, quoiqu'on en ait beaucoup parlé, et qui constitue, si je puis m'exprimer ainsi, une véritable Californie historique et littéraire. Des hommes marquans d'abord, comme MM. le duc de Noailles, Cousin, le baron Walckenaër, de Sainte-Beuve, ont indiqué le chemin en plantant les jalons; après eux les érudits,

les hommes qui cherchaient un but à leurs études sont accourus et parcourent le dix-septième siècle dans tous les sens, laissant cependant encore à glaner, car, quoiqu'on s'arrête souvent un peu trop aux bagatelles de la porte, le jour n'est pas encore prêt à arriver, où on aura tout dit sur cette brillante époque. Il ne faut pas croire cependant que cette réaction soit uniquement due à un besoin d'employer des forces intellectuelles lasses d'un trop long loisir, il faut y voir aussi un des symptômes les plus saillans du temps après avoir trop longuement médit de ce siècle, incarné en quelque sorte dans une seule et puissante individualité, on est naturellement ramené à envisager avec moins de prévention une époque dont nous pouvons reconnaître quelques traits autour de nous, et l'on a trouvé un nouveau motif de poursuivre des recherches vers un temps qui n'est plus tout-à-fait aussi étranger au nôtre et qui, de plus, offre tant de charme pour celui qui s'y attache sérieusement.

M. Amédée Renée a fait un heureux choix entre tous les sujets qui pouvaient tenter la plume d'un érudit, ami du XVII siècle; car il a su en prendre une des galeries les plus piquantes et les plus gracieuses, en même temps que des plus intéressantes. Les Nièces de Mazarin, en effet, reportent le lecteur au début du grand règne, alors que Louis XIV n'était que l'élève timide et soumis de Mazarin, et que ce dernier, tout aussi puissant que Richelieu, quoique moins brillant et moins redouté, gouvernait seul le royaume et pouvait bien se bercer des plus séduisantes illusions. Il pensait trouver à l'aide de ses nièces ce qui lui manquait en France, une puissante famille qui le mît sur un pied d'égalité avec les plus grandes maisons. Aussi n'hésita-t-il pas à affronter hardiment tous les reproches de népotisine dont il devait être accablé, et fit-il venir en deux fois d'Italie ces jeunes filles, si diverses de beauté comme de caractère. On sait que la plupart des historiens et bon nombre de contemporains ont attribué à Mazarin un origine des plus plébéïennes, et une note d'un des intimes conseillers du cardinal, Ondedéi, note trouvée dans les papiers de Colbert à la Bibliothèque impériale par M. Renée, nous apprend que d'habiles émissaires étaient chargés de par

courir la Sicile pour tacher de découvrir quelque chose qui << puisse estre considérable à son égard, » et, qu'en résumé, ces recherches furent vaines. Mais comme, du vivant du ministre, personne n'osait contester ses prétentions nobiliaires, ses pièces rencontrèrent aisément des maris qui devaient leur assurer des positions princières à la cour; elles épousèrent le duc de Mercœur, le prince de Conti, le duc de Modère, le comte de Soissons, le duc de la Meilleraye depuis lors duc de Mazarin, le duc de Bouillon, et enfin le connétable Colonna. Le cardinal s'était singulièrement trompé en basant quelques espérances personnelles sur les positions qu'occuperaient ses nièces : si l'on en excepte Madame de Mercœur, la princesse de Conti, la duchesse de Modène qui, toutes trois, moururent jeunes en laissant une réputation méritée de haute vertu, les autres ne créèrent que des embarras à leur oncle: et, pour laisser de côté celles qui affichèrent une scandaleuse conduite et remplirent alors lemonde de leurs folles équipées, je ne citerai que la connétable Colonna, cette Marie Mancini, d'abord si laide, puis si séduisante, l'amie du roi, celle qui peut-être a eu l'insigne honneur d'avoir sauvé Louis XIV, au détriment de l'influence du cardinal, d'une vie pareille à celle de Louis XV, d'avoir éveillé en lui la pensée et le sentiment, qui put lui dire ces mots charmans : « Vous m'aimez, vous êtes « roi et je pars!» et qui cependant demeura constamment pure, ainsi que nous le raconte très-ingénuement la duchesse de Mazarin dans ses Mémoires : « Le connétable, qui << ne croyait pas qu'il pût y avoir de l'innocence dans les <«< amours du roi, fut si ravy de trouver le contraire dans la << personne de ma sœur, qu'il compta pour rien de n'avoir « pas été le premier maître de son cœur.» Sans avoir l'air de mettre trop d'érudition dans une œuvre qui doit être accessible à tous les genres de lecteurs, M. A. Renée en fait preuve cependant plus qu'il ne paraît, et je puis citer comme un excellent travail de critique historique toute l'introduction où il étudie d'une manière très-complète et trèsneuve les relations de la reine et de Mazarin.

Il est intéressant de lire, après ces pages remplies de détails piquans et curieux, l'étude solide et approfondie que M. de Carné a consacrée au même cardinal et qui peut, à bon

droit, passer pour une des meilleures publications consa crées à cette grande individualité. M. de Carné, justement frappé de l'injustice avec laquelle contemporains et postérité ont apprécié le négociateur des traités de Munster et des Pyrénées, et des louanges exagérées à l'aide desquelles, depuis quelques années, les partisans d'une réaction d'autant plus vive qu'elle est plus tardive, ont voulu réhabiliter la victime des mazarinades, essaie de rétablir la physionomie de ce ministre, et en même temps, il démontre avec une haute raison « qu'il n'y eut jamais de choix plus rationnel « que celui de Mazarin, cardinal italien, sujet français par «< la grâce spéciale du roi » et avec lequel la reine échappait à la fois aux influences qui s'agitaient en tous sens autour d'elle et aux dangers que n'aurait pas manqué de lui susciter un ministre qui n'aurait pas, comme Mazarin, dépendu absolument d'elle-même.

Je dirai cependant que M. de Carné ne me paraît pas donner une assez forte part aux sentimens tendres que la reine et Mazarin s'inspirèrent l'un à l'autre dans la conduite adoptée par eux et que les recherches de M. A. Renée me contentent davantage à cet égard; mais sans attacher une importance trop grande à ce que j'appellerai une simple omission, l'étude de M. de Carné me satisfait complètement sur l'attitude, le caractère et la polítique de cet Italien rusé qui, cependant, plus que bien d'autres, a droit d'occuper la place que l'auteur lui donne parmi les fondateurs de l'unité française (1). C'était bien l'homme qu'il fallait à ce dixseptième siècle. Il sut le diriger à peu près constamment au gré de ses désirs sans s'imposer à lui, comme son formidable prédécesseur, et en feignant quelquefois de plier aux velléités de liberté dont la nation française allait essayer durant ce court moment de répit compris entre le ministère du cardinal-duc et l'avènement aux affaires de Louis XIV, velléités

(1) Je regrette de ne pouvoir aujourd'hui parler des autres hommes auxquels M. de Carné donne, avec raison, le titre de fondateurs de l'unité française: Suger, saint Louis, Duguesclin, Jeanne d'Arc, Louis XI, Henri IV et Richelieu; mais je reviendrai sur ces études qui méritent de sérieux éloges, au double point de vue du fond et de la forme.

si finement racontées par le cardinal de Retz, l'historien naturel de cette époque si diversement agitée, où la guerre avait l'air d'une bruyante plaisanterie, où les femines tenaient beaucoup plus de place que les hommes et suffisaient seules aux innombrables menées qui se croisaient et recroisaient en tous sens. Je crois que M. de Carné a accompli un grand acte de justice en restituant à Mazarin l'honneur qui lui était dû et en faisant surtout remarquer que l'un des ministres les plus dévoués en France au principe de l'unité française était précisément un étranger, supporté plutôt qu'accueilli dans sa patrie d'adoption.

C'est encore en quelque sorte à ce sujet qu'est consacré le second volume de l'important ouvrage publie par M. Chéruel sous le titre de Histoire de l'administration en France jusqu'en 1715. M. Chéruel, poursuivant avec un zèle infatigable ses recherches sur l'ancienne monarchie, a voulu étudier les différentes phases à travers desquelles le gouvernement a dû passer pour arriver à fonder cette administration si puissamment organisée sous le grand roi, cette administration, qui, selon la définition de M. Guizot, consista << dans l'ensemble des moyens destinés à faire ar« river le plus promptement, le plus sûrement possible, la « volonté du pouvoir central dans toutes les parties de la « société, et à faire remonter vers le pouvoir central, sous « les mêmes conditions, les forces de la société, soit en << hommes, soit en argent. » Ce fut un long travail, un laborieux enfantement, pour lequel six siècles de luttes incessantes furent nécessaires; il fallut, non seulement la présence aux affaires d'hommes doués de la plus haute intelligence, comme ceux dont je citais le nom tout à l'heure, mais, chose bien plus rare en ce monde, la succession non interrompue de quatre hommes tels qu'Henri IV, Richelieu, Mazarin et Colbert, qui pendant un siècle tout entier gouvernèrent la France; Henri IV, qui par sa souplesse, sa vaillance et son habileté ramena le calme dans le royaume et se rendit favorables tous les partis; Richelieu, qui par son impitoyable fermeté brisa cette féodalité nouvelle que cherchaient à refonder les gouverneurs de provinces et quelques grands seigneurs; Mazarin, ministre rusé, mais profond politique, bien fait pour cette étrange coalition à laquelle

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