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la méprifois trop pour les entendre, & je partis.

Il y avoit déjà deux jours que j'avois abandonné madame de Méreval, lorfque, rentrant chez moi, mon valet-de-chambre me remit un billet dont jamais je n'oublierai le contenu; il étoit conçu en ces termes :

« Vous m'avez offenfé affez vivement, » monfieur, pour que je fois en droit de pour» fuivre la vengeance de l'affront que vous » m'avez fait; je vous crois homme capable » de foutenir une affaire; trouvez-vous demain à dix heures du matin au bois de Vallière :

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» vous devez me connoître. Adieu. »

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- Mon embarras, après la lecture de ce cartel, fut tel que je ne puis le décrire ; je n'avois fait injure ni affront à perfonne, que devois - je penser ? mon incertitude fur le parti qu'il convenoit que je priffe, me fit confulter quelquesuns de mes camarades, qui me confeillèrent unanimement d'aller au rendez-vous. La nuit fut pour moi auffi longue qu'ennuyeufe, & fans pouvoir attendre l'heure affignée, je me rendis à la pointe du jour à Vallière : j'errai folitaire dans la forêt jufqu'au moment qu'un homme en uniforme, fortit d'un fiacre, vint à moi & me demanda d'un ton élevé fi je le connoiffois.

Après l'avoir regardé quelque temps fort attentivement, je reconnus le bramine que j'avois furpris chez madame de Méreval: mon étonnement fut grand, & j'hésitai long-temps fur le parti qu'il convenoit que je priffe dans une conjoncture auffi délicate; ma jeuncffe & ma vivacité l'emportèrent fur mes réflexions; je me fis un point de reconnoître la bravoure par-tout où je la trouvois, & je mis l'épée à la main; les premiers coups que le moine me porta furent vifs; mais le malheur voulut que je le repouffaffe avec tant d'impétuofité qu'il tomba mort à mes pieds. Ce coup funeste ne fut pas plutôt fait, qu'ayant trouvé le bramine fans refpiration, je pris le même fiacre qui l'avoit amené, & après avoir obtenu à prix d'argent la promeffe d'un fecret éternel fur cette affaire, je repris avec précipitation le chemin de Metz. Les récompenfes promifes à ceux qui dénoncent les duelliftes furent la caufe de ma perte; des paysans qui nous avoient vus dans le combat, me dénoncèrent aux portes de la ville; je fus arrêté avec le cocher: on trouva dans la voiture, qui fut exactement visitée, les habits religieux du moine.

Je ne fus pas plutôt arrêté que tous mes camarades apprirent mon affaire.

Un bramine tué! le cas étoit critique. Le

régiment cependant me trouva vis-à-vis de lui pleinement justifié, & il follicita mon élargiffe→ ment avec tant d'ardeur, qu'il l'obtint, à la charge que je représenterois, ainfi que je l'avois offert, le cartel que le père Ange (c'étoit le nom du moine) m'avoit envoyé.

Ce malheureux billet, après bien des perquifitions, ne put être retrouvé ; le cœur eft: tou jours penché vers le mal: on crut que j'avois fuppofé ce fait pour fervir à ma juftification, & dès ce moment funefte, mon affaire commença à prendre une face défavorable.

Mes ennemis (on en a toujours fans favoir pourquoi) portèrent la noirceur jufqu'à m'accufer d'affallinat, & pour foutenir cette indigne accufation, ils fabriquèrent une hiftoire qui à peine avoit les apparences de la vraisemblance. Les bramines du même ordre avoient fourni le fondement à cette fable ridicule. Voici à peu près leur conte: J'étois forti, difoient-ils, de la ville accompagné d'une fille de plaifir que j'avois déguifée en cavalier ; je me livrois avec elle dans la forêt de Vallière à ces tranfports qui annoncent le crime, quand le moine nommé par fon gardien pour aller prêcher dans un village fitué à l'extrémité du bois, fcandalifé de l'attitude dans laquelle il nous trouvoit, avoit voulu employer la remontrance. On ajoutoit que cette

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morale m'avoit porté à des excès fi violens contre le père Ange, que je l'avois afsaffiné d'un coup d'épée, & que pour cacher mon crime, j'avois couvert le religieux des habits de cavalier que la fille avoit; que celle-ci, qui dans le caroffe avoit retrouvé fes habits ordinaires s'étoit fans doute, fur mes confeils, déterminée à fuir.

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Ces rêveries, quelque peu fondées qu'elles fuffent, ne laifsèrent pas que d'avoir des partifans; la méchanceté en manqua-t-elle jamais ?

Ces espèces de preuves, annoncées avec éclat, ne firent aucune impreffion ni fur mon efprit ni fur mon cœur. Le père Ange devoit aller ce jour même prêcher dans ce village près le bois de Vallière; cette circonftance jointe au harnois monacal trouvé dans le fiacre dans lequel j'avois été arrêté, cette feule circonftance me donna quelques inquiétudes. Mon innocence diffipa toutes ces fauffes alarmes ; mais je n'en devins pas plus heureux ; mon régiment, qui me crut coupable, m'abandonna pendant quelque temps: & ce ne fut qu'après bien des follicitations réitérées qu'il me fut poffible de ramener les premiers fuffrages égarés. La confiance avec laquelle je me défendis, & le témoignage du cocher ralentirent les efforts que l'on faifoit pour me trouver coupable.

Les moines, que l'intérêt pouvoit feul ramener à la raison, commencèrent à reconnoître mon innocence; quelques centaines de pistoles que le régiment fit diftribuer au couvent, & les frais de la procédure que je fis exactement payer, éclairèrent les bramines & les juges; ma liberté me fut rendue. On vit que je n'étois point coupable; mais les préjugés ne s'effacent jamais; la fuite de ma vie le prouvera aifé

ment.

Après cette affaire, dans laquelle la capricieufe madame de Méreval s'étoit intéreffée tantôt pour, tantôt contre moi, le régiment me fit quitter Metz & m'envoya à Pont-àMouffon cette petite ville n'étoit éloignée que de cinq lieues de la garnifon. A peine fusje arrivé dans cette ville, que je crus que Pont-à-Mouffon étoit le féjour des plaifirs. Un de mes amis, qu'une affaire plus malheureuse encore que la mienne y avoit refugié, me fit l'amitié de me préfenter chez les dames les plus aimables; elles me reçurent avec une politeffe & une gaieté qui m'enchantèrent: foit prévention ou raifon, dès mes premières visites, je crus en avoir fixé quatre, & je commençai ma batterie comme fi ces femmes euffent été déjà dans mes filets.

Madame de Janville, femme d'un petit profeffeur

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