Page images
PDF
EPUB

Age, je formai donc le deffein de fuir du collége, & d'aller me jeter aux pieds du marquis de Ronel, mon parent & l'ami de ma famille, ( ces deux qualités toujours féparées se réuniffoient dans le marquis) & folliciter, par fon moyen, un emploi dans tel régiment qu'on jugeroit à propos de me placer. L'exécution de mon projet ne me parut pas difficile; une visite dans la rue Saint-Honoré fut le prétexte qui colora mon évafion. J'eus foin de tromper le jéfuite qui m'accompagnoit, & de m'éclipfer fans favoir s'il s'appercevoit de quel côté je portois mes pas; je me jetai au hafard dans une maison religieufe; la crainte d'être découvert s'empara de moi, & je ne fus tranquille que quand j'appris que j'étois chez les pères de l'oratoire. Les injures que les jéfuites me difoient tous les jours des oratoriens calmèrent l'inquiétude dans laquelle j'étois ; & je pensai que jamais ces bons pères ne viendroient me chercher dans une maison qu'ils détestoient depuis. fi long-temps, & fur laquelle, difoient-ils charitablement, le feu du ciel devoit tomber un jour.

Ces premières alarmes diffipées, je fentis bien que je ne pouvois refter davantage dans une maifon dans laquelle je courois incertain; j'envoyai chercher un fiacre & je me fis con

E

duire à l'hôtel du marquis de Ronel: ce parent me reçut avec l'amitié la plus tendre; & après s'être fait raconter jufques à deux fois ma petite hiftoire, il fe chargea de me présenter à ce grand prince, le vengeûr de l'innocence & l'ami des arts.

M. le régent, à qui j'eus l'honneur d'être présenté le lendemain, m'accueillit avec une affabilité qui m'étonna; mon audience fut heureuse; j'obtins une place dans le régiment dans lequel j'ai l'honneur de fervir aujourd'hui. M. de Ronel n'eut pas plutôt fait figner ma commiffion, qu'il me donna une fomme fuffifante pour aller à Prinac demander à mon oncle le confentement dont je ne pouvois me paffer. Une lettre, qu'il me remit pour M. de Varnac, eut tout le fuccès que je pouvois met promettre.

Ma famille me reçut avec autant d'étonnement que d'amitié ; &, après avoir paffé huit. jours à Prinac, je me féparai de mes parens pour aller rejoindre le régiment, qui étoit pour lors en garnifon à Besançon.

Cette ville me plut extrêmement; mes camarades, à qui je fus rendre les premières vifites, me préfentèrent dans toutes les maifons où ils alloient réguliérement.

Madame de Villefort, veuve d'un officier.

diftingué, recevoit chez elle la bonne compagnie; elle avoit une fille aimable à laquelle je m'attachai; c'étoit ma première inclination on peut juger avec quelle ardeur je poursuivis ma conquête; Lucelle (c'eft le nom de la fille de madame de Villefort) parut fenfible à mes premiers feux. Il n'en fallut pas davantage pour m'enhardir; ma vivacité naturelle & les leçons particulières que je recevois continuellement d'un ami, confident de ma paffion, me firent tout hafarder auprès de la charmante Lucelle. Un jour que j'étois occupé à la chercher dans fon jardin, je la vis fixer des regards attentifs fur un arbre ; je m'avançai fans faire de bruit, & jetant les yeux du même côté, j'apperçus deux petits oiseaux, qui, fans aucun trouble, goûtoient toutes les douceurs du plaifir le plus pur. Que ces petits oifeaux font heureux, dit Lucelle en foupirant! tous deux ils s'aiment, tous deux ils fe témoignent leur amour. Pourquoi de pareils plaisirs ne font-ils pas faits pour nous? Ces derniers mots, interrompus par les foupirs les plus tendres, ne firent qu'augmenter mon ardeur. Que dites-vous là, ma chère Lucelle, lui dis-je en me montrant ? ignorezvous que les hommes...... Ah! point de comparaison, me repartit mon amante hors d'elle-même, je fens que je me fuis trop

1

[ocr errors]

avancée, & je rougis d'avoir vu les oifeaux. J'allois lui répondre, lorfque madame de Villefort vint nous rejoindre; la conversation devint générale, & je ne profitai plus que du plaifir que caufe le langage des yeux; je fus contraint de me retirer fans avoir la liberté de dire un feul mot à Lucelle. L'hiftoire des petits oifeaux m'avoit paru heureusement amenée ; mon confident, à qui je la racontai, devint furieux contre moi: quoi, me dit Castel, (on le nommoit ainfi) tu aimes, tu fais le paffionné, & tu viens de manquer ton bonheur ! quitte, fuis Lucelle; après ce qui vient de t'arriver, tu ne peux plus rien efpérer d'elle. Mais, à quoi voulois-tu que je m'expofaffe?.... T'expofer! qu'ofes-tu dire, continuoit Caftel? ces oifeaux avoient frappé ton amante réflexion l'avoit féduite, tu ne pouvois la fouhaiter plus favorable à tes defirs, & dès le même inftant.... Ah! je t'entends, mon cher Caftel, lui répondis-je, je conviens de mes torts, & je te jure qu'au premier tête-à-tête je fuis réfolu de les réparer.

la

Caftel étoit un jeune homme aimable, vif, infinuant; peu de femmes avoient pu lui réfifter, & fon bonheur étoit tel..... Bonheur ! peut-être glofera-t-on là-deffus; mais enfin les petits-maîtres l'appellent tel, & felon eux j'ai

raifon de dire que Caftel étoit heureux, au point qu'une femme ne pouvoit le voir en public qu'on ne la crût déshonorée. Un ami auffi perfuafif n'eut pas de peine à détruire la crainte qui me reftoit; je retournai chez madame de Villefort, mon abord fit rougir Lucelle. Quel doux augure! je fus bientôt en profiter. La femme de chambre de mon amante fe mit dans mes intérêts; cette fille adroite eut le fecret de me procurer une feconde entrevue dans le järdin: le hafard, mon amour, peut-être la vivacité de Lucelle, tout me fervit dans cette occafion; Lucelle, que je preffai vivement, me parut agitée, fon trouble augmentoit le mien, La femme de chambre, qui s'apperçut de notre émotion, nous laiffa feuls; l'éloignement de cette fille, loin de diffiper notre trouble, ne fit que l'accroître. Interdit & confus, j'étois fur le point de quitter la partie, quand les confeils preffans de Castel s'offrirent à mon esprit; toute ma timidité fe diffipa, ma perfonne ceffa de m'embarraffer, je devins un autre moi-même, & Lucelle fut la victime de ma témérité; malgré fes pleurs & fa résistance je devins heureux; mais que mon bonheur me coûta! les reproches dont l'aimable Lucelle ne ceffa de m'accabler alloient me faire perdre l'idée du plaifir, & me plonger dans un

« PreviousContinue »