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du moins le foyer. » Quelle source de pathétique réconfort dans ces rendez-vous mystérieux de M. de SainteMarthe, lorsqu'au temps de la persécution, ce successeur de M. Singlin venait en plein hiver, le long des murailles de Port-Royal des Champs, et là, montant sur un arbre, assez près du mur, loin des gardes, adressait des paroles consolatrices aux religieuses venues du côté du jardin ! Et quelle énergie vibrante dans ce trait du P. Desmares, le seul janséniste peut-être qui, à la gravité humble et sévère de cette école, ait mêlé une langue plus animée, une action plus populaire, lorsque, voyant entrer à l'improviste le grand Condé, son sermon déjà commencé, il s'adresse à lui : « Monseigneur, j'explique cet endroit de l'Évangile où il est dit que Jésus-Christ guérit une main sèche. Il m'est très glorieux que Votre Altesse vienne augmenter le nombre de mes auditeurs. Je prie le Seigneur de consacrer ce bras qui est la terreur de toute l'Europe et le bonheur de la France; mais en même temps, que Votre Altesse se souvienne que, si elle ne rapporte pas à Dieu tous ses exploits, comme à sa fin dernière, Dieu permettra que ce bras sèche comme celui de notre Évangile. » Et son sermon fut si pressant, qu'à la sortie, le prince dit à ses compagnons : « On me l'avait bien dit, que cet homme était dangereux; si je l'entendais une seconde fois, je me convertirais. » C'est ce même Condé qui, voyant arriver Bourdaloue, un jour que la foule se pressait, bruyante, autour de la chaire, s'écria : « Silence, voici l'ennemi ! »

L'émulation féconde de ces trois sociétés, l'Oratoire, les Jésuites, Port-Royal, l'effort persévérant des membres les meilleurs du clergé séculier, produisirent donc ce résultat décisif au xviie siècle : une éloquence paré

nétique plus grande, sinon plus puissante qu'en aucun temps, l'enseignement fécond de l'Évangile, la dignité sévère du discours pastoral substituée à la prédication bouffonne ou pédantesque, aux vaines arguties de la scolastique. Inaugurée sous Louis XIII et la régence. d'Anne d'Autriche, la réforme apparut dans son glorieux épanouissement sous Louis XIV, vint en quelque sorte se résumer dans la chaire royale qui consacrait alors les orateurs religieux, et mettait le sceau à leur réputation, comme Paris aujourd'hui confirme les talents de la province et de l'étranger. Honneur très apprécié, qui vient chercher les uns, que les autres sollicitent avec une ardeur peu chrétienne, car il est le marchepied des faveurs les plus substantielles. Comment ne pas le reconnaître? Louis XIV en fait un moyen de gouvernement spirituel : il choisit lui-même les prédicateurs, six mois, un an d'avance, afin qu'ils aient le temps de se préparer, s'attache en général au talent, à la réputation, tout au moins à la recommandation de bons juges. « Quel est donc, demandait-il à Boileau, un prédicateur qu'on nomme Letourneux? On dit que tout le monde y court. Est-il si habile ? Sire, reprit le satirique, on court toujours à la nouveauté; c'est un homme qui prêche l'Évangile. » Quelques-uns prêchèrent à la Cour six, neuf, douze et même treize stations, tels Mascaron, le P. de la Rue, le P. Gaillard, Bourdaloue.

Pour un Carême, le prédicateur reçoit du trésor royal 3,000 livres, pour l'Avent 1,500 livres. Il y a aussi des pensions qui s'élèvent à 400 écus, des places d'aumônier, de chapelain, des brevets de prédicateur du roi. Beaucoup d'orateurs sacrés doivent à la chaire la dignité épiscopale, et l'abus va bien loin sans doute,

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puisque non seulement la Bruyère, mais Bossuet, Fénelon et bien d'autres le signalent avec force. Plus d'un, hélas! n'a d'autre vocation que le besoin d'un bénéfice. « Le sermonneur, dit le premier, est plus tôt évêque que le plus solide écrivain n'est revêtu d'un prieuré simple. Voici deux prédicateurs : l'un, goûté à Paris, ne l'est point à la chapelle du roi. Quelle mortification! L'autre, applaudi des grands seigneurs, à cause qu'il l'a été par leur souverain, échoue dans une paroisse de Paris. Qui des deux se consolera le plus tôt ? Évidemment celui qui est goûté à la Cour, parce que la ville n'a point de suffrage dans le choix des prélats. » Bossuet, dans le panégyrique de sainte Catherine, tonne contre une science « propre aux négoces du monde et non au commerce sacré du ciel, » contre l'opprobre que font à Jésus-Christ et à l'Évangile les ouvriers mercenaires. Et il compare au magicien Simon ceux qui ne s'étudient à la science ecclésiastique que pour entrer dans les bénéfices, ou pour ménager par quelque autre voie leurs intérêts temporels, avec cette différence toutefois, à leur désavantage, que Simon donnait son argent pour le don du ciel, tandis que ceux-ci dispensent le don de Dieu pour mériter de l'argent. Même indignation de la part de Fénelon, contre ces prédicateurs qui, cherchant leur intérêt, leur réputation, leur fortune, «ne songent à plaire que pour gagner l'inclination et l'estime des gens qui peuvent contenter leur avarice et leur ambition. »

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En entendant de telles paroles, on songeait aux orateurs taillés sur le patron de Roquette, évêque d'Autun, dont l'esprit d'intrigue, de médiation ou de manège accrédita l'opinion qu'il avait inspiré à Molière

l'idée de son Tartufe. « Tout lui était bon à espérer, à se fourrer, à se tortiller, disent ses contemporains, entre autres Saint-Simon, la Bruyère; il n'y a point de palais où il ne s'insinue, il entre dans le secret des familles, il est de quelque chose dans tout ce qui leur arrive de triste ou d'avantageux, il prévient, il s'offre, il se fait de fête, il faut l'admettre.... A peine un grand est-il débarqué qu'il l'empoigne et s'en saisit; on entend plutôt dire qu'il le gouverne, qu'on n'a pu soupçonner qu'il pensait à le gouverner. Il avait été de toutes les couleurs, à Mme de Longueville, à M. de Conti son frère, au cardinal Mazarin, dont il devint le valet à tout faire, surtout abandonné aux Jésuites. »

Un jour que le prince de Conti et le beau de Vardes sortaient masqués, Roquette, pour flatter ce prince qui était bossu, feignit de les confondre, et, s'avançant vers eux, demanda du ton le plus naturel : « Pouvezvous m'indiquer Son Altesse? Lequel de ces masques est Monseigneur ? »

On sait l'épigramme que d'Aceilly, et non Boileau, lui décocha sur ses sermons :

On dit que l'abbé Roquette
Prèche les sermons d'autrui;
Moi qui sais qu'il les achète,
Je soutiens qu'ils sont à lui.

On prétendait encore que le P. Hercule lui avait fait l'oraison funèbre du duc de Candale, et qu'un initié avait dit en sortant de la cérémonie: « Je viens d'entendre prêcher les travaux d'Hercule. » Et Marigny, l'un des très nombreux ennemis de Roquette, ajoute qu'il se trouva dans une chapelle auprès d'un homme qui murmurait en grondant: « Racine! Racine! » Et

comme il demanda pourquoi : « C'est que je connais bien à cette heure que Racine a raison d'enrager quand les comédiens représentent une de ses pièces. Je ne pouvais pas donner la mienne à un homme qui la jouàt si mal que cet abbé Perroquet que voilà en chaire. »

J'ai quelque peine à douter du mérite réel de l'évêque d'Autun, et de la paternité de ses œuvres. Loret, BussyRabutin, Dangeau, Mme de Sévigné, M. Pignot son biographe, rendent hommage à ses talents d'orateur, d'administrateur, de diplomate; leurs témoignages sont trop précis pour ne pas emporter la conviction. Pourquoi donc aurait-il eu besoin de recourir à d'autres, à ce que Jean-Paul Richter appelle plaisamment : « un valet de cervelle? » Peut-être, après tout, eut-il parfois, dans des cas urgents, des collaborateurs, comme Mirabeau : Dumont, Reybaz, Pellenc, Chamfort fabriquaient la plupart des harangues et rapports de Mirabeau à la Constituante; mais l'orateur y mettait sa marque, le ton, le geste, l'action, l'âme du discours, ce je ne sais quoi qui imprime à l'œuvre tout entière son caractère d'unité.

Quant au portrait de Roquette dans Tartufe, bien que des écrivains profanes et religieux, des lettrés d'autrefois et d'aujourd'hui l'aient reconnu, je garde aussi des doutes. N'oublions pas que le caractère de Tartufe se retrouve dans les fabliaux, dans le Roman de la Rose, dans celui du Renard, dans Boccace, Machiavel, que Tartufe courait les rues, emplissait les salons et la cour, même avant que la dévotion devint à la mode, avant que les courtisans se donnassent par calcul une figure d'Évangile, selon l'expression consacrée. Molière avait des types bien plus précis à flageller tel cet

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