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En prenant pour sujet de nos réflexions ce trait de la vie de Nathanaël, j'ai surtout voulu, vous le comprenez, faire à chacun de nous l'application de son histoire, et vous signaler l'importance du caractère que Jésus assigne à ce nouveau disciple: un véritable Israélite, chez qui il n'y a point de fraude. Cette absence complète de toute fraude, de toute arrière-pensée, cette âme candide, ce cœur sincère, cet esprit droit, cet oeil simple, qui cherche purement la vérité, la vérité toute seule, la vérité tout entière, décidé d'avance, quoi qu'il en coûte, à l'embrasser avec toutes ses conséquences dès qu'elle lui apparaîtra telle est la disposition fondamentale que Dieu exige de nous pour entrer dans le Royaume des cieux. Il ne nous demande pas de lui apporter des cœurs sans péché, ni des cœurs déjà croyants, ni même des cœurs déjà repentants par eux-mêmes: à ce compte il n'est pas un seul homme qui pût prétendre au salut; mais il nous demande de lui apporter des cœurs sans fraude, et le salut est à ce prix : rien de plus, mais rien de moins. Sans cette disposition fondamentale, nous ne pouvons pas faire un seul pas en avant dans le chemin du

Royaume des cieux ; et si vous y regardez de près, vous reconnaîtrez que toutes nos misères, toutes nos chutes, toutes nos langueurs spirituelles, tous les défauts de notre vie chrétienne, en un mot, proviennent uniquement du défaut de cette sincérité parfaite qui caractérisait Nathanaël. Depuis la première étincelle de foi jusqu'au dernier couronnement de la sanctification, tout dans la vie chrétienne est le produit combiné, d'un côté de la grâce toute-puissante de Dieu, de l'autre d'un cœur sans fraude chez l'homme.

Vous vous plaignez peut-être de n'avoir point la foi. Vous la voudriez, dites-vous, vous l'estimez à un haut prix, vous portez envie à ceux qui la possèdent; mais vous ne pouvez pas la produire vous-mêmes, elle est l'œuvre de la grâce de Dieu; et en attendant que cette grâce agisse sur votre cœur, vous végétez tristement dans l'incrédulité. Mais prenez garde : la grâce de Dieu n'agira pas sur vous malgré vous ni sans vous ; elle ne vous rendra pas fidèle par une influence irrésistible et magique; elle ne fera rien en vous sans que votre volonté ait accepté et secondé son œuvre. Cela est vrai non seulement des progrès dans la sainteté, mais aussi de la foi, même des premières lueurs de la foi. Nous touchons ici à ce mystère insondable de l'alliance entre l'œuvre de Dieu et l'oeuvre de l'homme, entre la grâce et la liberté: mystère insondable, ai-je dit, mais incontestable, et auquel l'expérience de chaque homme, non moins que la Parole de Dieu, rend un éclatant témoignage. La grâce de Dieu ne vient pas saisir l'homme comme un être inerte ou privé de liberté morale; elle n'agit pas sur lui d'une manière passive et forcée, comme la puissance divine agit sur le développement des plantes ou sur l'instinct des animaux elle prend l'homme comme un être déchu sans doute, mais pourtant doué d'une volonté libre; un être chez lequel il reste encore, au milieu de sa déchéance, certaines aspirations vers un relèvement, au milieu de ses ruines morales certaines pierres d'attente d'un nouvel édifice, certains éléments de régénération au moyen desquels il peut, non pas se convertir lui-même, mais du moins accepter volontairement, saisir la grâce qui lui est offerte, comme il peut aussi la repousser. Il serait en contradiction avec les lois du monde moral, lois que Dieu lui-même a établies, et qu'il lui est par conséquent impossible de violer sans se renier lui-même, il serait, dis-je, contraire au caractère même de Dieu qu'il forçât en rien notre liberté, fût-ce dans

l'intérêt de notre salut; et je crois pouvoir affirmer qu'il est impossible à Dieu lui-même, impossible d'une impossibilité morale, de convertir une âme malgré elle; je dis plus, de la convertir sans qu'elle concoure volontairement et activement à l'œuvre de sa conversion. Il y a dans l'âme humaine, à une profondeur qui échappe à nos faibles conceptions, il y a un point mystérieux où s'unissent, dans une harmonie divine, ces deux éléments que notre raison ne sait pas concilier, l'élément humain et l'élément divin, la nature et la grâce; c'est là, dans ces profondeurs de l'âme, que la grâce saisit la nature pour la régénérer, et que la conversion s'opère. Et telle est la correspondance intime et mystérieuse qui existe entre ces deux éléments de la vie chrétienne, que de même qu'il n'est pas possible à Dieu de donner la foi au cœur qui la repousse, il ne lui est pas possible non plus de ne la point donner au cœur qui la cherche. Si donc vous n'avez pas la foi, soyez-en sûr, c'est votre faute: c'est qu'au fond vous ne désirez pas l'avoir. Vous prétendez peut-être la désirer, vous croyez peut-être la désirer, vous séduisant vous-mêmes comme il arrive si facilement et si souvent ; mais au fond vous ne la désirez pas sérieusement, au fond vous préférez secrètement l'incrédulité, parce que vous redoutez les conséquences de la foi; vous ne cherchez pas la foi avec un cœur sans fraude, avec un cœur de Nathanaël; vous n'en faites pas comme lui la grande affaire de votre vie, vous ne saisissez pas comme lui tous les moyens de vous éclairer que Dieu a placés sur votre chemin, vous n'ouvrez pas comme lui les plus secrets replis de votre cœur à l'action de la lumière divine: si vous le faisiez, vous verriez bientôt, comme Nathanaël, tomber tous les préjugés, toutes les objections, toutes les difficultés qui s'opposent encore dans votre esprit à la naissance et au développement de la foi. Du moment que vous la chercherez sincèrement, sérieusement, complétement, sans arrière-pensée, décidé d'avance à subir dans toute leur étendue toutes les conséquences de la foi, de ce moment-là vous commencerez à la posséder; vous verrez, comme Nathanaël, une lumière émanée du ciel dissiper l'obscurité qui vous enveloppait, et comme lui vous tomberez aux pieds de Jésus en lui disant : Maître, tu es le fils de Dieu, tu es le roi d'Israël !

Vous vous plaignez de ne pas voir vos prières exaucées. Vous vous mettez à genoux devant Dieu, vous lui demandez telle

ou telle grâce que vous savez être conforme à sa volonté, et vous n'obtenez pas ce que vous avez demandé. Ici encore il faut vous renvoyer à Nathanaël. Ce défaut de succès de vos prières, n'en doutez pas, provient uniquement de ce que vous ne les faites pas avec un cœur sans fraude, avec un cœur tout plein de son objet, qui sait bien ce qu'il veut et qui le veut complétement. Vous priez pour demander telle ou telle grâce, mais au fond de votre cœur il y a un désir secret qui repousse cette grâce. Vous priez de la bouche, ou de l'intelligence, dans le sens de la volonté divine; mais au même instant votre cœur fait tout bas une autre prière, qui donne un démenti à celle de vos lèvres. Tandis que votre bouche dit : « Seigneur! délivremoi de cette affection coupable, » votre cœur prie ainsi tout bas « Seigneur ! je tiens à cette affection; laisse-moi lui conserver une petite place, car je souffrirai tout plutôt que d'y renoncer. >> Votre bouche dit : « Seigneur! délivre-moi de l'amour de l'argent, rends-moi content de la position bornée que tu m'as faite; » et votre cœur dit tout bas : « Seigneur ! j'aime les biens de ce monde, je n'en aurai jamais trop, et je ferai tout pour les augmenter entre mes mains. >> Votre bouche dit : « Seigneur! humilie-moi, augmente en moi le sentiment de mon indignité, apprends-moi à me mettre à la dernière place; » et votre cœur dit tout bas : « Seigneur! je ne puis pas souffrir de voir les autres au-dessus de moi j'aime la gloire de ce monde, et je ferai tout pour l'acquérir. » Votre bouche dit : « Seigneur! délivre-moi de tout sentiment contraire à la charité, donne-moi de pardonner à mon ennemi et de rendre le bien pour le mal; » et votre cœur dit tout bas : « Seigneur ! l'offense qu'on m'a faite est trop grave, elle m'affecte trop sensiblement, je ne puis me résoudre à la pardonner, ou du moins je ne parviendrai jamais à l'oublier au point de rendre le bien pour le mal. »

C'est ainsi qu'il y a chez vous constamment deux prières qui se croisent et se combattent devant le trône de Dieu : celle de la bouche et celle du cœur. De ces deux prières, quelle est la plus sérieuse, la plus vraie, celle qui mérite le mieux d'être exaucée ? La prière de la bouche est la prière de l'intelligence, de la raison; vous reconnaissez bien qu'il serait désirable pour vous de renoncer à cette affection coupable, à cet amour de l'argent, à cet orgueil, à ces sentiments d'irritation; mais vous le reconnaissez seulement par une opération de votre esprit, et

cette prière-là est froide comme une théorie. Tandis que la prière du cœur est la prière du sentiment, de l'amour, de la volonté intime; vous aimez en réalité toutes ces choses que la réflexion vous démontre être mauvaises; et cette prière-là est ardenle comme une passion. Entre la théorie et la passion la victoire ne saurait être douteuse : c'est la passion qui doit l'emporter, c'est la prière du cœur qui doit être exaucée; et Dieu vous traite selon vos vrais désirs en ne vous accordant pas ce que votre bouche lui a demandé. Il n'est qu'un seul moyen d'être exaucé, c'est de prier avec un cœur sans fraude, avec un cœur de Nathanaël; c'est de vouloir sincèrement et complétement ce que vous demandez à Dieu; c'est que tout le désir de votre âme, c'est que votre être tout entier vous porte vers l'objet de votre demande, comme l'âme tout entière de Nathanaël tendait vers le Messie. Quand vous prierez de cette manière-là, chers lecteurs, alors, soyez-en sûrs, vous ne vous plaindrez plus que vos prières restent sans réponse. Que si vous ne pouvez pas encore demander à Dieu, dans la sincérité de votre cœur, ses grâces les plus excellentes ; si vous êtes pour cela trop peu avancés dans la vie chrétienne, n'hésitez pas à retrancher de vos prières toute la partie qui n'est pas conforme à la vérité; placez-vous devant Dieu au point précis où vous en êtes réellement, bornez-vous à lui demander uniquement ce que vous pouvez demander avec sincérité, et faites ainsi une prière moins étendue, moins avancée, mais une prière sérieuse et que Dieu exaucera; cette première grâce obtenue vous permettra de prier sincèrement pour demander une grâce plus élevée; et ainsi de prière en grâce et de grâce en prière, vous franchirez peu à peu, à l'aide d'un cœur sans fraude, tous les degrés de la vie chrétienne.

Vous vous plaignez de ne pas faire de progrès dans la sanctification. Vous sentez, comme Saint-Paul, la lutte des deux hommes au-dedans de vous; mais cette lutte ne se termine pas, comme pour l'apôtre, par la victoire du nouvel homme. C'est la chair qui a le dessus sur l'esprit; vous gémissez de vous trouver toujours au même degré de la vie spirituelle, peut-être même de reculer et de faire des chutes. Vous voudriez, ditesvous, triompher de la tentation, et c'est la tentation qui est plus forte que vous. Il semble que les promesses du Seigneur ne s'accomplissent pas à votre égard, et qu'il ne perfectionne pas de jour en jour l'œuvre sainte que sa grâce a commencée dans

votre cœur.

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