Page images
PDF
EPUB

profeffeur en médecine auffi vain qu'ignorant, fut la première que je voulus captiver. Un de ces moines dont le taf affiche l'ignorance avec l'institution, fut le rival que j'avois à combattre. Deux ans de poffeffion qu'il avoit près de madame de Janville, ne m'arrêtèrent point, & dès ma première vifite le galant taffé fut contraint de me céder la place. Je n'en devins pas plus heureux. Madame de Janville joignoit à une coquetterie outrée une fageffe plus outrée encore; c'eft une juftice que je fuis charmé de lui rendre aujourd'hui. La prévention, furtout contre les femmes, fe gliffe aifément dans le cœur des jeunes gens; je ne balançai pas à croire que les cruautés de madame de Janville n'étoient que des petites fimagrées de vertu que je furmonterois bientôt. Oui, me difoisje à moi-même d'un ton de confiance, dans peu j'aurai le fecret de rendre cette femme fenfible; & je fuis sûr qu'elle n'affecte fes réfiftances que pour me rendre plus vif un plaifir que la facilité nous rend fouvent trop infipide. Madame de Janville avoit un caractère bien différent de celui que je lui prêtois avec le refte de la ville; plus je la preffois & plus elle me réfiftoit. Quoi! me dit-elle un jour que nous étions feuls à fa maifon de campagne, qu'avez-vous prétendu en me rendant hommage?

B

penferiez-vous que je dois dois me déshonorer parce que je vous aime? Malgré tous les efforts que j'ai faits fur moi-même pour aimer mon mari, je n'ai pu y parvenir, j'en conviens; je le hais même fi vous le voulez ; mais il eft mon époux, le devoir & la raifon m'attachent à lui; mon eftime pour vous eft parfaite; que de pareils fentimens vous uniffent à moi, je ferai la plus heureufe de toutes les femmes; mais n'espérez que les douceurs de l'amitié. Que par la ville on me tympanife, que l'on continue à attaquer ma vertu; que m'importe? depuis trois ans le nom de la grande Belife & celui d'un directeur prudent, auquel elle n'eft attachée que par les liens d'une amitié fondée fur la raifon; depuis trois ans, dis-je, leurs noms courent en .vaudevilles, & je vois Belife en rire. Laiffons donc, mon cher marquis, calomnier, médire; le plus pur des plaifirs que nous goûterons tous deux, fera la fatisfaction fecrète que nous aurons de n'être point coupables.

Ce difcours me furprit extrêmement. Une femme de ce caractère étoit pour moi un phénomène que je ne pouvois développer. Le but de mes réflexions fut de penfer que des empreffemens redoublés pourroient la vaincre; je tentai de nouveau, mais toujours inutilement. Je m'apperçus enfin que madame de Janville

1

ne vouloit un jeune homme que par vanité, & qu'elle ne le ménagecit que par amusement, & au bout de quelques jours je la quittai pour m'attacher à une femme moins vertueufe, mais plus fingulière encore.

Madame de Morlé fut celle fur laquelle je jetai les yeux; cette femme, infatuée d'une nobleffe entée fur la livrée, étoit de toutes les femmes que j'ai connues la plus altière & la plus ftupide; fa fureur étoit de blâmer tout, de vouloir donner le ton dans les compagnies, & de décider avec hauteur d'une expreffion qu'elle ne connoiffoit pas. Combien je vois d'hommes qui font femmes fur cet article!

Médire de toutes les femmes, c'eft le feul défaut que madame de Morlé avoit de commun avec le refte de fon fexe. D'ailleurs, fon caractère étoit unique ; étourdie dans le chagrin, mifanthrope dans la joie, groffière dans fes careffes, polie en vous difant des injures, vive à la fois & indolente, penfant toujours mal, ne parlant jamais comme les autres; voilà l'efquiffe du portrait de madame de Morlé. Quand on a le cœur tendre, c'est un fupplice de vivre fans intrigues. Je fuivis ma pointe ; madame de Morlé qui venoit d'exclure un chanoine liégeois, qui jouoit à grands frais le foupirant auprès d'elle, prévint mes defirs. La facilité

à devenir heureux ne diminua rien de mon ardeur; je preffai avec vivacité; on n'aimoit point ici un amant de parade ; il ne falloit auprès de madame de Morlé que tranfports, agaceries, careffes & activité. Ce fut à toutes les petites minauderies de cette espèce que je dus mon bonheur; mais le caractère de madame de Morlé ne me permit pas d'en jouir plus long-temps. Cette femme, accoutumée à n'avoir que des abbés ou des étudians en droit pour adorateurs, voulut me traiter comme eux ; fa curiofité sur toutes mes démarches, fes inquiétudes fur ma façon de penfer, jointes à fes altercations, me firent fecouer un joug qui me fembloit trop dur. Madame de Morlé, qui s'apperçut de mes froideurs, n'en devint que plus altière; & nous allions nous féparer fans le moindre regret, lorfque madame de Cherpille jeta les yeux fur moi. C'étoit la femme d'un officier diftingué, avec lequel elle s'étoit unie par reconnoiffance; j'allois fuivre ma nouvelle conquête quand madame de Morlé, ennemie mortelle de fa rivale, fit tous fes efforts pour me retenir : l'envie de punir fa fatuité me fit héfiter pendant quelque temps; & malgré les charmes de madame de Cherpille, je ne répondis point encore à fes prévenances.

Madame de Morlé, fûre de me retenir, n'en

devint que plus imprudente; mille difcours injurieux, qu'elle ne ceffoit de répandre dans toutes les compagnies contre madame de Cherpille, commencèrent à me prévenir en faveur de cette dernière. Madame de Morlé s'apperçut de mon indifférence; elle en attribua d'abord la cause à fa rivale, qu'elle acheva de noircir dans toutes les meilleurs maifons; ce caractère odieux me révolta. Je tentai d'abandonner abfolument madame de Morlé; mais l'amour, le tempérament, ou les plaifirs, plus puissans que mes réflexions, me retinrent malgré moi.

Madame de Cherpille, que rien n'étonnoit, ne fut pas effrayée de mes cruautés. Que les femmes ont de talens pour connoître notre cœur! Celle-ci fentit mieux que moi que les froideurs que j'avois vis-à-vis d'elle, alloient être fon triomphe; & par une heureuse expérience elle vit bien que mes empreffemens redoublés auprès de madame de Morlé étoient les dernières lueurs d'une flamme qui expiroit.

La vivacité de l'efprit de madame de Cherpille n'eut pas de peine à me féduire; nous nous trouvâmes ensemble dans un même cercle; elle fortit, & comme j'étois le feul à portée de la reconduire, je lui offris mon bras. Nous arrivâmes chez elle; nos aveux & nos déclarations furent mutuels, & dès ce moment je

« PreviousContinue »