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«nière dont elle vivait avec elle.» (15 août 1644). Marie de Hautefort se retira sans se plaindre au couvent des Filles Sainte-Marie de la rue St-Antoine et se vit aussitôt recherchée en mariage par le duc de Ventadour et les maréchaux de Gassion et de Schomberg; ce dernier, qui avait déjà demandé sa main l'année précédente, triompha de ses rivaux. << Ainsi se termina la partie romanesque de la vie de M<< de Hautefort.Depuis, sa destinée a été aussi paisible que «sa jeunesse avait été orageuse. Arrêtons-nous sur le seuil << de cette nouvelle carrière où la noble femme s'est surpas «sée elle-même, où sa vertu est demeurée sans tache et <«< où elle a été tour à tour la plus tendre épouse et la veuve «< la plus sainte.» Je feral comme M. Cousin et je dirai seulement qu'après la mort du maréchal, M de Schomberg vint habiter une maison modeste qu'elle s'était fait bâtir rue de Charonne et y mourut, bénie de tous les malheureux, le 4er août 1691.

Je bornerai là aussi l'étude que je voulais me permettre sur les intéressans travaux de M. Cousin; aussi bien comment pourrais-je aborder les vies de Mme de Longueville et de Mme de Chevreuse; analyser ces livres me semble une œuvre à peu près impossible, et d'ailleurs la plupart des événemens qui y sont racontés sont connus, car ces deux femmes ont occupé un rang trop considérable en France pour n'être pas intimement môlées à toutes les circonstances de son histoire ces deux biographies tirent donc leur intérêt de la manière dont leur auteur les a écrites, dont il a groupé les faits, déduit les conséquences et animé le récit au point de le rendre, en quelque sorte, actuel.

Jusqu'à présent je n'ai parlé du talent de M. Cousin comme historien qu'au point de vue de la mise en œuvre des documens que ses patientes recherches lui ont fait découvrir : est-il besoin de parler du style de ces récits, quand j'aurai cité la fin de la vie de Mme de Hautefort, qui, quoiqu'en dise l'auteur, il faut l'espérer du moins, ne clôt qu'une première série des études sur les femmes illustres du XVII siècle : « Posons la plume et mettons fin à ces «peintures d'une société à jamais évanouie, et de femmes «que l'œil des hommes ne verra plus. Encore quelques « pages sur Mme de Longueville, et nous aurons dit adieu

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a à ces rêves de nos heures de loisir, que caressa notre « jeunesse, et qui nous ont accompagné jusqu'au terme de « l'âge mûr. Nous l'avouons: nous ne quittons pas sans re<< gret cet aimable et généreux commerce. Soyez bénies en << nous séparant, muses gracieuses et sévères, mais tou<< jours nobles et grandes, qui m'avez montré la beauté vé– «ritable et dégouté des attachemens vulgaires. C'est vous qui m'avez appris à fuir les sentiers de la foule, et, au << lieu d'élever ma fortune, à tâcher d'élever mon cœnr. «Grâce à vos leçons, je me suis complu dans une pauvreté fière; j'ai perdu sans murmure tous les prix de ma vie. « Soutenez-moi donc dans les épreuves suprêmes qui me «restent à traverser. Contemporaines de Descartes, de Cor<<neille, de Pascal, de Richelieu, de Mazarin, de Condé, << Anne de Bourbon, Marie de Rohan, Marie de Hautefort, « Marthe du Vigean, Louise Angelique de la Fayette, sœur << sainte Euphémie (Jacqueline Pascal), âmes aussi fortes « que tendres, qui, après avoir jeté tant d'éclat, avez voulu << vous éteindre dans l'obscurité et dans le silence, donnez<< moi quelque chose de votre courage, en seignez-moi à « sourire, comme vous, à la solitude, à la vieillesse, à la « maladie, à la mort. Disciples de Jésus-Christ, joignez<< vous à son précurseur sublime pour me répéter, au nom « de l'Evangile et de la philosophie, qu'il est bien temps de << renoncer à tout ce qui passe, et que la seule pensée qui << désormais me soit permise est celle de quelques travaux « utiles, du devoir et de Dieu. >>

Que d'autres sourient en lisant ces magnifiques pensées, parceque de nos jours on rit de tout, pour moi je les ai vues avec plaisir sortir de la plume fine et élégante du plus spirituel philosophe contemporain, et je crois pouvoir à bon droit considérer cette page comme l'une des plus éloquentes qui aient été écrites de nos jours. Nul doute que M. Cousin n'ait un peu trop oublié les écarts de quelques unes de ses héroïnes, de la duchesse de Chevreuse notamment, quand il dit que « ces muses ont toujours été nobles et grandes.» Mais c'est être bien rigoureux de chicaner aussi minutieusement l'un des écrivains qui font le plus honneur à la langue française, celui qui conserve si bien les traditions d'un style vraiment noble et grand, et joint à cette brillante qualité celle d'être un excellent et véridique historien.

III.

16-17 Février 1857.

TROIS DRAMES HISTORIQUES

Enguerrand de Marigny;

Beaune de Semblançay;

- le Chevalier de Rohan, par M. Pierre Clément, de l'Institut, 4 vol. 1857, chez Didier.

« Comment ai-je été amené à choisir pour objet de mes << recherches et à présenter au public, dans un même ca« dre, trois personnages qui semblent particulièrement << appelés à devenir des héros de tragédie ou de drame? Je << ne saurais expliquer ce fait autrement que par l'attrait « irrésistible et en quelque sorte magnétique qu'exercent << les grandes infortunes. » M. Pierre Clément, sans contredit l'un des historiens favoris du public et des plus dignes de cette faveur, a ainsi prévenu le seul reproche grave que son nouvel ouvrage pouvait avoir aux yeux de la critique : il a reconnu le manque d'unité dans le plan de ce volume, la non cohésiou des sujets; on ne peut plus insister après lui, et pour ma part, je m'estime heureux de n'avoir pas à le chicaner sur ce point; il faut lire ses trois études comme morceaux complètement séparés l'un de l'autre, comme des articles de revues, et supposer que leur auteur les a, ainsi que cela se fait communément à présent, publiés une première fois dans un de nos grands recueils périodiques. Ceci posé, je vais essayer de faire connaître ces trois grandes infortunes qui méritaient réellement la plume habile et sympathique de M. Clément et sur lesquelles la masse des lecteurs n'était pas suffisamment éclairée.

On connaît cependant en général l'histoire de ce fastueux surintendant des finances de Philippe-le-Bel, d'Enguerrand de Marigny, le plus riche des seigneurs de France, et qui, par une suite de lamentables événemens, finit par être ignoblement pendu au gibet de Montfaucon, comme le dernier des criminels.

Enguerrand de Marigny, issu d'une famille noble de Normandie, commença assez obscurément sa carrière, mais fut attaché de bonne heure à la maison de la reine, qui lui fit épouser Jeanne de Saint-Martin, sa filleule, et il vit dès lors son crédit si rapidement grandir qu'il semblait, comme l'a dit son historien, que la fortune le conduisit par la main. Je serai obligé de passer rapidement sur les principales circonstances de la vie d'Enguerrand, qui, investi des charges de chambellan du sceau secret, de surintendant des finances et bâtimens et de capitaine du Louvre, se trouve mêlé à tous les événemens importans de cette époque; on le voit parvenu vers 1307 à l'apogée de son élévation. Exécuteur testamentaire de la reine Jeanne, Enguer rand de Marigny était le plus intime des conseillers du roi, l'ami des plus grands personnages de la cour; il voyait ses frères occuper les plus riches évêchés du royaume, sa fille épouser le sire de Tancarville, et il pouvait lui donner en dot la somme, énorme pour l'époque, de douze mille livres, plus mille livres de rento, ce qui, comme il avait six enfans, élevait sa fortune à plus de quarante millions de notre monnaie. Le roi ne cessait de lui prodiguer des libéralités de toute nature, et l'on peut voir à la bibliothèque impériale un ancien manuscrit, dont M. Clément fait un exact sommaire, intitulé: Cartulaire d'Enguerrand de Marigny, et qui donne réellement une idée incroyable de ses richesses territoriales.

L'importance politique du surintendant grandit encore ; il eut à remplir diverses missions diplomatiques auprès du comte de Flandres et auprès du roi d'Angleterre qui devait bientôt lui constituer une pension de mille livres tournois quand, au moment de la guerre de Flandres, le roi réunit les états généraux, ce fut Enguerrand de Marigny qui conduisit les débats, proposa et fit adopter, malgré une vive opposition, les subsides demandés, et enfin fit conclure la paix en 1314.

Il était surprenant de voir la fortune soutenir si obstiné – ment le surintendant des finances, qui, de sa personne, ne prenait aucune précaution pour assurer son avenir, indisposait de nombreux rivaux par un faste inouï, et des allures quasi princières, bien qu'il cherchât à flatter par ses manières ceux dont ses richesses devaient exciter l'envie. La mort imprévue de Philippe-le-Bel vint brusquement mettre un terme à cette éclatante prospérité. La voix publique, plus que la volonté du nouveau roi, provoqua la réunion d'une commission spécialement chargée de l'examen des comptes d'Enguerrand de Marigny; ils furent approuvés par elles, mais la noblesse, aussi bien que le peuple, ne cacha pas le mécontentement que lui inspirait cette scandaleuse bienveillance : l'intervention de Charles de Valois, qu'animait une haine particulière contre le surintendant, acheva de décider Louis-le-Hutin, qui ordonna, tout en le regrettant, de le faire arrêter.

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Enguerrand de Marigny, disent les grandes chroniques << de saint Denys, par le commandement du roy, du Louvre « où il estoit, à cheval, à belle compaignie de sergens che<< vauchans avec luy, au Temple fut mené, moult de peuple << après luy alant pour le voir, et, de ce, grant joie déme<< nant; et ilec en estroite garde fut mis en prison. »

Une nouvelle commission fut réunie à Vincennes et jugea cette fois la gestion de l'ancien chambellan du sceau secret du fen roi avec une évidente malveillance. Louis-le-Hutin ne pouvait cependant cacher la peine qu'il éprouvait à se décider à sévir contre Enguerrand et faisait même redouter une fin contraire aux espérances des ennemis de ce dernier, quand on parvint à lui persuader que Marigny avait voulu envouter lui et son frère Charles de Valois (1); les doutes du roi cessèrent aussitôt, et la commission put condamner le surintendant a être pendu, ce qui fut exécuté le 30 avril 1315, à la grande satisfaction d'une foule immense assemblée au pied du gibet de Montfaucon.

M. Clément recti fi e avec raison l'opinion singulièrement

(1) C'est-à-dire de l'avoir voué à la mort à l'aide des formules mystiques employées au moyen-âge par les adeptes de la magie.

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