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avoit pris dans le cloître) elle parut à ce moment plus aimable à mes yeux que la première fois que je la vis; fon air embarraffé me fit craindre qu'elle ne découvrît le mystère. Que je la connoiffois peu ! l'amour, l'amour feul caufoit en elle ce défordre. Le peintre commença fon efquiffe; la novice, placée modeftement fur un fauteuil, fe prêtoit avec une indifférence apparente à toutes les attitudes que je lui faifois prendre; quelques regards, qu'en dépit des argus féculaires elle me lâchoit de temps en temps, me raffurèrent dans la réfolution que j'avois prife. Les progrès du feint apprentif fe mefuroient à ceux que faifoit le peintre; plus il avançoit & plus j'efpérois mon attention empreffée, mes yeux toujours attachés fur ceux de la fœur Félicité; tout alloit me découvrir aux yeux des béguines, antiques, quand une cloche heureufe vint les appeller au chœur. Ceffez vos occupations profanes, dirent pieufement nos deux duegnes, l'heure eft fonnée, nous courons au chœur. On nous fit ouvrir au même moment la porte par laquelle nous étions entrés ; &, l'efprit rempli des idées les plus fingulières, je quittai la fœur Félicité, à laquelle pour tous adieux je jetai les regards les plus tendres: la complaifance qu'elle eut à y répondre acheva de me

rafsurer, en ranimant en moi les plus heureufes espérances.

Nous devions retourner le lendemain; un jour pouvoit à peine fuffire pour les mesures que j'avois à prendre. Je vifitai avec un foin exact l'extérieur du couvent ; une fenêtre assez élevée, & dont aucune grille ne bouchoit la communication, me fit naître quelques idées : le malheur voulut que l'exécution en parût facile; nous retournâmes au parloir; fœur Félicité me fembla encore plus charmante que la veille; & après avoir lu mon fort dans fes yeux, je trouvai le moyen de lui remettre, fans que les nones s'en apperçuffent, une lettre conçue à peu près dans ces termes :

כל

« Je ne vous reproche point, adorable Lu» celle, votre infidélité ni vos caprices; vos yeux m'ont femblé les démentir; fi vous » aimez encore un homme qui ne ceffera de » vous adorer, prenez une réfolution ferme; » il est temps; le moment qui doit décider de vous, approche; & vous me feriez ravie. » pour toujours fi vous vous refufiez à mes empreffemens & à la foi que vous m'avez » fi fouvent jurée, & que vous ne pouvez plus » violer aujourd'hui. Moi, vous perdre, ma » chère Lucelle! Ah! je penfe trop avanta

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geufement de votre caractère pour croire » que vous vouliez m'accabler jufques à ce point; venez donc, charmant objet de mes » vœux, venez vous unir à moi par des liens » que la mort feule pourra brifer. Il y a

כל

au bout du grand jardin de votre cou» vent une fenêtre fans grilles ni barreaux; » elle eft placée à l'extrémité de l'édifice; ren» dez-vous en ce lieu à minuit précis ; une » échelle de corde, que j'y ferai pofer, vous » procurera les moyens de defcendre fans dan» ger; des habillemens que j'aurai tout prêts » faciliteront notre fuite; que rien ne vous » alarme; le lieu de notre retraite ne fera

éloigné de Befançon que de deux lieues; » madame de Villefort, qui vous aime autant » que je vous adore, en fera bientôt inftruite, » & vous devez juger par vous-même qu'elle » ne refufera pas fon confentement à une » union qui fera fa confolation, le bonheur » de vos jours & des miens. Adieu, ma chère » Lucelle, fongez, en relifant ma lettre, que » l'exécution du projet que je vous propose » décide de ma vie.

» Le baron de P***, "

Sœur Félicité n'eut pas plutôt cette lettre, que je preffai le peintre d'abréger; il me

fembloit que les deux béguines s'appercevoieng du trouble dans lequel j'étois, & que toutes deux, inftruites des myftères renfermés dans la lettre que je venois de remettre à la novice, alloient perdre Lucelle & moi.

Le peintre, qui lifoit ma fituation dans mes yeux, finit auffi-tôt fon ouvrage, & nous fortîmes. Les derniers coups d'œil que je jetai en quittant Lucelle m'annonçoient le plus heureux de tous les deftins.

Tous mes préparatifs dreffés pour notre évasion, il ne me refta plus qu'à gagner un des officiers de garde pour avoir une porte. Falière, mon camarade & mon ami, étoit de garde à celle de Bourgogne; c'étoit celle pour laquelle on gardoit moins de précautions, les fimples barrières en étoient fermées, il me promit qu'il me les feroit ouvrir. A peine la nuit eut-elle paru, qu'accompagné d'un feul domestique & d'un poftillon je fis pofer l'échelle par laquelle Lucelle devoit defcendre. Une chaife de pofte, placée à quelques pas, étoit deftinée à nous conduire à un petit bourg éloigné feulement de deux lieues de la ville. L'heure fi impatiemment attendue arriva ; j'entendis, quelle prévention! cette voix charmante dont les fons m'avoient tant de fois féduit, me crier: baron, êtes-vous là? Pouvez-vous en

douter, lui répondis-je vivement? A l'instant je fis allumer un flambeau qui étoit préparé pour Lucelle, & l'aider, au moyen de la lumière, à fe faifir de l'échelle. Mon poftillon étoit dans ce temps occupé à examiner du côté de la rue fi perfonne ne venoit nous furprendre. La joie dont mon cœur étoit rempli ne me permettoit pas la moindre réflexion; il me fembloit déjà voir Lucelle, & lui témoigner par mes transports combien fa poffeffion me devenoit flatteufe.

Le flambeau éteint, la religieuse descendit fans accident, & vint entre mes bras recevoir de nouvelles marques de mon amour. J'ai goûté bien des plaisirs, jamais je n'en ai senti de plus vifs ni de plus tendres. Après ces premiers momens de volupté, nous montâmes dans ma chaife; le poftillon, qui étoit inftruit, prit le chemin de la portede Bourgogne ; Falière nous fit ouvrir les barrières & nous fortîmes de la ville. Mon amante (car je croyois que c'étoit elle) parut fombre dans toute la route; je lui faifois cent agaceries, auxquelles elle ne répondoit que par des foupirs & des larmes. Cette tristesse me parut naturelle, & je crus que le parti violent auquel elle s'étoit prêtée y donnoit lieu. Nous arrivâmes à la pointe du jour à l'endroit fixé pour notre retraite. L'hôte de la maifon où

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